HomeActualitéUne question demeure lancinante: pourquoi cet appui sans discernement à Ariel Henry?

Une question demeure lancinante: pourquoi cet appui sans discernement à Ariel Henry?

Published on

Archives

Le monde continue de tourner. La vie persiste et fleurit, comme ces plantes du désert, que rien ni personne ne parvient à éradiquer pour vrai. Tel un chiendent dont le rhizome tenace parvient à s’incruster partout, même dans l’asphalte, même dans le béton, on vit, en Haïti, des moments hors du temps qui semblent défier toute raison. Pour un bref moment, ignorant les dangers qui rôdent en permanence, Kouzen Zaka et Gede Nibo, toute la famille des Gede en fait, avaient envahi nos espaces, du moins, certains de nos espaces, la semaine dernière. C’était le temps des Morts, un espace-temps entre des parenthèses culturelles et religieuses que même les nihilistes au pouvoir et aux alentours du pouvoir, pas mêmes leurs bandits, n’osaient défier tout à fait. C’était un peu comme l’huile et l’eau qui se côtoient, se chevauchent même intimement, sans vraiment se mélanger. Tout cela peut paraître déstabilisant, vu de l’extérieur, à travers les yeux des étrangers.

À nous regarder aller ainsi, les gens en dehors d’Haïti ne doivent pas nous comprendre, vraiment. À mon avis, ils doivent nous étudier comme un cas d’espèce, une bizarrerie hors temps et hors contexte, issue sans doute d’un univers parallèle et qui se serait introduite dans le leur, sans se dépouiller des attributs qui la rendent fonctionnelle, ailleurs, mais qui ne conviennent pas ici, dans ce monde. C’est comme si la logique ne s’appliquait pas à nous ou que la mathématique conventionnelle n’avait pas cours chez nous. Je vais tenter de donner quelques exemples, et on va mieux comprendre mon discours qui peut paraître un peu échevelé. Je soumets seulement quelques questions pour lesquelles je n’ai pas pu trouver de réponses, bien que j’y aie réfléchi assez longtemps.

Lorsque des souliers nous font mal aux pieds, cela ne nous prendra pas longtemps avant de les enlever. C’est le comportement normal que le commun d’entre nous adopte, sans même trop y penser. Alors, expliquez-moi comment deux gouvernements successifs qui nous ont entraînés dans cinq exercices consécutifs de récession peuvent se maintenir au pouvoir et que certains puissent encore militer âprement pour prolonger leur mandat, presque de manière indéterminée, si tout cela doit nous faire si mal, en tant que société? Que des gens ordinaires, pas trop versés dans le domaine de l’économie ou de la politique, se fassent rouler dans la farine, une fois ou deux, passe encore, mais que des gens bardés de diplômes et réputés brillants donnent à répétition dans le même panneau, alors, moi, je donne ma langue au chat, comme on dit.

Normalement, la priorité absolue de n’importe quel gouvernement est de veiller à la sécurité publique, à la garantie que la société, dont il a la charge, pourra protéger ses biens et que la vie des gens est généralement à l’abri des assassins et de violences attentatoires à leur intégrité physique. Néanmoins, puisqu’il faut toujours prévoir des exceptions à la règle de protection en général de la population, pour dissuader les criminels de tous ordres et les contrevenants à ces garanties, le cas échéant, l’État se fait fort de maintenir un système de justice qui traquera les coupables et les pénalisera en conséquence. Cela devrait être la règle normale des choses, et un gouvernement, qui faillit à ces obligations fondamentales, ne saurait donc se prévaloir d’un satisfecit, ni se voir accorder un blanc-seing par ses pairs ou par les instances internationales qui le scrutent. Alors, quelqu’un pourrait-il m’expliquer comment et pourquoi la Communauté Internationale en général et, tout particulièrement les pays du CORE Group, s’obstinent à appuyer le gouvernement inepte d’Ariel Henry, sans tenir compte de son échec total et abyssal, à ce chapitre comme à tant d’autres? Pourtant ils le reconnaissent, avec des chiffres effroyables à l’appui. Le nombre d’homicides en Haïti est passé de 1141 en 2019, à 2183 en 2022; celui des enlèvements de 78 à 1359, pour la même période; du 1er juillet 2023 au 30 septembre 2023, soit en seulement 3 mois, ce nombre est passé à 1239 homicides contre 577 en 2022, pour la même période, soit une augmentation de 244%, selon des rapports de l’ONU. Alors, expliquez-moi, de grâce, pourquoi ces instances veulent, à tout prix, malgré ces performances catastrophiques, maintenir ce gouvernement incapable au pouvoir ?

La Fête des Morts et son cortège de manifestations de Gede, de Kouzen Zaka, de Bawon Samdi, de Marinèt pye sèch et de Grann Brigitte, se sera passée dans l’atmosphère lugubre et inquiétante de fusillades intermittentes, dans de nombreux quartiers du pays. Pendant ce temps, les bandits de Izo prenaient d’assaut le marché de l’abattoir de Gressier. Ce sera un verrou de plus pour cadenasser la Route nationale numéro 2. La plaie, que représente les gangs, s’étale en peu plus en périphérie de Port-au-Prince, en allant vers le sud. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est maintenant de notoriété publique et officiellement reconnu: 80% des quartiers de Port-au-Prince, la capitale, et de ses banlieues, sont sous le contrôle d’une douzaine de gangs armés environ, dont les chefs sont connus et identifiés dans un rapport au Conseil de Sécurité de l’ONU. Noël est déjà au détour, dans moins de 50 jours. Dans quelle atmosphère les fêtes de fin d’année se passeront-elles, cette fois-ci ? Je me le demande, comme tant d’autres observateurs, sans pouvoir proposer une réponse quelconque. Car il ne faudra pas compter sur une quelconque initiative intrinsèque du gouvernement d’Ariel Henry pour prendre charge et contrôler la situation. En cela, il compte presqu’exclusivement sur la venue prochaine des Kényans. 

Les échecs du gouvernement d’Ariel Henry dans tous les domaines de ses juridictions, avoués sans vergogne par ses officiels, reconnus et documentés par des instances compétentes, nationales et internationales, ne pourront pas être effacés tout simplement par la venue d’une force d’intervention kényane de quelque 1000 membres. Si elle vient. Quand elle viendra… L’entêtement d’Ariel Henry, à faire obstacle à toute négociation, n’a d’égal que la suffisance avec laquelle il traite les tentatives, en la matière, entreprises par tant d’interlocuteurs, la CARICOM, en dernier lieu. Ces négociateurs n’ont pas encore compris que, chez nous, la roublardise est considérée comme un signe d’intelligence suprême, et que négocier de bonne foi est une vue de l’esprit, même un signe de faiblesse. Les exemples sont pourtant là et de récentes dates. Il avait fallu trois ans de négociation aux Américains, dans les années 90, avant de s’en rendre compte. Des rencontres entre le Président Aristide et les militaires putschistes, sous l’égide des autorités américaines, n’avaient rien donné à l’époque. Ceux-ci, se pensant en situation de force sur le terrain, n’étaient prêts à faire aucune concession, et les embargos, si pénibles qu’ils furent, notamment sur le pétrole, et aussi sur les armes que nous traînons encore (Résolution 841 de l’ONU, adoptée le 16 juin 1993), n’y firent rien. Périsse la Nation, s’il le faut, pourvu que prévalent leur supposé rapport de force favorable et leurs intérêts myopes ! Et l’on a vu ce que cela a causé par la suite. Il a fallu l’intervention de quelques 20 000 Marines en armes qui ont ligoté sans ménagement des militaires haïtiens, comme de vulgaires bandits, avec des «tight wrap», cela a entraîné l’exil du haut état-major presqu’au complet, notamment du général Cédras, encore vivant à l’étranger, et du major Joseph Michel François (l’autre Micky), aujourd’hui décédé en exil, au Honduras, en 2017, d’une mort subite, dit-on, après avoir été écroué dans ce pays pour trafic de drogues, en dépit de ses dénégations (source Wikipédia). Il y avait eu, alors aussi, une pléthore d’accords, tous, indistinctement, reniés par les militaires au pouvoir. D’abord, celui dit de Washington, du 23 février 1992, ensuite celui du 3 juillet 1993, dit accord de Governor’s Island, ils furent tous répudiés, ignorés, de sorte qu’il ne restait plus aucune autre option que l’usage de la force pour faire plier les putschistes. L’ONU prit alors une autre résolution, plus radicale celle-là, la Résolution 917, le 6 mars 1994, décrétant un embargo total sur Haïti, ce qui devait déboucher, quelques mois plus tard, soit le 19 septembre 1994, à l’entrée en scène des militaires américains. Toutes les méthodes de négociation classique employées: les négociations par intermédiaires, pour aboutir à l’accord de Washington, les négociations en face à face, pour aboutir à l’accord de Governor’s Island, les négociations «de la navette» de Dante Caputo, aboutirent au même constat d’échec. En négociation, les protagonistes haïtiens, en général, campent résolument sur leurs positions et n’en bougent pas d’un iota. Et, lorsqu’ils signent un accord, c’est généralement de la frime, pour bien paraître, sans aucune volonté d’en respecter les termes, surtout la partie qui se considère en position de force. On tourne donc en rond, sans aucune perspective d’une issue négociée de bonne foi. C’est exactement la répétition de ce schème de pensée qui est encore à l’œuvre, aujourd’hui. Les négociations de la CARICOM ne vont donc rien donner. Ariel Henry est convaincu aujourd’hui de tenir le haut du pavé et il maintiendra ses positions, jusqu’à ce qu’il soit trop tard, pour lui aussi, comme ce fut le cas pour ses prédécesseurs. Entre temps, il est déjà très tard pour le pays.

Entendons-nous bien, les sanctions de l’ONU, des États-Unis, du Canada et des autres pays, nous marquent déjà sensiblement. Plus tard, ce le sera encore davantage. Les millions engrangés à l’étranger par tous les pilleurs de fonds publics, qui sont indexés, à juste titre aujourd’hui, et qui ont investi le fruit de leurs rapines à l’étranger, ne pensez pas qu’ils reviendront facilement dans nos comptes publics, parce qu’ils ont été confisqués à l’étranger. Pensez seulement aux millions extorqués par les barons du duvaliérisme, et dites-moi combien sont revenus au pays, depuis 1986 que ce gouvernement a été renversé ? Même un criminel convaincu, condamné in absentia, comme Joseph Michel François, a pu couler des jours, un peu tumultueux, il est vrai, à l’étranger, loin des prisons haïtiennes qui l’attendaient pour le meurtre d’Antoine Izméry, un partisan affirmé du Président Aristide dont il a été reconnu impliqué dans l’assassinat par nos tribunaux.

Je sais que mes questions n’obtiendront pas nécessairement des réponses. Néanmoins, je les partage, en espérant que cela suscitera autant la réflexion. Je sais aussi qu’une des actions généralement proposées, pour clore des situations de catastrophes politiques et sociales aiguës, comme c’est la situation actuelle chez nous et comme ce fut le cas au Rwanda ou en Afrique du Sud, c’est de proposer la mise sur pied d’une Commission de Vérité, de Justice et de Pardon. On y déballe nos souffrances, comme exutoire. On écoute quelques-uns des boucs émissaires, triés sur le volet. Puis, en bons chrétiens que nous ne sommes pas vraiment d’ailleurs, on enterre la hache de guerre, on pardonne les offenses, les crimes et les vols. De sorte que les prédateurs, d’hier et d’aujourd’hui, puissent côtoyer leurs victimes demain, en toute quiétude, sans risques de devoir rendre gorge et payer la rançon de leurs crimes abominables, comme ce fut le cas au Rwanda, en Afrique du Sud ou à Sarajevo, au nom de l’esprit chrétien du grand pardon. J’espère seulement que, dans notre cas, si jamais cela devait être proposé, le troisième volet d’une telle Commission, celui du Pardon, sera exclu de son mandat.

Malgré l’esprit anticipé de Noël qui appelle généralement à la paix, à la sérénité et au pardon des offenses, et bien qu’il soit connu que notre peuple n’a pas beaucoup de mémoire et est plutôt «bon enfant» sur les bords, il importerait, cette fois-ci, que le 3e volet, s’il doit y en avoir un, soit plutôt une demande de Réparation et d’Expiation pour tous ces crimes, tous ces vols et toutes ces rapines, ces détournements de démocratie et de justice, restés trop longtemps impunis. Il faut marquer le temps et signifier, pour les générations à venir, que de tels écarts ne seront jamais sans conséquence et qu’effectivement, le crime ne paie pas, car tôt ou tard, la justice prévaudra. Il faudra alors rendre gorge et payer son dû à la société…

Pierre-Michel Augustin

le 7 novembre 2023

Popular articles

Conférence de commémoration du 199ème anniversaire de la dette de l’indépendance d’Haïti:

" Impact de la dette de l'indépendance dans le sous-développement d'Haïti"Le Mouvement Point Final...

Instabilite

De l'instabilité sociopolitique dégradante aux ingérences des puissances impérialistes occidentales en Haïti, le peuple...

Mythe ou vérité ? Le peuple haïtien, pour son propre malheur, choisirait-il des bandits comme leaders?

 Les analystes politiques prennent le vilain plaisir de culpabiliser les victimes en guise de...

Un Conseil Présidentiel de 7 membres, à la tête du pays, est-ce pour bientôt?

C’est une démarche boiteuse au mieux, bizarre certainement, mais il fallait bien entreprendre quelque...

Latest News

Volte-face au Togo : nouveau camouflet pour la CEDEAO

La CEDEAO traverse depuis plusieurs mois une mauvaise passe. Une situation aggravée ces derniers...

Newsreel

A week after the list of members of the presidential council was published in...

La marche sera très haute pour le CPT, et les attentes de la population tout aussi élevées …

Jusqu’à la semaine dernière, je n’étais pas encore certain qu’il verrait le jour.  Les...