Il s’agit bien d’un retour pour l‘Ambassadeur Bob Rae en Haïti. Il y était allé, il y a deux mois environ, et il avait décrit alors une situation insoutenable au pays. Pour lui, et aussi pour le gouvernement canadien, on se perdait encore en conjectures mais, une chose était claire: cela ne pouvait plus continuer ainsi. Il fallait faire quelque chose, mais quoi au juste, là se trouvait le dilemme. Je ne sais pas exactement quelle était la teneur des rapports de l’Ambassadeur Sébastien Carrière à sa Ministre des Affaires Étrangères, toujours est-il que les déclarations de l’Ambassadeur Bob Rae, sur la situation en Haïti, semblaient détoner étrangement avec le froufrou insipide et incolore, ni chair ni poisson, la langue de bois coutumière à laquelle on nous avait habitués, jusque dans un passé récent. Pour Bob Rae, il fallait que cela bouge, il fallait faire quelque chose. Et puis, brusquement, cela a commencé à bouger.
Je ne suis pas encore un vieux de la vieille dûment patenté mais, comme l’on dit, j’ai déjà vu neiger. J’ai déjà vu des diplomates faire des grands écarts, tels des acrobates ou des gymnastes, pour, finalement, parler des deux côtés de leur bouche. Je me souviens de 2004, de 2010 et d’autres carrefours politiques où des montagnes d’attentes vertueuses avaient fini par accoucher de petites souris et de gros dégâts pour le pays. Alors, j’étais sceptique devant ce nouveau battage médiatique pour faire bouger les choses en Haïti, un peu dans le bon sens cette fois-ci, devant ce sursaut de réalisme diplomatique et de politique internationale du Canada, touchant la République d’Haïti. Je me pinçais un peu et je me répétais ce dicton anglais: «fool me once, shame on you, but fool me twice…», alors devine qui portera le bonnet d’âne. Je me suis mis alors en mode d’observation. Et voici mon constat.
D’abord, le gouvernement haïtien avait, semble-t-il, bien mal interprété les signaux clairs de l’Ambassadeur Bob Rae. Non, il ne démangeait pas le Canada de l’envie d’envoyer des bottes militaires en Haïti, semble-t-il. Et, lorsque le gouvernement haïtien est allé réclamer «une intervention robuste» à l’ONU et à l’OEA, il se serait lourdement trompé sur les signaux qui lui avaient été transmis. Ce ne serait pas la première fois que cela arrive. Le gouvernement du Canada (et aussi des États-Unis) avait opté pour décliner cette invite pour le moins risquée, à plus d’un égard. Certes, pour l’Ambassadeur Bob Rae, il paraissait clair qu’il y avait un sérieux ménage à entreprendre dans notre pays, mais surtout au niveau des grands cercles, d’abord. Le tour des petits truands viendrait après, si cela devait s’avérer encore nécessaire et utile, après coup. Toutefois, les vannes qui les alimentaient de toutes les manières, il fallait les fermer ou signifier clairement à leurs contrôleurs que la récréation était terminée. Il fallait agir en amont, et non en aval, comme bon nombre d’observateurs avisés le suggéraient, depuis longtemps déjà. Et c’est exactement ce que fit le Canada. J’en accorde une bonne part du crédit, à l’Ambassadeur Bob Rae qui n’a pas donné dans le panneau que lui réservait le gouvernement haïtien et qui a dû faire, au gouvernement canadien, un rapport sur la situation en Haïti, assez différent de ce qu’il avait l’habitude de recevoir de ses représentants sur place, pour le conforter dans les positionnements diplomatiques et politiques auxquels il nous avait habitués, depuis quelques lustres.
Alors, fort du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant Haïti, entré en vigueur le 3 novembre, et du Règlement d’application de la résolution 2653, pris en Conseil de Sécurité des Nations Unies sur Haïti, le 10 novembre, le gouvernement du Canada, par le truchement de sa Ministre des Affaires Étrangères, Mme Mélanie Joly, a ouvert le bal, le 20 novembre, en donnant un grand coup de pied dans la fourmilière haïtienne. Le gouvernement du Canada indexait et frappait de gel des avoirs et d’interdiction de séjour sur son territoire, dans un premier temps: l’ex-sénateur, M. Youri Latortue, l’actuel président du Sénat, M. Joseph Lambert et l’ex-premier ministre, M. Jean Henry Céant. J’étais encore dubitatif et j’observais… Sans crier gare, deux ministres de l’actuel gouvernement de facto, le ministre de la Justice, M. Berto Dorcé, et le ministre de l’Intérieur, M. Lizt Quitel, sur qui planaient des rumeurs sulfureuses, déposaient leur lettre de démission, sans demander leur reste. Yo lage pye yo, yo kite sa, sans bri san kont. Puis vint le tour d’autres gros gibiers politiques : l’ex-président Joseph Martelly, l’ex-premier ministre Laurent Lamothe, l’ex-sénateur Hervé Fourcand, l’actuel sénateur Rony Célestin etc., mais aussi d’autres gros bonnets du secteur économique également: MM. Gilbert Bigio, Reynold Deeb, Sherif Abdallah. Et puis, soudainement, les banques en Haïti commencent à frissonner également. Il ne faudrait surtout pas que leurs affaires soient entravées par les combines de certains de leurs membres et sociétaires. Tout d’un coup, elles deviennent un peu plus sourcilleuses et elles pourraient leur demander quelques explications sur certains comptes qui avaient pourtant reçu leur onction autrefois. Mais, autre temps, autres mœurs, n’est-ce pas? Sans crier gare, le 2e vice-président de la SOGEBANK, M. Sherif Abdallah, lui-même, remet sa démission et s’éclipse, sur la pointe des pieds. Bon vent, et pas de commentaires du Conseil d’Administration de cette institution. Silence radio !!! Certes, il faut accorder la présomption d’innocence à toutes ces personnes indexées mais, le fait qu’elles le soient aujourd’hui, ne peut pas être un gage à inscrire en toutes lettres dans son C.V. Nos institutions semblent en prendre acte, comme il se doit, et se mettent à l’abri de l’orage à venir.
Décidément, le Canada a résolument ébranlé les Colonnes du Temple de l’anarchie, du chaos et de la corruption en Haïti, en joignant ses actes diplomatiques et politiques à son récent discours vertueux. Il peut désormais se permettre d’interpeller les autres pays, dits amis d’Haïti, qui nous ont accompagnés avec lui, avec grand enthousiasme et aveuglement têtu, dans notre déchéance, pour leur dire que le temps est peut-être venu de mettre un point final à la tragédie entretenue dans ce pays. Il ne s’agit plus d’une affaire de gros sous et de partage d’influence, mais de meurtres crapuleux, d’assassinats sordides, de dilapidation effrénée des revenus de l’État qui vont finir, tôt ou tard, par rejaillir au loin, sur des rives et des frontières pas si lointaines que cela, en attestent le Chemin Roxham, les frontières américaines avec le Mexique, les plages de Miami, tous investis, assaillis de plus en plus par des vagues d’immigrants. Les institutions canadiennes non plus ne seront pas à l’abri de cette contagion qui s’éparpille et qui les menace aussi. Après tout, cet argent, le fruit de ces rapines, il faudra bien qu’il soit recyclé et pasteurisé, pour un usage respectable et honorable, ultérieurement. Et, quoi de mieux que des banques étrangères, non suspectes et, délibérément ou non, ignorantes de leur provenance, pour faire ce grand lavage à sec ?
C’est dans ce contexte que revenait l’Ambassadeur Bob Rae en Haïti, ces derniers jours. Il paraît qu’à Port-au-Prince, brusquement, il avait l’oreille de bien des gens qui étaient auparavant aveugles, sourds et profondément têtus. Il faut croire que le Canada avait frappé un bon coup, là où cela fait le plus mal : à la poche, au compte en banque, en condamnant certains grands pontes à suer sur place, sans pouvoir prendre la poudre d’escampette et aller se bronzer au chaud soleil ailleurs, pour ceux qui le peuvent encore, en raison de leur claire complexion. Plus de visa, plus de compte en banque, la fin de la récréation peut-être? En tout cas, le métier de bandit à cravate est soudain devenu un pensez-y bien, un truc de cascadeur, et beaucoup de gens commencent à y réfléchir, brusquement. Ce n’est pas une coïncidence si, aujourd’hui, les principales associations patronales et industrielles du secteur privé, découvrent les vertus d’une pacification entre leurs membres et professent désormais de fonctionner dans la transparence commerciale et dans la stricte observance de leurs obligations et devoirs, envers l’État et ses institutions. Elles se projettent encore plus loin, jusqu’à l’élaboration d’un Plan Stratégique de Développement Économique et Social (PSDES), entre autres, et offrent leur appui et leur collaboration sans réserve à un Gouvernement d’Unité Nationale qu’elles appellent de tous leurs vœux, et qui nous sortirait définitivement de ce bourbier qui n’a pas l’heur de plaire au secteur des affaires. (Le Contrat Social du Groupe des 184, cela vous rappelle quelque chose?)
Comme par hasard également, Izo aussi viendrait de faire la paix avec Krisla, et ces chefs de gangs se jureraient désormais une amitié fraternelle. On rapporte même, dans les réseaux sociaux, que certains bandits de grands chemins, assassins sans pitié, auraient pleuré à chaudes larmes dans les bras de leurs adversaires d’hier, qu’ils trucidaient allègrement, avec le reste de la population aux alentours, en prime collatérale. Quelqu’un, quelque part, aurait-il tiré sur leur laisse, parce que la leur était également devenue plus courte, soudainement ? Barbecue, ce révolutionnaire de pacotille, aurait pris son trou, lui aussi. Quelqu’un, quelque part, lui aurait rabattu un peu le caquet, que cela ne surprendrait pas grand monde.
La PNH, aussi, aurait retrouvé un peu de muscle, un peu de ressors qu’on ne lui reconnaissait plus, depuis au moins 24 mois. Journellement, son porte-parole, le verbe haut, plastronne et débite les bons coups de ses membres. Journellement, «la Croix» semble visiter les bandits qui tombent un peu régulièrement, «mortellement blessés, à la suite d’échanges de tirs avec les forces de l’ordre». À croire que, dernièrement, on aurait mis un peu de tigre dans les rations de ces dernières. En tous cas, désormais, les bandits n’auraient qu’à bien se tenir car quelqu’un, quelque part, aurait desserré les freins de la PNH qui devient un peu plus mordant, et pas seulement contre les bandits patentés. Les pommes pourries, qui se trouvent dans ses rangs, sont débusquées aussi, ces derniers jours. On aurait découvert environ 82 policiers qui seraient déjà sous les verrous, et ce n’est pas fini. Trafic d’armes, corruption, gangstérisme, abus de toutes sortes, association de malfaiteurs, mettez-en. Quelqu’un, quelque part, aurait eu l’idée géniale de sonner la fin de la récréation et d’ordonner de faire un peu de nettoyage, dans les rangs de cette institution, que cela ne surprendrait pas grand monde, je vous l’assure.
Parlant de nettoyage, les nouvelles veulent qu’on aurait déjà commencé à déblayer la Route Nationale numéro 2. Pour le moment, la circulation serait encore fluide, et la population, plusieurs fois échaudée, ne se risquerait pas encore à revenir à Martissant. Mais, prenez bien garde, bientôt ce sera peut-être le retour de la cohue et des embouteillages, de Bolosse jusqu’à Fontamara. Les bandits de Vitelhomme, eux, n’auraient pas encore appris les nouvelles et persisteraient dans leurs exactions. Des innocents perdraient encore leur vie dans son secteur. D’autres se font encore kidnapper. Toutefois, un certain apaisement semble être en vue. Les Mawozos ne seraient plus 400, au moins 2 d’entre eux auraient perdu la vie, récemment, dans des affrontements avec la Police. Je voulais dire qu’ils furent «mortellement blessés». Voilà l’expression consacrée. À ce rythme-là, ils ne seront bientôt plus trop nombreux, pour nécessiter l’arrivée des renforts. Kot sa nou pa t ka fè la a? Et, qui mieux est, par nos propres moyens, en plus?
Tout cela, on le devrait, semble-t-il, à la perspicacité de l’Ambassadeur Bob Rae et aux récentes initiatives du Canada que son franc-parler aurait inspiré. Évidemment, j’applaudis à tout rompre ce changement d’attitude du Canada envers Haïti et je souhaite vivement que d’autres pays, dits amis d’Haïti, suivent son exemple bientôt, sans trop rechigner, sans éviter de piler rageusement sur ces pontes de l’anarchie, du chaos et de la déchéance du pays, en les esquintant là où ça leur fait le plus mal.
Pour le moment, on vit encore d’espoir, un espoir fragile qui nous a si souvent éludés, comme pour nous faire filalang. Le professeur Jacquy Lumarque, Recteur de l’Université Quisqueya, lui, se dit optimiste. Il croit que:«sortir Haïti du chaos actuel est de plus en plus à la portée des acteurs politiques haïtiens», à la lumière de ces derniers développements, bien sûr. Espérons qu’il a raison de l’être, que cette fois, ce sera la bonne, que les fusils se tairont pour de bon, que les forces vives et rédemptrices du pays prévaudront et que la racaille, à tous les niveaux, en pantoufles et armés jusqu’aux dents, tout comme ceux-là, bardés de diplômes ou riches comme Crésus, prendra définitivement son trou, pour ne plus revenir hanter ce pays qui pourrait devenir si attrayant et si enchanteur, s’il était finalement débarrassé de tous ces malandrins.
Madigra, nou pa p pè w ankò! Et si les initiatives du Canada, à la suite de ces interventions ciblées et du ballet diplomatique de l’Ambassadeur Bob Rae, peuvent y contribuer, alors bravo, monsieur l’Ambassadeur ! Que grand bien nous fasse, et que le soleil de la renaissance du pays brille enfin dans son firmament rasséréné. Toutefois, en d’autres temps plus opportuns, il nous faudra prendre un moment pour comprendre le fin mot de nos déboires et l’imbrication de toutes les complicités conjuguées qui nous y ont conduits. Ce n’est qu’ainsi qu’on cassera les cercles vicieux de notre Histoire. Mais, pour le moment, il faut souhaiter que ce sentier, débroussaillé par ces initiatives, aboutisse aux rails qui conduiront à un retour à la paix, à la normalité constitutionnelle et, enfin, au développement du pays. Il faut parfois savoir saisir la balle au bond et en tirer le meilleur parti possible.
Pierre-Michel Augustin
le 12 décembre 2022