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Le bilan économique et financier du pays, au 31 décembre 2022

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Avec les premiers jours de l’année reviennent généralement certains rituels. On fait un bilan, on
prend des résolutions. Si ces dernières sont assez peu respectées, généralement, il n’en va pas de
même du premier. On a beau dire, on a beau faire, les résultats sont là pour nous contredire, si
jamais on a le front de soutenir une autre réalité, perçue à travers les brumes de lunettes fumées.
Qu’on le veuille ou non, nos finances parlent encore à tue-tête et couvrent le tintamarre de
phrases creuses, proférées inconsidérément par nos politiques qui se croient plus malins que tout
le monde, pour essayer de leur faire dire le contraire de ce qu’elles traduisent et que tout le
monde comprend, sans trop d’explication. Après tout, il n’y a rien comme le train-train quotidien
pour nous mettre en pleine face la réalité de la vie.
En économie, généralement, lorsqu’un pays connaît deux trimestres consécutifs de
diminution substantielle de son Produit Intérieur Brut (PIB), cela se définit comme une situation
de récession classique. C’est un signal d’alarme, une alerte pour les autorités politiques et
économiques du pays, comme une ampoule au pied, pour les porter à surveiller de plus près la
situation et à prendre, au besoin, des mesures pour la corriger et redresser le cap. Lorsque cette
diminution significative du PIB du pays se poursuit sur deux années consécutives ou plus, ce
n’est plus une situation de récession, on est alors dans une situation de dépression. Cela aussi,
c’est classique. On est alors en présence d’une contraction importante de l’économie, et cela
nécessite généralement un traitement de choc, des mesures importantes pour infléchir le cours des
choses et graduellement retrouver une amélioration de la situation, jusqu’à recouvrer un certain
équilibre, éventuellement, à moyens ou longs termes. Toutefois, si l’on ne fait rien, si l’on
persiste à foncer dans la même direction, à courts ou moyens termes, il faudra alors envisager un
effondrement général ou en cascade. Et c’est exactement ce qui nous pend au bout du nez,
maintenant en Haïti.
Ces constats ne sont pas de mon cru. Je laisse cela aux experts dans le domaine. Ils
proviennent de l’interprétation des entrevues livrées le 1 er et le 2 janvier 2023, respectivement par
les deux personnages les plus autorisés en la matière au pays: le Ministre de l’Économie et des
Finances d’Haïti, M. Michel Patrick Boisvert, et le Gouverneur de la Banque Centrale d’Haïti, M.
Jean Baden Dubois. M. Boisvert a eu une entrevue avec l’économiste Kesner Pharel, dans le
cadre de son émission du 1 er janvier 2023. Le Ministre Boisvert a été bien gentiment questionné
par l’économiste Kesner Pharel, dans le cadre de son émission de bilan économique annuel du
pays qu’il prend soin de réaliser, chaque année, aux mêmes dates. C’est tout à son honneur et
c’est fort édifiant pour celles et ceux qui s’y intéressent, et on devrait l’être toutes et tous, pour
comprendre un peu ce qui nous arrive. Toutefois, j’ai un petit reproche à formuler à
l’intervieweur. Ce n’est pas absolument nécessaire d’être si accommodant envers nos décideurs.
Ces entrevues seraient d’une plus grande utilité encore, et surtout beaucoup plus instructives, si
une sommité comme lui, dans ce domaine, se donnait la peine de leur poser quelques questions
colles, sans s’inquiéter de trop embarrasser ses illustres interlocuteurs. Laissez vos gants au
vestiaire, M. l’intervieweur. Et allez-y sans trop de ménagement.
Mais revenons à l’objet de notre réflexion d’aujourd’hui. Le Gouverneur Dubois est
formel. Le pays est en dépression car cela fait déjà quatre années consécutives que son PIB nage
dans l’encre rouge du négatif. Il a dû reconnaître et présenter certaines données qui sont de
notoriété publique aujourd’hui. Au cours des quatre dernières années, la situation financière et
économique du pays s’est considérablement dégradée. Le Produit Intérieur Brut (PIB) du pays,
déjà famélique, a diminué de -1,7% en 2018-2019, de -3,3% en 2019-2020, de -1,8% en 2020-
2021, et de -1,7% en 2021-2022. Analysant ces données brutales, le Gouverneur de la Banque

Centrale statuait que ce n’est plus une situation de récession mais plutôt un cas de dépression de
l’économie haïtienne, après quatre années consécutives de diminution et de ratatinement de
l’économie nationale. Le Ministre des Finances constate également que la principale source de
revenus étrangers du pays, les transferts de la Diaspora, qui n’avaient cessé de croître, année
après année, eux aussi, ont connu une diminution en 2021-2022. Trois possibilités alors me
viennent à l’esprit:
1.- on aurait peut-être atteint le plafond des transferts de la Diaspora;
2.- ce ne serait peut-être qu’un accident de parcours mais que les transferts
reprendraient leur croissance régulière cette année;
3.- ou bien encore cette diminution annoncerait une tendance lourde de désaffection
de cette Diaspora, par rapport à l’incurie persistante de nos gouvernements.
Toutefois, ni l’intervieweur ni les interviewés n’ont osé creuser ces possibilités. Je me
demande encore pourquoi.
Les constats du Ministre de l’Économie et des Finances, corroborés par le Gouverneur de
la Banque Centrale, sont à l’effet que, pour financer le gouvernement, l’État a dû recourir
profusément à l’utilisation de la planche à monnaie au cours de ces quatre dernières années, en
obtenant le financement des déficits d’exercice auprès de la Banque Centrale, et ce, en dépit des
ententes prises avec des organisations financières internationales. Nous en sommes déjà à
plusieurs versions de Staff Monitored Programs où l’État prend régulièrement la ferme résolution
de ne plus surutiliser la planche à billets, pour retomber invariablement dans les mêmes travers.
Et ce n’est pas M. le Gouverneur de la Banque Centrale, pourtant le Cerbère en poste dans ce
domaine, qui résistera le moindrement aux demandes récurrentes du Gouvernement, au cours de
ces années. J’aurais bien aimé que M. Pharel lui demande pourquoi il a ainsi obtempéré à chaque
fois, sans même alerter l’opinion publique. D’ailleurs, il confesse en avoir échangé sur ce
problème avec le Ministre de l’Économie et des Finances, mais sans trop lui mettre de la
pression, sans doute. Il constate aussi les résultats fort prévisibles et anticipés de ces décisions
auxquelles il continue d’adhérer : la décote accélérée de la gourde face au dollar américain;
l’inflation galopante au cours des quatre dernières années, à double digit s’il vous plaît, à chaque
fois: 18,7% en 2019, 22,80% en 2020, 16,84% en 2021 et 47,2% en 2022. Avec tout cela, on n’a
pas encore tenu compte de l’augmentation brutale de plus de 100%, des prix du carburant
décrétés cet automne et qui vont se répercuter tout aussi brutalement sur l’inflation, dès le
deuxième trimestre de cet exercice. Donc, rien de bon ne semble s’annoncer à cet horizon, non
plus. Mais, cela, ni le Gouverneur de la Banque Centrale, ni d’ailleurs le Ministre de l’Économie
et des Finances n’en ont parlé. Encore fallait-il qu’on leur posât la question et qu’on insistât assez
pour obtenir une réponse éclairante.
Pire encore, au cours des dernières années, pour tenter de stabiliser notre devise face au
dollar américain, la solution facile à laquelle les gouvernements mais aussi le Gouverneur de la
Banque Centrale ont eu recours, a été régulièrement de racheter des gourdes, en injectant des
dollars américains dans notre économie. Au dernier épisode en ce sens, en août dernier, c’était
l’économiste Eddy Labossière qui sonnait le tocsin, lors d’une dernière injection de 150 millions
de dollars américains, programmée par le Gouverneur de la Banque Centrale, sans doute sous la
pression de l’Exécutif, nommément du Ministre de l’Économie et des Finances, alors que nos
réserves financières ne comptaient plus que 310 millions de dollars. De sorte qu’aujourd’hui, les
réserves financières de la République d’Haïti ne sont réputées détenir qu’environ 160 millions de
dollars américains. «Elles (les institutions financières internationales) exigent (de) la BRH
d’avoir dans ses réserves au moins trois mois d’importation, qui équivalent à 500 millions de
dollars. Déjà, elles (les réserves) sont en-dessous de ce chiffre, et elle (la BRH) veut injecter la

moitié de ses réserves sur le marché, pour une politique qui ne donnera aucun résultat. Cette
décision cosmétique fera plus de mal au pays que de bien», avait alors déclaré l’économiste, au
journal Le Nouvelliste (Publication du 29-08-2022). «Un cautère sur une jambe de bois», s’était
écrié feu Éric Jean-Baptiste, plus en verve, à cette occasion, considérant cette injection comme
étant sans effet durable et même contreproductive, en ce sens qu’elle fragilisait davantage notre
situation, en amenuisant nos réserves déjà en deçà de la limite minimale recommandée.
En conclusion, le bilan économique de l’exercice financier 2021-2022 est à oublier. Le
pays s’est encore enfoncé un peu plus profondément dans le rouge. L’inflation frise les 50%, le
PIB plonge dans le négatif, les réserves financières sont plus minces qu’une lame de rasoir et l’on
devrait se diriger, en plus, vers des élections tumultueuses et contestées à l’avance, en 2023. Tous
les éléments sont donc réunis pour empirer davantage la situation, à tous les points de vue. Mais
ce n’est qu’un point de vue, le mien, même s’il me semble être assez largement partagé. La
semaine prochaine, l’on braquera les projecteurs sur le budget initial, adopté en Conseil des
Ministres, en décembre dernier, pour essayer de décrypter les priorités de ce gouvernement et
voir comment il compte mener la barque du pays, si tant est qu’il voudrait essayer de le guider
vers des temps plus heureux et vers un retour à un fonctionnement constitutionnel normal. On
verra bien.
Pierre-Michel Augustin
le 10 janvier 2023

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