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“Nostalgie du temps que nous n’avons pas vécu.”

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À l’été de 1999, je venais tout juste d’entrer dans la vingtaine. Ayant terminé mes études classiques trois ans auparavant, je poursuivais simultanément deux filières universitaires. J’étais alors en deuxième année d’arts plastiques (peinture, céramique et sculpture, entre autres), avec une touche d’art dramatique, incluant la formation d’acteur et en théâtre, à l’École Nationale des Arts, ENARTS. En parallèle, j’étais en Tronc Commun (TC) à la Faculté des Sciences Humaines, option Communication Sociale, autrement dit le journalisme, dans le sens le plus pur du terme. C’était à l’époque où j’avais tout abandonné, y compris ma famille que j’aimais tant, pour m’engager dans une aventure totalement inconnue. C’est ainsi que j’ai voyagé hors de mon pays, Ayiti, pour la première fois. Non pas nécessairement parce que je le désirais ainsi, mais dans le but de perfectionner mon éducation, même si cette garantie n’était pas absolue à l’époque, au pays même, mais c’était la marche à suivre, en ce temps-là, si on aspirait à « devenir quelqu’un », et à la fois réussir sa vie et dans la vie.

Ce fut une expérience inoubliable et très enrichissante d’être à Cuba, l’un de ces pays baignés par les douces eaux de l’honneur, de la fierté, de la dignité, et surtout de la rébellion de la mer des Caraïbes.  Le destin historique partagé fait que le sort et l’essor ne diffèrent pas fondamentalement pour les deux États qui ont défié le système hégémonique mondial, chacun en son temps et à sa manière.  Ce qui, aujourd’hui encore ne leur est point pardonné.  Le prix de la Révolution Ayitienne (1804) et de la Révolution Cubaine (1959) se paie encore aujourd’hui de manière exorbitante.  Ces deux nations sœurs souffrent toujours en raison du nouveau chemin qu’elles ont tracé dans l’histoire universelle des luttes pour l’indépendance, du droit à l’autodétermination et de la quête du bien-être pour leur peuple, en vue de la garantie de la dignité humaine.  “L’histoire”, dit-on, “est un éternel recommencement.”  Cette aventure a offert à nous, les jeunes bénéficiaires du programme de Coopération Ayitiano-cubaine, étudiant à Cuba, l’opportunité de renouer avec les marques de générosité et d’amitié indissociables qui avaient toujours lié nos deux pays. C’était la continuation d’une histoire déjà tissée dans le passé, avec un présent et un avenir. À cette époque, j’étais jeune, enthousiaste, intelligent et fort, selon certaines observations bienveillantes de personnes averties, notamment ma famille et mes amis, en particulier mon père. C’était un autre niveau du même rêve. Les faits comptaient, et je savais, sans aucun doute, que peu importe où je me trouvais sur la planète, je consacrerais du temps à m’éduquer. Mais dans quel but ? C’est ce que je n’avais pas tout à fait bien saisi, du moins à l’époque. Ainsi, avec une bourse pour étudier dans une université étrangère, j’étais le jeune homme le plus heureux du monde à cette époque. Un de mes plus grands rêves était réalisé. La vie était belle et tout semblait assuré. J’avais l’impression d’avoir le monde entier à mes pieds, car ma tête était dans les nues. Et l’avenir me semblait plus que prometteur. Je ne pouvais aspirer à rien de mieux.

Mais un jour, une dame, directrice de la maison de la culture de l’université, nous a posé, à un ami et à moi, une question percutante.  Elle se demandait pourquoi Ayiti se trouvait dans une situation aussi critique et désespérée, avec des jeunes comme nous, dévoués, brillants, forts et pleins d’énergie.  En réponse, nous avons tenté de lui expliquer la complexité de la réalité d’Ayiti à son niveau le plus critique : politique, économique, social, culturel, et, bien sûr, anthropologique, en fonction de notre compréhension d’alors, comme dans n’importe quel pays normal. Mais, ce dont nous ne nous n’étions pas rendu compte, c’est qu’Ayiti est loin d’être un pays normal, en raison même de son histoire si glorieuse, que les seigneurs du monde ne lui pardonneront jamais. Au fil des années, aujourd’hui, 25 ans plus tard, je réalise que ce n’était pas si simple. Je croyais pouvoir consacrer mon temps, mes compétences, mes talents à ce processus long, mais louable de renaissance du pays. Cependant, jour après jour, je me rends compte que j’ai été dupé, profondément, le doigt dans l’œil. Pour un peu, maintenant, je serais un zombie de plus dans ce beau pays qu’on s’obstine à tuer, non plus lentement, mais à une vitesse vertigineuse.

J’ai quitté Ayiti, cela fait exactement neuf (9) ans depuis lors. Suis-je heureux de la vie que j’ai ici ? Croyez-moi, bien sûr que non.  Parce que cela n’a absolument rien à voir avec qui je suis, ma philosophie de vie, ma vision du monde, et, bien sûr, mes objectifs dans la vie.  Cependant, je ne m’en sors toujours pas, car je suis loin de vivre mes rêves, encore moins le plus cher, celui de contribuer au changement véritable dont mon peuple a toujours rêvé. Ici, aux États-Unis, ma durée de vie n’est pas le moment présent, hypothétiquement, d’un certain point de vue, contrairement à Ayiti.  Je peux me déplacer librement, manger autant que je veux, faire toutes les folies que je veux.  J’ai ce dont j’ai besoin pour vivre, même si c’est minimalement ou même très “muni-malement”. Mais vous savez quoi ? Je ne vis pas ! Car, j’ai failli piteusement à ma mission, tout comme les camarades de ma génération et des précédentes. Mon titre d’architecte et détenteur d’une maitrise en politique et gestion de l’environnement ne me servent plus à rien. Car, je m’étais efforcé à obtenir ces expertises pour servir mon pays qui, aujourd’hui plus que jamais, en a tant besoin.  Qu’est-il advenu de notre thèse de fin d’études universitaires qui avait suscité tant d’intérêts de la part des plus anciens et des plus récalcitrants de la Faculté d’architecture de l’institut Polytechnique José Antonio Echeverria de la Havane, aujourd’hui Universidad Tecnológica de La Habana José Antonio Echeverría, sous l’intitulé : « Idées stratégiques pour la transformation des quartiers précaires de la Ville de Port-au-Prince, Haïti. », l’une des lauréats de l’Édition 2005 du comité scientifique de l’université pour participer au congrès E.L.E.A., Rencontre Latino-américain des Étudiants d’Architecture (Encuentro Latinoamericano de Estudiantes de Arquitectura, en espagnol) ? De quoi une telle étude qui avait déjà prévue la dégradation non seulement des structures, mais également celle des populations urbaines, face à la non prise en charge des autorités compétentes en la matière ? Qu’en est-il de cette reprise et adaptation selon les objectifs de ma maitrise en Politique et gestion de l’environnement à l’université Carlos III de Madrid, quatre (4) ans plus tard, soit en 2009, avec le titre : « Stratégies de transformation et de développement durable des quartiers précaires et marginaux de la Ville de Port-au-Prince. Ayiti ? » Il s’agit-là d’autant de déception qui porte l’Ayitien en général et le professionnel, en particulier, à se décourager, jusqu’à sombrer dans l’hibernation.  Mon plus grand regret aujourd’hui est de ne pas être resté pour lutter pour le changement dans mon pays, car il n’y a pas de pays comme le sien, où l’on a vécu pour la première fois et les plus belles années de sa vie, pour bercer ses rêves et nous encourager à accomplir des exploits extraordinaires.

Je m’en voudrais d’ici rester à pleurnicher dans un journal ou sur les réseaux sociaux car l’heure est à l’action, ne serait-ce que sous forme de propositions.  Je vous assure, qu’après mûre réflexion, j’en ai quelques-unes pour le salut de notre très Chère Ayiti.  Il ne nous reste aucune autre option.  Cependant, comme vous le savez bien, comme le dit le dicton : “Point d’omelette sans casser les œufs.”  L’heure est à la révolution, bien que non pas à la manière des traîtres et des zéros se voulant faire passer pour des héros. La première chose est de débarrasser le minerai si précieux d’Ayiti de ses gangues scories.

12/02/2024

Jean Camille ETIENNE, (Kmi-Lingus)

Arch. Msc. en Politique et Gestion de l’Environnement.

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