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Haïti: Élections «mò rèd depi opa»

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En choisissant ce titre, j’avais, dans un coin de la tête, cette pensée de Balzac: «Les titres des livres sont
souvent d’effrontés imposteurs. Qui n’a eu à maudire leurs mensongères annonces et cet art de bateleur
qui promet, pour ainsi dire, sur l’enseigne d’un ouvrage ce que l’on ne trouvera pas dedans». C’est bien, en
tout état de cause, que le choix soit assumé. Ce titre fait référence à un jeu typiquement haïtien: « Jwèt
mab», Kannik, pour les gens du Grand Nord. Ce jeu ne suit pas les mêmes règles que le jeu de billes que
vous trouverez sur WIKIHOW.COM. «Mò rèd depi opa» ne signifie pas non plus perdu d’avance. Si vous
êtes pessimiste, lisez les tweets de l’ambassadeur Dan Foote, les leaks sur les faux sondages ou les
rapports sur le rôle de l’OÉA dans les élections d’Evo Morales en Bolivie. Si vous êtes plutôt dans la
perspective de ces lutteurs de la paysannerie et des bidonvilles qui, en réponse à ce système répugnant, se
disent «Y ap mete pyèj. N ap mete may».
Voyons comment gagner, lors des prochaines élections. Prédiction d’horoscope, direz-vous, car
quoi qu’il advienne l’annonce se réalisera, mille fois. Non, on ne plaisante pas avec des sujets aussi
importants. L’histoire des élections en Haïti, tout le monde en parle. De bouche à oreille, nous avions
beaucoup entendu et même retenu que chaque élection a un qualificatif qui en dit long sur sa réalisation.
Élections pike kole, chauve-souris, à la piscine, grenn soulye, etc. Il suffit de voir le profil des élus, pour
être convaincu que la majorité des Haïtiennes et des Haïtiens étant sensés, il doit y avoir un problème
quelque part. N’oubliez pas que nous vivons dans un «État» où la loi du silence est la pierre angulaire de
ce système. Ce n’est plus un hasard qu’il n’y ait aucun rapport factuel sur les élections passées. La
confusion est entretenue pour que le manège continue de tourner. Les gardiens du système misent sur
l’amnésie collective. Ainsi, reprendront-ils les mêmes manigances, en temps et lieux. Qui gagnent lors
des élections ? En apparence, c’est simpliste. Vous pouvez verser dans la caricature et dire que ce sont les
« A » qui font gagner: l’Argent, les Armes et autres Artéfacts. On vous répondra sans façon, c’est pareil
partout où règne une démocratie de pacotille (bò katedral). Cependant, vous y verrez plus clairement, en
faisant une simple corrélation, entre les élus et le parti au pouvoir, entre le parti et la volonté de défendre
certains intérêts particuliers du CORE Group. Malgré cela, cette approche n’est pas suffisante et encore
moins nécessaire. Changez de grille d’analyse, en considérant que toute activité engendre des «output» et
des «outcome», ou si vous préférez: des résultats et des impacts. Voilà une manière de voir les résultats
autrement. Une fois les résultats proclamés, au-delà des contestations (justifiées, injustifiées et
quelquefois stratégiques), on commence à faire des constats. Certains élus vont être vite désenchantés
pour plusieurs raisons. Les électeurs, dans un premier temps, puis les partis politiques, dans un deuxième
temps, vont constater la trahison des élus. Le mandat appartient au parti, avait-on écrit dans une certaine
loi, les militants du parti constateront l’inutilité de leur vote, quand l’élu rejoindra le camp adverse. C’est
l’exode au sein de parti pour voler au secours de la victoire, nonobstant que Fusion, KID et autres se
soient fait une spécialité dans ce domaine.
Qui perd, gagne. Le gagnant achète sa paix. Le perdant vend son silence. Que le spectacle
commence ! Personnellement, pour les élus, il y aura des gains proportionnels à la pudeur, l’audace,
l’habilité, le savoir-faire et autres tares qu’ils détiennent dans leurs besaces: revenus sur attribution de
postes de directeur, courtage et même transport de produits dangereux. Les outcome sont des résultats ou
effets, à moyen et à long terme. Pour mieux observer les outcome, il faut se référer aux enjeux des
élections. Élections et démocratie sont liées, une des meilleures références est dans l’article 21,
paragraphe 3, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme: «La volonté du peuple est le
fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui
doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure
équivalente, assurant la liberté du vote». On peut connaître les enjeux d’une élection, à partir des thèmes
de campagne électorale. Tout cela vous semble assez éthéré, d’ailleurs, comment savoir lorsqu’on a des
candidats aphones, d’autres qui n’ont pas de programmes, etc. C’est probablement sous-estimé que le
mutisme et l’absence de programmes sont des messages sonores. Il manque une pièce au puzzle, le

groupe des gagnants. Feu, Son Excellence Monsieur Jovenel Moïse, Président de la République, s’était
fait une réputation de mythomane, le mal-aimé. On ne savait pas quand il était dans l’imaginaire, dans la
réalité ou en plein déni, mais ses actions sont d’éloquents témoignages. Souvenez-vous de sa campagne
après le passage du cyclone Matthew dans le Sud et la Grand’Anse. Distribution en «gran jan» de toutes
sortes de produits de première nécessité. Les vrais gagnants sont discrets. On les aperçoit quand une
institution publique est obligée de révéler qui est bénéficiaire d’un contrat léonin, qui a eu un prêt/cadeau
à l’ONA, à la Banque Nationale de Crédit ou à telle autre institution qui fait des prélèvements sur les
pauvres pour les offrir aux riches ou aux gangs qui sont les gardiens de l’ordre établi. Toujours les
mêmes, vendant des crocodiles empaillés à tous les gouvernements. Jovenel Moïse, même outre-tombe,
reste bavard. Écoutez les raisons que les fesse-Mathieux, épinglés aux USA, ont avancées comme
mobiles de son assassinat. Ils allaient bénéficier de juteux contrats. Pour cette catégorie, élections ou coup
d’État ont le même but. Que faire ? La population et les partis politiques devraient capitaliser sur les
expériences cumulées au cours des dernières élections, pour enrayer ce cycle infernal. Les non-votants,
depuis un certain temps, sont majoritaires dans les élections tenues à tous les niveaux. Le refus de voter
est donc devenu un vote pour le pire, facilitant le jeu des tenants du système.
L’offre politique a considérablement augmenté, au cours de ces dernières années, quand on
considère le nombre de partis politiques qui se sont lancés dans l’arène. Le fait de sauter les verrous qui
entravaient la formation des partis politiques, a eu comme effets, entre autres, la banalisation de ces
institutions Ô combien importantes pour la démocratie. On se moque des citoyens qui pensent qu’intégrer
un parti politique est un acte courageux et même un devoir pour celles et ceux qui s’assument être
Haïtiens et qui pensent, à travers ces structures, promouvoir les idées de progrès pour la société. Les
donneurs de leçons parlent du grand nombre de partis politiques comme un problème majeur pour
l’implantation de la démocratie en Haïti. L’Italie compte des milliers de partis politiques presqu’autant
que les clubs de football. Personne ne trouve que cela gêne. Croître ou disparaître est bien une loi
naturelle. Les interdits et la coercition ne sont pas les meilleures méthodes pour promouvoir la
démocratie. Pour garantir la pérennité du système répugnant qui fonctionne en Haïti, on n’hésite
nullement à travestir les bonnes pratiques qui ont lieu ailleurs. Si vous voulez avoir une idée de ce que
peut être le summum de la malhonnêteté intellectuelle, bien sûr, lisez la loi du 12 ou 23 avril 2012,
portant sur la formation, le fonctionnement et le financement des partis politiques. Comparer à ce qui se
fait ailleurs, vous remarquerez dans les autres pays, on édicte des lois pour renforcer les partis politiques,
pour leur transférer des ressources afin d’éviter que ce soit l’argent sale qui influence les choix politiques.
Malencontreusement en Haïti, cette loi vient officialiser la corruption, renforcer la dépendance des partis
politiques envers les forces malfaisantes. On se demande, quelles feuilles auraient fumé celles et ceux qui
ont apposé leur signature à cette loi. Comment peut-on être à ce point sans égard pour soi-même, pour ses
ancêtres et sa descendance? Salut aux parlementaires Dieuseul Simon Desras, Steven Benoît, Jean Tolbert
Alexis et Co. En Haïti, on attendra désespérément, si on s’imagine qu’un parlement pourra élaborer une
loi utile et progressiste sur les partis politiques, comme c’est le cas dans plusieurs pays qui ont mis ces
institutions hors de portée des trafiquants de toutes sortes. Les acteurs politiques actuels, la société civile
et nos inconditionnels amis, s’ils ne sont pas tous des hypocrites, ils pourraient se mettre ensemble pour
aider les autorités à formuler un décret-loi digne, sur les partis politiques, comme c’est le cas dans tous les
pays ayant une démocratie fonctionnelle. Si les partis politiques ne peuvent pas défendre leur autonomie,
leur droit d’évoluer sereinement, comment peuvent-ils être utiles à l’implantation de la démocratie en
Haïti? Il y a là une opportunité. On verra qui est confortable dans le statu quo, qui est un véritable porteur
de changement.
En attendant, limen balèn lan pou mwen, pas comme Diogène… Sodo nou prale, limen balèn
lan pou mwen. Nou prale… (Azor, Rasin Mapou).
Guy Craan MD M. Sc.
[email protected]

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