HomeActualitéQuand cèdent les digues et que tout et n’importe quoi deviennent possibles

Quand cèdent les digues et que tout et n’importe quoi deviennent possibles

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Nous avons été nombreux à observer la dégradation de la situation au pays, ces derniers jours.  Des bandes d’assassins qu’on avait autrefois fédérées, dans l’espoir, disait-on alors, de mieux contrôler l’insécurité rampante dans certains quartiers du pays, s’étaient déjà affranchies de leur tutrice en chef et de leurs commanditaires locaux, pour opérer tout seuls, depuis déjà quelque temps.  Elles avaient expérimenté, avec une certaine ivresse, le pouvoir de travailler à leur propre compte.  Plus besoin d’attendre des subsides de l’État ou de se ravitailler à d’autres râteliers, quand on peut se servir soi-même, et à volonté.  Ainsi firent-elles, pendant un temps, à Varreux, à Martissant, à Croix-des-Bouquets puis à Mariani et ailleurs.  Il restait bien un semblant d’État qui pouvait, à l’occasion, prendre la parole et parler pour ne rien dire et surtout pour ne rien faire.  Mais, pourquoi s’embarrasser de cet épouvantail quand on peut occuper toute la place?  C’est désormais le but que semble se fixer, ces derniers jours, un consortium des bandits d’Haïti, qui se donne maintenant l’appellation de Vivre Ensemble, vocable plus à la mode et mieux perçu sur les réseaux sociaux. 

Le premier ministre du pays était parti à l’autre bout du monde, au Kenya, en Afrique de l’Ouest, pour être plus précis, depuis plus d’une semaine.  Il avait emmené avec lui un petit aréopage d’officiels, entre autres, le ministre des Affaires Étrangères et des Cultes, comme de raison, et la ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, également.  Cette dernière, Mme Emmelie Prophète Milcé, cumule plusieurs portefeuilles, et un ministre passe-partout, il vaut mieux l’avoir sous la main, surtout si l’on va discuter de traité international qui pourrait devoir inclure des clauses d’immunité pour le personnel militaire invité à intervenir de façon robuste au pays.  Dans ces circonstances, une bavure quelconque est si vite arrivée…  Cet aréopage s’en était allé d’abord en Guyane à une réunion de la CARICOM, avant de se rendre ensuite à Nairobi.  Déjà cela n’augurait rien de bon pour le premier ministre haïtien.  Plusieurs chefs d’États y auraient déclaré publiquement, pour une fois, que ce premier ministre constituait un obstacle au déblocage politique en Haïti et l’invitaient à en tirer les conclusions qui s’imposaient en conséquence.  Mais il fit le dos rond et suivit son chemin jusqu’à Nairobi.  De là, il semblerait même que le premier ministre ait fait un petit tour à Dubaï.  Mais on n’en est pas certain.  Le périple devait se terminer normalement à la maison, depuis dimanche dernier, mais il a bien fallu faire quelques escales en cours de route, pour des raisons diverses, toujours de premières importances.  La ministre Prophète-Milcé avait dû faire un crochet jusqu’à Paris, parait-il.  Et puis, les autorités de la CARICOM eurent l’idée soudaine de convoquer une autre ronde de rencontres au sommet avec nos politiciens.  Elles voulaient la tenir les 4, 5 et 6 mars, donc pour nos voyageurs au long cours, autant profiter de ce voyage pour se ressourcer un peu et participer, en bonne forme, à ces passes d’armes politiques qui ne sont jamais de tout repos.  Mais la sauce avait suri un peu, depuis le jeudi 29 février.  Le grabuge s’est accéléré un peu plus le vendredi 1er mars.  Des bandes de bandits confédérées avaient pris le contrôle de deux de nos principales prisons, au cours de la fin de semaine.  Pendant ce temps, le directeur général de la PNH, le commissaire Frantz Elbé, était aux abonnés absents, pendant que la capitale était livrée aux bandits.  En lieu et place de la direction générale de la PNH, c’était le syndicat de la police, le SYNAPOHA, qui relayait des appels au renfort et qui semblait coordonner un repli stratégique de ses membres, pour leur éviter un autre carnage, une autre cuisante déculottée.  N’empêche que plus de cinq policiers comptent parmi les victimes, dont un commissaire divisionnaire.  Il a fallu attendre longtemps, avant que Frantz Elbé, en uniforme d’opération, ne prenne la parole pour demander l’appui de la population et rendre un hommage aux policiers tombés sur les champs de bataille avec les bandits, et à celles et ceux qui ont combattu longtemps, avant de devoir se replier vers des positions plus sûres, laissant leurs postes aux mains des assaillants.  Le ministre de l’Économie et des Finances, M. Patrick Boisvert, assumant l’intérim pour le premier ministre de facto Ariel Henry, décrète alors l’État d’Urgence, assorti d’un couvre-feu pour une période de 3 jours, renouvelable, et ce, sur toute l’étendue du territoire du département de l’Ouest.  Du côté du DG de la PNH,  à part son bref discours adressé surtout aux forces de l’ordre, c’est toujours silence radio.  Idem, de la part des autorités supérieures du pays, actuellement à l’étranger.  On ne sait trop que penser de ce silence assourdissant de nos autorités en voyage, comme celles des cadres supérieurs de la PNH.  

Pendant ce temps, le premier ministre Ariel Henri est pratiquement porté disparu.  Il est à l’étranger.  Il est en instance de retour au pays.  On l’aura retracé aux États-Unis, dans le New-Jersey.  Nul ne sait vraiment l’objet de ce détour.  Les autres ministres qui l’accompagnaient dans cette mission au Kenya sont ailleurs, quelque part, et font bande à part.  La ministre de la Justice et de la Sécurité Publique est en route de Paris pour rentrer au bercail et retourner à son poste.  Toutefois, son vol est redirigé vers la République Dominicaine.  Aucune ligne aérienne ne veut se risquer d’atterrir dans nos aéroports, aux prises à des tirs d’assaillants bien armés et auxquels les forces publiques du pays tentent avec difficulté de résister.  Manque de pot pour Ariel Henry, un arrêté du gouvernement dominicain tombe à point nommé, pendant que son avion est en vol vers ce pays, et interdit toute liaison avec Haïti.  Le président dominicain refuse la permission d’atterrir sur son territoire même à l’avion affrété par le premier ministre haïtien pour se rendre à son poste, ultimement, par un moyen quelconque.  Il est alors dérouté vers Porto-Rico, non loin.  Mme Prophète-Milcé et M. Ariel Henry sont tous deux persona non grata dans leur lieu de transit provisoire respectif et sont priés de partir au plus vite.  Mais comment?  Et pour aller où?  Aux dernières nouvelles, Mme Prophète-Milcé se rendait aux États-Unis et M. Henry devait quitter sans délai Porto-Rico pour une autre destination, probablement Kingston, à la Jamaïque, mais on n’est certain de rien.

Entre temps, les rumeurs enflent au pays.  Ce gouvernement serait déjà démissionnaire, officieusement du moins.  Néanmoins, des pressions s’exerceraient de la part de ses tuteurs, pour exiger la démission, officielle cette fois, de leur protégé aujourd’hui en mauvaise posture.  On essaierait, tant bien que mal, de sauver les meubles, de la casse en cours à la capitale.  Le scénario du pire qui est évoqué serait une coalition de quelques secteurs politiques, associée à nul autre que Guy Philippe, un criminel notoire, fraîchement libéré de prison des États-Unis, et à un juge de la Cour de Cassation, pour assurer un tant soit peu de décorum.   Après tout, on verrait très mal des membres du Core Group aller remettre leur lettre d’accréditation diplomatique à ce personnage sulfureux et lui accorder toute la déférence que requerrait son nouveau statut de chef d’État, n’est-ce pas?  « Tout, mais pas ça », comme le disait l’inénarrable Maurice Sixto, de regrettée mémoire, dans Léa Cocoyer.  

Et puis, le couperet est tombé.  Officiellement, AlterPresse annonce, dans sa parution de ce matin, le 6 mars, que « les États-Unis ont demandé, le 5 mars, au premier ministre de facto, Ariel Henry, de favoriser la formation d’un nouveau gouvernement provisoire et de laisser le pouvoir ».  Cette information est glanée d’un article du quotidien américain, Miami Herald.  « L’administration américaine lui (Ariel Henry) a demandé d’accepter un nouveau gouvernement de transition et de démissionner ».  Les déclarations, en mode langue de bois diplomatique, n’auraient plus cours.  Le chat est sorti du sac et, comme d’habitude, lorsqu’un fidèle serviteur ne sert plus à grand-chose et devient même une source d’embarras, alors on s’en défait, tout simplement, sans trop d’état d’âme ni beaucoup d’effusion.  Le premier ministre de facto, Ariel Henry, serait attendu aujourd’hui même à la Jamaïque, où le GEP (Groupe des Éminentes Personnalités) et les autorités de la CARICOM le conforteraient et l’accompagneraient dans les moments difficiles de cette déclaration publique qu’il adresserait à ses collègues au gouvernement et à sa population, à partir d’un territoire étranger.

La suite des choses, à partir de ce moment, est du ressort d’extrapolations et de supputations, les unes plus ou moins réalistes que les autres.  La Police Nationale d’Haïti est en débandade.  Les Forces Armées d’Haïti sont une chimère.  Et les bandits, eux, sont bien réels.  Voilà avec quelle situation devra effectivement composer quelle que soit l’autorité qui assumera la relève.  Il n’y a actuellement aucune force politique dont l’ascendance serait telle, qu’elle puisse commander une adhésion de la population, à défaut d’un certain respect.  Il n’y a aucun leader politique capable de faire une unanimité quelconque pour demander, obtenir ou, à défaut, imposer le retour au calme.  Le couvre-feu décrété par le Conseil des Ministres est pratiquement inopérant, car ce gouvernement n’a pas les moyens de le mettre en vigueur dans les faits.  Le successeur de ce gouvernement, même quand il obtiendrait l’allégeance de ce qui nous reste de forces publiques, devra faire beaucoup de lest et naviguer à vue, avant de pouvoir sécuriser un minimum de moyens pour reprendre le contrôle du pays et remettre ses institutions en ordre de marche.  

À partir de maintenant, Haïti rentre, de plain-pied et totalement, dans les rapides du chaos politique et de l’anarchie sociale, et nous ne savons pas comment elle va en ressortir.  Une seule chose est sûre cependant, elle en ressortira.  À d’autres leaders et à toute la population concernée, il reviendra de faire en sorte que ce soit pour le mieux.  Peut-être qu’on aura assez souffert de nos déboires, pour ne plus emprunter ces sentiers de misère et de déshonneur.  Peut-être que ce sera l’occasion d’un départ résolu vers de vrais changements pour enfin une embellie dans notre histoire de peuple.  Pour le moment, on ne peut que vivre d’espoirs et souhaiter le meilleur, tout en appréhendant le pire, car tout est encore possible. Aurait-on finalement vidé la coupe entière, jusqu’à la lie?  Seul l’avenir nous le dira bientôt…

Pierre-Michel Augustin

Le 6 mars 2024

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