HomePerspective & PolitiqueQuel bilan pour le gouvernement d’Ariel Henry, après plus de 24 mois?

Quel bilan pour le gouvernement d’Ariel Henry, après plus de 24 mois?

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Lorsqu’au lendemain de l’assassinat du Président Jovenel Moïse, le Premier Ministre par intérim, Claude Joseph, s’était accroché à son poste et semblait déterminer à le garder, envers et contre tout, d’aucuns appréhendaient le pire pour le pays. Le Dr Claude Joseph ne semblait pas avoir l’étoffe pour cette charge et, en plus, il semblait un peu porter sur les fanfaronnades et les coups d’éclats, rien de très recommandable à ce niveau élevé de responsabilité. Il faut dire aussi que l’ex-Président Jovenel Moïse, lui non plus, ne payait pas de mine, à cet égard. Mais, même là encore, on semblait perdre au change. La toute dernière bévue publique du Dr Joseph, à mon point de vue, fut sa précipitation pour aller accueillir la Première Dame, de retour de son traitement aux États-Unis après l’assassinat de Jovenel Moïse, et la rebuffade publique essuyée, aux mains de la sécurité rapprochée de Martine Moïse. Pour moi, il y a de ces détails protocolaires qui comptent beaucoup et, y déroger, ne serait-ce qu’un peu, en dit long sur l’étoffe dans laquelle l’on a été taillé. Ce n’était que du décorum, de la prestance publique, me direz-vous, mais quand même… Alors, lorsque Ariel Henry finit par prévaloir et le supplanter, d’aucuns avaient espéré que ce dernier serait un meilleur parti que son jeune collègue un peu trop fringant et encore mal dégrossi.

Arriva alors le moment de la ratification de la nomination d’Ariel Henry comme Premier Ministre et, tout de suite après, on commença à braquer le projecteur sur ce personnage et sa feuille de route. Son curriculum n’a rien à envier à celui d’aucun de ses concurrents potentiels, et celui de nos deux derniers présidents élus, Moïse et Martelly, leur feraient pâlir d’envie à côté du sien. M. Henry est médecin spécialisé. Il détient un doctorat en médecine de l’université de Montpellier, en France, en 1982. Puis, il se spécialise en neurochirurgie, en neuropathologie, en neurophysiologie. Enfin il décroche en passant une maîtrise en santé publique, option santé internationale. En dehors de ses activités professionnelles, il enseigne aussi dans plusieurs universités tant en Haïti qu’à l’étranger. Dans le milieu politique, il n’est pas un nouveau venu non plus. Il fait ses premières armes au bas de l’échelle, en tant que membre du cabinet politique du ministre de la Santé, en 2008. Puis, il se démarqua assez pour devenir le chef de cabinet du ministre de la Santé, Dr Alex Larsen, jusqu’en 2011. Il connut une période d’éclipse politique entre 2011 et 2014 puis, il remonta en selle en 2015, entre janvier et septembre, comme ministre de l’Intérieur. Puis, de septembre 2015 à mars 2016, il devint ministre des Affaires Étrangères. On ne peut donc pas dire que M. Henry est parachuté au pouvoir à partir de nulle part. Il est bien équipé académiquement, professionnellement et politiquement. Et, lorsqu’il accepta la charge de Premier Ministre de facto, il n’était pas une verte recrue imberbe, à tâter les manettes du pouvoir. Voyons maintenant ce qu’il en a fait. Quel est son bilan après 25 mois au pouvoir?

Les mauvaises langues, mais pas seulement ces dernières, vous diraient que son bilan est nul, à tous les domaines. Comme quoi, ses diplômes en médecine ne garantissent pas une transposition réussie en politique et surtout en administration publique. Mais, pour en convenir, je ne prendrai que cinq indicateurs principaux: la sécurité publique, l’économie, la santé publique, l’agriculture et le tourisme. On aurait pu ajouter l’éducation, l’énergie, les relations internationales mais cela ne changerait pas grand-chose au portrait global.

La sécurité publique était déjà mauvaise au moment de l’accession du Dr Henry, à la Primature. Martissant, Village-de-Dieu, Cité-de-l’Éternel étaient des zones de non-droit notoires. La Route Nationale numéro 3 était impraticable car elle était détenue par des bandits que la PNH ne parvenait ou ne se résolvait pas à déloger de Martissant, pour toutes sortes de raisons. 25 mois plus tard, ce n’est guère mieux. Même que cela a empiré. Aujourd’hui, la liste s’est allongée. Il faut désormais y ajouter, Tabarre, Croix-des-Bouquets, Canaan. Le problème a aussi migré dans le département de l’Artibonite, et la Route nationale numéro 1 est devenue de moins en moins sûre. Plus récemment encore, la semaine dernière, Savane Pistache et Carrefour-Feuilles ne sont plus des zones protégées par la Police et le gouvernement d’Ariel Henry reconnaît publiquement et officiellement avoir perdu le contrôle de ces zones. Les massacres deviennent des faits divers que l’on oublie trop vite. Celui de Canaan, c’était il y a deux semaines mais déjà il ne fait plus la Une. Il est détrôné par les assauts mortifères et incendiaires des bandits de Grand-Ravine sur Carrefour-Feuilles. Hier encore, on apprenait que le Gouvernement haïtien abdiquait ses responsabilités à la frontière à Belladère et aurait demandé au Gouvernement dominicain, de bien vouloir fermer la frontière à cet endroit pour lui, car il concède avoir perdu également le contrôle de la douane, de la sécurité et de l’immigration à ce poste frontalier. Alors, ce gouvernement ne peut obtenir la note de passage pour cet indicateur. Je lui accorderais un maigre 2 sur 10 et le recalerais volontiers, s’il ne tenait que de moi et que de la note pour cet indicateur.

Passons maintenant à l’économie. Certaines mesures drastiques ont bel et bien été prises par ce gouvernement pour redresser la barque de l’économie du pays. Notamment, il a décrété l’annulation de la subvention aux carburants. Mais, avec quelle maladresse, quelle insensibilité, sans aucun ménagement, tout particulièrement pour les plus vulnérables de la société: en doublant et même un peu plus les prix du carburant! La population eut beau protester, manifester et tempêter, mais rien n’y fit. Cette mesure structurelle était nécessaire, certes, mais les modalités de son application ne devaient pas être aussi brutales. Cela a eu son impact transversal sur toute l’économie du pays, et le coût de la vie a augmenté considérablement, pour tout le monde, mais sans commune mesure et de façon disproportionnée pour les plus vulnérables de la société. Toutefois, malgré cet ajustement structurel important, le gouvernement d’Ariel Henry, pour sa première année au pouvoir, a enregistré un déficit de 34 milliards de gourdes. À l’époque, on imputait pas moins de 20 milliards de gourdes de ce déficit à la subvention de l’État pour l’utilisation des carburants, ce qui était le principal justificatif de cette correction sans ménagement. Eh bien, un an plus tard, la Lettre de Cadrage du Ministre des Finances confesse ceci: on avait anticipé pour l’exercice de 2022-2023 une augmentation modeste, pour ne pas dire famélique du PIB, de l’ordre de +0,3%, mais, au lieu de cela, on aura enregistré une autre diminution du PIB de -0,4%. Le Ministre confesse que 4,9 millions de ses compatriotes sont techniquement en situation de famine. Il le reconnaît candidement mais impute la responsabilité, pour la majeure partie, à des causes externes comme, le changement climatique, le coût des carburants et la guerre en Ukraine, comme si la Dominicanie qui partage pourtant la même île que nous et qui s’en tire beaucoup mieux, n’était pas également assujettie aux mêmes conditions dénoncées. Notre gourde a subi une décote substantielle, passant à environ 140 gourdes pour 1 dollar américain et, malgré cela, nos exportations ont encore chuté de 21,8 %, au cours de la dernière année. Le taux d’inflation moyen, publié par Gazette – Haïti s’établit à 48,2 % pour la période, en mars 2023. Toutefois, le déficit budgétaire annuel a diminué, il passerait de 34 milliards de gourdes à environ 8 milliards de gourdes pour l’exercice. Mais, à quel prix? Des lambeaux de prévisions budgétaires ont dû être laissés en plan, et ces dépenses en sécurité publique, en assainissement et voirie, en fonctionnement administratif, en éducation et en soutien au développement agricole, budgétées mais non réalisées, n’étaient pas du luxe. Ce sont autant d’hypothèques sur l’avenir du pays que l’on devra un jour compenser, si l’on veut avancer. Peut-on dire que cet indicateur est dans le positif? Je crois fermement le contraire.

S’il y a un secteur qui a morflé terriblement, c’est bien la santé publique. Des hôpitaux publics ferment ou fonctionnent quand ils peuvent. Certains le font par manque de ressources humaines car les médecins, les infirmières, les techniciens optent en masse pour le plan Biden et quittent le pays. D’autres le font en raison de l’insécurité car les médecins ne sont pas épargnés par l’épidémie de kidnapping. Et puis les alentours des hôpitaux deviennent de plus en plus des lieux risqués. Des balles perdues se retrouvent de temps en temps dans l’enceinte même des hôpitaux. On a même enregistré au moins un cas où un blessé par balles en cours d’opération, est sorti de force d’un hôpital par des truands d’un gang ennemi pour se faire achever. Et quand il y a 4,9 millions de gens qui ne mangent qu’à l’occasion, alors, la santé pour eux, c’est une vue de l’esprit. On avait fait grand bruit également d’une ré-éclosion de l’épidémie de choléra, ce qui avait ému la Communauté Internationale beaucoup plus que les crimes qui se commettent sur le territoire. Et pour cause, car les microbes ne demandent pas de passeport, eux, mais les bandits, si. Alors, dans ce cas, les microbes, les épidémies sont des risques de propagation plus graves pour les pays avoisinants que les bandits qui massacrent leurs congénères. Selon un article publié par la Banque Mondiale, «Les dépenses du gouvernement haïtien pour le développement humain sont les plus faibles dans la région Amérique latine et Caraïbes, et ce manque de soutien contribue aux faibles niveaux de capital humain et aux dépenses personnelles élevées des pauvres.» Il y a donc un lien, un rapport direct entre le budget du pays qui fait des économies d’investissement en matière de santé publique, des économies de bouts de chandelle pour ainsi dire, probablement pour satisfaire les prescriptions de management économique du FMI. Pour ce secteur, comme pour la sécurité publique, c’est la faillite absolue.

En agriculture, comme pour n’importe quel autre secteur économique, la production ne peut pas être déconnectée totalement de la distribution, de l’accès aux marchés, de la commercialisation. Mais, lorsque les voies publiques ne sont plus sures, lorsque les Madan Sara sont kidnappées par des gangsters sur la voie publique, l’agriculture devient alors un passe-temps peu rentable. Cela n’est qu’un bout de la lorgnette. Le développement agricole nécessite des plans macros, des politiques d’État et des investissements conséquents en infrastructures agricoles comme la construction de canaux d’irrigation pour arroser des terres cultivables, la disponibilité des engrais pour optimiser les terres mises en culture, les supports financiers aux entrepreneurs dans le domaine de la production et de la transformation des récoltes, sans compter leur accompagnement par des techniciens fournis par l’État, à ces différents stades. Mais rien de tout cela n’est entrepris, voire envisagé. Je regardais encore en entrevue, les complaintes de l’ex-sénateur Jacques Sauveur Jean, quant à la politique agricole du gouvernement en 2021. Quelle politique, se questionnait-il ? C’était vrai en 2021, et ce l’est encore davantage en 2023. Et, d’année en année, le pays est de plus en plus dépendant des importations pour son alimentation quotidienne, tandis que ses exportations en denrées agricoles se ratatinent de plus en plus, année après année, parallèlement. Ce gouvernement n’a rien fait en ce domaine, pour redresser la barre. Pour cet indicateur aussi, c’est la faillite.

Il reste alors le tourisme, pour marquer un point plus ou moins positif pour ce gouvernement. C’était d’ailleurs le seul domaine qui aurait pu marquer, à l’encre forte, le passage du PHTK, surtout la première version de ce mouvement politique, au timon du pays. Mais alors, c’est la débâcle absolue dans ce secteur également. Air Canada ne vole plus vers Haïti. De moins en moins, les compagnies aériennes font le détour vers Port-au-Prince où le Cap-Haïtien, et celles, qui s’y hasardent encore, exigent des prix exorbitants aux rares passagers qui s’y risquent. La plupart des pays, dont les ressortissants visitaient Haïti, les découragent fortement d’y aller, en raison des violences, de l’insécurité publique en cours, de l’incapacité des forces de l’ordre de garantir la sécurité des gens, de la faiblesse des systèmes de santé et de la faillite totale du gouvernement et des institutions du pays. Par le passé, lorsque les touristes étrangers ne pouvaient pas se rendre en Haïti, pour toutes les raisons précitées, les Haïtiens vivant à l’étranger y allaient quand même. Il y avait des rendez-vous culturels, des fêtes patronales, le carnaval et que sais-je qui les y attiraient en grand nombre. Des avions bondés de «Diaspora» à la retraite, des vrais guichets ATM sur pattes, faisaient le bonheur des parents et amis restés au pays, et , nostalgie aidant, se satisfaisaient quand même du peu de confort, des blackout incessants et du manque de liaison internet. Même les maringouins avaient un certain charme, pour celles et ceux qui revenaient au bercail, pour un court moment, un certain rappel des temps passés. Men, lakay, se lakay! Eh bien, même cela, mêmes ces équipées, aujourd’hui, deviennent de plus en plus rares, car trop dangereuses pour celles et ceux qui s’y exposent. Alors, on a mis le tout sur pause, pour le moment.

Si ce gouvernement échoue lamentablement tous les indicateurs de performance, même les plus fondamentaux, si l’immobilisme s’installe de plus en plus depuis plus de 25 mois de gouvernance ariéliste, si les perspectives sont de plus en plus sombres et funestes pour le pays, au point de contempler les possibilités d’une guerre civile ou d’un massacre à grande échelle, alors, comment pouvons-nous expliquer le soutien inébranlable des pays du CORE Group, à son endroit, sinon qu’en raison de leur volonté de modifier la Constitution pour pouvoir faire main basse légalement sur les dernières ressources souterraines du pays, s’il y en a, et de réduire la population locale restante, au servage et à la domesticité, un peu comme cela se voit ailleurs dans quelques îles du voisinage ? Cyniques, ce bilan et ces constats, me diriez-vous? Faites un micro-trottoir, à vos risques et périls, dans Port-au-Prince et ses environs, et vous m’en donnerez des nouvelles.

Pierre-Michel Augustin

le 5 septembre 2023

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