HomeActualitéEncore une fois, la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS)...

Encore une fois, la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) est plutôt mal partie…

Published on

Archives

Décidément, les choses ne sont jamais très simples, même quand elles le paraissent pour le commun des mortels. Et si, en plus, on se donne la peine d’y ajouter quelques tournures d’amateurs pour y mettre sa touche, alors, c’est bonjour les problèmes. Si vous vous souvenez bien, cela fait un peu plus d’un an que, dans un geste assez inhabituel mais pas inédit pour autant, un gouvernement d’un pays réputé souverain, en temps de paix, se déclarait incapable d’assurer la sécurité publique sur son territoire, de protéger ses citoyennes et ses citoyens des attaques perpétrées par de bandits locaux et, du haut de la tribune des Nations Unies, réclamait une intervention robuste de forces étrangères sur son territoire, pour lui redonner le contrôle de la situation. Nous ne parlons pas ici d’une invasion étrangère à combattre, d’une violation de son territoire par un pays ennemi plus puissant ou d’une catastrophe naturelle dont l’impact dépasse nos capacités nationales intrinsèques pour y faire face. Rien de tout cela. Toutefois, la situation est effectivement très préoccupante et préjudiciable pour la population, et l’équipe gouvernementale ne sait pas, ne peut pas ou ne veut pas entreprendre de la gérer par ses propres moyens. Alors, au lieu de convenir de son incompétence ou de son refus de régler le problème ou d’y faire face résolument, auxquels cas, il devrait tout simplement remettre sa démission et laisser à d’autres la responsabilité de s’acquitter de cette tâche, il choisit tout simplement de passer la patate chaude à l’ONU, tout en s’agglutinant au pouvoir, sans rien entreprendre pour résoudre le problème par lui-même.

En cela, il est conforté par l’appui inébranlable, jusqu’à présent, de certains pays de la Communauté Internationale. On dirait bien que cela leur pue au nez, assez pour qu’ils n’osent y toucher, de peur de s’en éclabousser. Même l’ONU s’y refuse, cette fois. La liste des missions onusiennes en Haïti, au cours des dernières décennies, est très longue mais, en revanche, les résultats obtenus sont très minces. MINUHA (1993-1996); MANUH (1996-1997); MITNUH (1997); MIPONUH (1997-2000); MINUSTAH (2004-2017); MINUJUSTH (2017-2019; BINUH (2019 et en cours). Ces missions se sont succédé sans rien changer à la situation, l’empirant même, à bien des égards. Juste pour être bref, Haïti se classait au 150e rang sur 173 pays, en 2004, selon Amnesty International. En 2021, le pays se classait au 163e rang sur 191 pays dans le monde, par rapport aux mêmes indices de développement humain. On constate facilement un recul de 13 places dans ce classement. Il est donc clair que les interventions étrangères au pays, même sous mandats onusiens, n’ont rien contribué pour améliorer la situation, bien au contraire. Sous la supervision de ces différentes missions onusiennes, les choses se sont empirées et le pays est tombé sous la coupe de gangs, alimentés en armes et en munitions made in USA, largement en provenance de ce pays, la PNH est incapable de remplir sa mission, la justice est inopérante, les institutions sont dysfonctionnelles, il n’y a plus un seul élu dans aucun des postes électifs au pays. Bref, c’est un chaos total, pendant toute cette période d’accompagnement ou de supervision de l’ONU.

Toutefois, la Communauté Internationale s’y sent assez confortable pour maintenir son poulain au pouvoir, même si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Alors, il lui faut trouver un sous-contractant pour faire la besogne à sa place. Les États-Unis sont parvenus à convaincre le gouvernement du Kenya à venir s’y mouiller et à prendre le leadership d’un groupe d’intervention multinational en Haïti, pour continuer à pratiquer la même stratégie qui a conduit le pays dans cet abîme. La première pierre d’achoppement consistait en l’obtention d’une Résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, autorisant cette intervention multinationale en territoire haïtien. Cela a pris un an à la contourner, en obtenant, à l’arraché, l’abstention de la Russie et de la Chine qui s’y étaient opposées auparavant. Une opposition d’un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité aurait torpillé la démarche et tué dans l’œuf la nouvelle mission étrangère en Haïti. Alors, cette fois-ci, les Russes et les Chinois se sont abstenus. Ils ne sont ni pour, ni contre, bien au contraire. On saura, en temps et lieu, quel a été le marché conclu avec eux pour obtenir ce vote d’abstention. Alors, de ce côté, on était plus que satisfait du résultat obtenu. On se congratulait à qui mieux-mieux. En Haïti, encore un peu, on aurait sabré le champagne. Le Gouvernement d’Ariel Henry, au grand complet, se réunissait en Conseil des Ministres pour prendre acte de cette Résolution de l’ONU qui allait résoudre tous les problèmes auxquels il était confronté. Et je dis bien: tous les problèmes. Sous le haut patronage du Haut Conseil de la Transition (HCT), le gouvernement convoquait un point de presse au Palais National, et, à cette occasion, on avait permis à sa Présidente, Mme Manigat, de prendre la parole, ce qu’elle n’a pas manqué de faire. Sans doute qu’on avait oublié de valider le texte qu’elle devait lire, en la circonstance, toujours est-il qu’elle a dû se mêler un peu dans ses pinceaux. Dans un mélange assez confus, elle a rappelé les problèmes existentiels de la population dont certains membres doivent se réfugier aujourd’hui sur les places publiques, dans des écoles, sous des bâches et même dans des cimetières, en compagnie des morts. Elle les a comparés à ceux du HCT dont les bureaux sont inadéquats et dont le budget de fonctionnement était une pitance. Elle a même semblé regretter que le pays en soit rendu à demander une intervention étrangère qui n’aurait pas été nécessaire, selon elle, bien qu’elle ait été réclamée à répétition par le Gouvernement, si on avait daigné concéder au pays, quelques-uns des nombreux milliards, en aide de toute sorte, dévolus à l’Ukraine. Un couac, vous pensez ? En tous cas, les applaudissements ne fusaient pas dans les rangs du Gouvernement derrière elle. En voilà au moins une, dans cette engeance, qui se bouche le nez pour avaler la pilule amère, tandis que d’autres, autour d’elle, professent d’en raffoler. Évidemment, les ténors des pays du CORE Group n’en demandaient pas plus. Les États-Unis vont donner 100 millions de dollars pour cette Mission mais, si l’on ajoute les dépenses d’intelligence, de logistique et autres, cela fera un gros 200 millions de dollars US. Voilà qui devrait commencer à faire plaisir à Mme la Présidente du HCT. On est loin des quelques milliards souhaités et enviés, mais… Petit poisson deviendra grand… Le Canada aussi passera à la caisse. On n’en sait pas encore le montant, rajusté en fonction de cette dernière nouvelle, mais l’on avait déjà annoncé 100 millions de dollars canadiens, en mars dernier. Mme Mélanie Joly, la Ministre des Affaires Étrangères, promet que le Canada en fera plus. Combien ? On le saura plus tard.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU avait à peine donné son feu vert au déploiement de la force multinationale, sous le leadership du Kenya, que la Cour Supérieure de ce pays levait, de son côté, un drapeau rouge, sans ambiguïté. Pendant que le Ministre des Affaires Étrangères du Kenya, M. Mutua, indiquait, avec une certaine assurance à la BBC, que la force kenyane «devrait être en Haïti, dès le 1er janvier 2024, si ce n’est pas avant», le juge Chacha Mwita, de la Haute Cour du Kenya, émettait une ordonnance conservatoire, empêchant le déploiement des 1000 policiers kenyans en Haïti. La légitimité de la mission kenyane en Haïti avait été soulevée par un parti membre de l’opposition, l’Alliance de la 3e Voie, qui a déposé une pétition devant la Haute Cour qui a été saisie du dossier. Le recrutement des 1000 policiers kenyans devant faire partie de la MMSS est suspendu jusqu’au 24 octobre de cette année, date à laquelle le dossier serait entendu et que la Haute Cour statuerait sur la question. Là-bas, au Kenya, déjà les couteaux volent bas. Selon un article publié hier, le 9 octobre, par Boucan News, dans le libellé de la pétition déposée par les leaders de l’Alliance de la 3e Voie: MM Ekuru Aukot et Mururu Wawerun, il est stipulé que: « Il n’y a pas eu de réunion du Cabinet et il n’y a pas eu de mémo/résolution du Cabinet pour prouver que la procédure régulière avait été respectée.» Par ailleurs, la participation de policiers kenyans dans une mission outre-Atlantique, à 12 000 kilomètres de leurs frontières, est très loin de faire l’unanimité dans la population kenyane, et l’opposition politique, flairant cette possibilité de mousser son support et d’affaiblir le gouvernement du Président William Ruto, ne rate pas cette occasion d’exploiter cette filière. Tout cela pour dire que ce dossier de déploiement de la MMSS en Haïti est tout, sauf bien ficelé. Et l’assurance, donnée par le Chancelier kenyan, semble, au demeurant, assez fragile et prématurée.

La nouvelle de cette rebuffade de l’opposition kenyane, au déploiement des policiers de ce pays, est aussi parvenue en Haïti. Pour le moment, la discrétion est de mise, et le silence est de rigueur dans les rangs du gouvernement. Parions que Mme Mirlande Manigat n’en sera pas trop fâchée, même si le gouvernement, malgré le stoïcisme affiché, pourrait en être un peu ébranlé. Il semblerait que l’on mise beaucoup sur la venue de cette force étrangère, pour la suite du copieux programme que se propose de réaliser ce gouvernement, avant de devoir tirer sa révérence, Dieu seul sait quand. En attendant la décision de la Haute Cour de Justice kenyane, le Haut État-Major de la FAd’H procède actuellement à un recrutement de cadets. On n’en sait pas encore le nombre mais on connaît les critères pour leur recrutement. Entre autres, il faut pouvoir parler l’espagnol. C’est une indication claire quant à la destination pour cette formation ou quant à l’origine des instructeurs. Par ailleurs, c’est une formation de 4 ans, donc on va former des académiciens, des officiers, pour encadrer les soldats d’une armée qu’on ne peut pas mobiliser aujourd’hui pour répondre aux urgences sécuritaires de l’heure. Dans quatre ans, lorsqu’ils en sortiront frais émoulus, ils paraderont, sans doute, sur le Champ-de-Mars, en compagnie des frères et sœurs d’armes d’origine kenyane, si jamais ceux-ci finissent par arriver au pays, au 1er janvier 2024 ou quelques temps après. Entre temps, nos policiers sont en sous-effectif, ils sont sous-payés et doivent faire face, aujourd’hui et demain, aux attaques des gangs de bandits qui les délogent de leurs commissariats qu’ils incendient après. C’est à se demander parfois, qui, dans ce gouvernement, analyse la situation et détermine les priorités de dépenses et les urgences à régler.

Il paraîtrait que plusieurs observateurs soient encore dubitatifs, quant à la venue éventuelle des policiers kenyans au pays. Le Professeur Ricardo Seitenfus en serait un, bien qu’il soit convaincu qu’un «appui international aux forces de sécurité haïtiennes soit nécessaire, utile et indispensable. Toutefois, il serait également d’avis que l’adoption de la résolution du Conseil de Sécurité, autorisant le déploiement de la MMSS, ne signifie pas que nous soyons «sortis du bois» ou que la Mission se concrétisera à brève échéance, si jamais elle se réalise. En effet, une fois l’obtention de la sanction positive de la Haute Cour de Justice obtenue, après le parcours du combattant que fut celle de la Résolution du Conseil de Sécurité, il faudra ensuite, recruter les troupes, les former et les préparer par rapport à leur déploiement dans un environnement haïtien qui ne leur est pas familier, au niveau géographique, linguistique et culturel. En effet, il ne suffit pas d’être un Noir pour se fondre dans un autre environnement d’ascendance majoritairement africaine ou Noire et performer efficacement dans un combat de type guérilla urbain. La logistique, qui devra supporter cette force d’intervention, devra être inventée de toute pièce, et le cantonnement pour les accueillir et les installer sera un vrai casse-tête que les Américains devront contribuer à résoudre, puisqu’ils sont l’instigateur principal de cette Mission kenyane. Et l’on n’a pas encore abordé la nécessaire coordination avec les forces de police haïtienne et avec les autres forces de police ou militaires qui s’y grefferont, en provenance de plusieurs petits pays de la Caraïbe ou de pays africains, culturellement et politiquement disparates.

Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres encore non abordées dans ce texte, je ne pense pas que l’on voie le bout de ce sombre tunnel de sitôt. Décidément, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent au départ, et elles risquent même de dégénérer encore davantage et pendant plus longtemps, avant de commencer à en apercevoir l’issue. Il en est ainsi, parce que nous déléguons, à d’autres, la responsabilité qui est nôtre, d’une part, et d’autre part, celles et ceux qui sont à la tête du pays ou bien n’en ont cure ou bien ne savent pas quoi faire pour y remédier.

Pierre-Michel Augustin

le 9 octobre 2023

Popular articles

Conférence de commémoration du 199ème anniversaire de la dette de l’indépendance d’Haïti:

" Impact de la dette de l'indépendance dans le sous-développement d'Haïti"Le Mouvement Point Final...

Instabilite

De l'instabilité sociopolitique dégradante aux ingérences des puissances impérialistes occidentales en Haïti, le peuple...

Mythe ou vérité ? Le peuple haïtien, pour son propre malheur, choisirait-il des bandits comme leaders?

 Les analystes politiques prennent le vilain plaisir de culpabiliser les victimes en guise de...

Un Conseil Présidentiel de 7 membres, à la tête du pays, est-ce pour bientôt?

C’est une démarche boiteuse au mieux, bizarre certainement, mais il fallait bien entreprendre quelque...

Latest News

Volte-face au Togo : nouveau camouflet pour la CEDEAO

La CEDEAO traverse depuis plusieurs mois une mauvaise passe. Une situation aggravée ces derniers...

Newsreel

A week after the list of members of the presidential council was published in...

La marche sera très haute pour le CPT, et les attentes de la population tout aussi élevées …

Jusqu’à la semaine dernière, je n’étais pas encore certain qu’il verrait le jour.  Les...