Dès les premiers cours d’histoire chez-nous en Ayiti – l’Ayiti de Dessalines et de tous nos pères fondateurs, Celle qui était digne et égale à elle-même, fière d’être la Première République Noire du monde, le phare de la diaspora africaine -, la première vérité historique que nos professeurs nous avaient révélée était la suivante : «Les grandes puissances n’ont point d’amis, sinon que des intérêts.» À cette époque, nous étions trop jeunes pour comprendre ce que cette phrase voulait dire. Cependant, à force de grandir et de mûrir intellectuellement, le cours des événements, tant dans leur éventualité que dans leur imminence, nous a permis d’y voir un peu plus clair. En même temps, nous avons appris une deuxième grande vérité, même quand pas tout a fait évidente. C’est que l’histoire, selon celui qui la raconte, n’est généralement pas racontée avec toute sa véracité et son authenticité. Le théâtre de la crise russo-ukrainienne qui s’est déroulée dans les coulisses pendant quelques décennies, depuis l’effondrement de l’Union soviétique en décembre 1991, a pris des proportions importantes, voire démesurées, progressivement. Les épisodes d’affrontement qui se sont accrus dans la nuit du 23 février au 24 février 2022 entre les sœurs-ennemies, décrits par certains comme des attaques d’autodéfense des Russes contre la trahison ukrainienne, et par d’autres comme une agression russe contre l’Ukraine, en constituent un indicateur convaincant.
Il n’est donc pas nécessaire de ménager ses efforts mais simplement de consulter l’histoire pour comprendre toute la complexité et l’ampleur d’une crise de cette envergure dont la moindre négligence, risque de convertir un conflit de caractère et d’intérêts régionaux, en un déclencheur d’une guerre de dimension mondiale. Les faits et événements à prendre en compte, dans le cadre de cette crise d’une ampleur proportionnelle à celle de la guerre froide, sont nombreux et variés. De surcroît, ils s’amplifient, s’aiguisent et se fragilisent, au fil des années et des enjeux géopolitiques, économiques, expansionnistes, hégémoniques et impérialistes. D’un côté comme de l’autre.
Par conséquent, il convient de passer en revue les événements malheureux qui ont caractérisé et continuent de conditionner les relations russo-occidentales. Tout remonte à la chute du bloc de l’Est le 25 décembre 1991, dont les Russes avaient juré de se venger, le moment venu. L’Union Soviétique, fruit de la Révolution Bolchevique, appelée aussi la « Révolution d’Octobre », qui avait atteint son point d’ébullition le 7 novembre 1917, pour consacrer désormais le triomphe de Lénine, donc, l’avènement de la Russie communiste et conduire à la cristallisation le projet de conquête de toute l’Europe de l’Est. «Les bolcheviques, avec Lénine à leur tête, prenaient sans résistance le pouvoir en Russie.» Lequel évènement, peu après la fin de la 2e guerre mondiale, allait mettre fin à un monde trop longtemps tiraillé par des puissances belliqueuses, internationales, pour céder la place à un regroupement de patrons, dont les États-Unis et alliés, regroupés à travers l’OTAN, et l’Union soviétique, regroupant les principaux État de l’Europe de l’Est, avec la Russie comme chef de peloton, 5 années postérieurement, par le traité constitutif, signé le 22 décembre 1922 et ratifié, dès le 30 décembre 1922, par le Congrès des soviets de Russie, de Biélorussie, d’Ukraine et de Transcaucasie. »
Les États-Unis et la Russie entretiennent historiquement des relations de « bon voisinage », diplomatiquement, malgré leur éloignement géographique et leur différence de vision et de système, en termes de choix politiques et économiques, et même leur référentiel de valeurs, depuis le triomphe de la révolution russe. De son côté, dès son origine, la Russie avait soutenu la Révolution américaine au détriment de l’Empire anglais. Et les États-Unis avaient fait preuve de reconnaissance à l’égard de leur « sœur-ennemie », à la fin des années 1870, dans l’une des guerres russo-turques, en lui fournissant des navires et des armes. En effet, bien que très compliquées, les relations entre les deux pays révèlent une longue amitié et un parcours historique. Dans son article de janvier 2020 dans le magazine Conflits, Paul COYER souligne que «la Russie et les États-Unis se retrouvent aujourd’hui dans une nouvelle relation de guerre froide, où chacun utilise l’autre comme un ennemi idéal. Cela n’a pas toujours été le cas et les deux pays ont souvent été alliés. Retour sur deux siècles de relations diplomatiques tumultueuses, permettant de mieux comprendre où en sont Washington et Moscou aujourd’hui.»
Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, leurs relations jouissaient d’une harmonie totale, jusqu’en 1965, date qui marque le début de la guerre froide, lorsque les deux pays s’affrontèrent dans une rivalité déclarée pour le contrôle du monde, pour ainsi passer d’un monde unipolaire à un monde bipolaire. Depuis, le processus de dégradation et de détérioration des relations entre les deux États n’a cessé de s’amplifier, au nom de conflits d’intérêts hégémoniques pour contrôler le scénario géopolitique. «Leurs relations sont, entre autres, héritières des relations entre les États-Unis et l’URSS à partir de 1991, date de la dissolution de l’URSS, après une période de normalisation relative, post guerre froide, pour connaître de nouvelles tensions palpables à partir de 2002 avec la décision prise dans le cadre de l’OTAN pour le déploiement par les États-Unis de sa solution de bouclier antimissile en Europe de l’Est, suivie de la reprise des vols continus de bombardiers stratégiques russes en 2003, revenant à un modus operandi de guerre froide, puis en 2013 avec la guerre en Syrie, la crise ukrainienne suivie de la guerre dans le Donbass. Dès lors, les relations entre les deux pays se voient caractériser par un climat de méfiance et d’inquiétude, quant à leurs politiques militaires réciproques, à tel point que l’expression Nouvelle guerre froide a été utilisée en février 2016, par le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, et que les États-Unis signifient leur abandon du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire signé en 1987, le vendredi 1er août 2019.
Dans cette optique, la crise russo-ukrainienne s’avère être «une dangereuse accumulation de contentieux», comme le décrit le journal anglais «Conservation». D’une part, en raison de la rupture des accords internationaux et tacites, ratifiés entre les partenaires concernés, dont les États-Unis, en premier lieu, et les pays d’Europe occidentale qui composent l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN.
Au gré de leurs propres critères d’analyses, des perceptions, des idées reçues et des informations disponibles, le travail psychologique fait son heureux chemin, en vue d’éviter tout soupçon de débats contradictoires, et d’accéder à une position d’indépendance, au-delà des caricatures du débat amené sur un terrain de neutralité, d’impartialité et d’objectivité. Pour bien comprendre ce qui se passe aujourd’hui entre la Russie et l’Ukraine, et pour ne pas tomber dans l’engrenage des manipulations médiatiques, cela requiert une grande ouverture d’esprit, de l’intelligence, de la perspicacité, de la rigueur, de la probité et de l’esprit critique. Il s’agit des conditions nécessaires pour conduire un débat digne de son nom, sans nullement minimiser les conséquences que ces affrontements auront sur la population civile, à court, moyen et long termes. Il y a un article de Julien LECOMTE du 25 février 2012 dont j’affectionne le titre et que je prends plaisir à reformuler un extrait sous la forme interrogative : « Sommes-nous manipulés par les médias ? Dans cet abondant article, l’auteur s’est chargé, non pas de prendre position, ni de procéder à un jugement de valeurs, a priori, mais de procéder à un jugement de réalité, c’est-à-dire d’établir ses points de vue ou ses conclusions fondées sur des faits, des arguments tangibles, des analyses critiques, de la manière la plus objective et impartiale possible. Sans entrer dans trop de détails, bien que nous nous proposions de faire une analyse exhaustive de la démarche de LECOMTE, reprenons plutôt quelques-unes de ses prémisses marquantes, toujours sous forme de questions. Dans un premier temps, l’auteur pose les questions suivantes : « Pourquoi associer médias et manipulation ?
Pourquoi nous méfions-nous ou devrions-nous nous méfier des médias ?
Quels sont les phénomènes signalés en matière de manipulation ?
Qui est désigné comme « tirant les ficelles » ?
Qui est identifié comme responsable, et pourquoi ? »
Par ailleurs, il tient à préciser « qu’il s’agit d’examiner et d’interpréter les phénomènes, leurs raisons, et non de prendre parti, notamment pour telle ou telle action politique. L’une des choses que l’article veut combattre est justement l’absence ou le manque de critique constructive (un jugement nuancé) contre les médias. C’est monnaie courante, même dans les grands médias internationaux, et particulièrement chez nous à Ayiti.» Il s’agit surtout, dans cette première étape, de comprendre les enjeux de la question de l’influence des médias (questions de pouvoir, questions de réflexion critique, etc.). Ensuite, nous nous demanderons comment les médias procèdent pour informer. Par quels moyens pourraient-ils cacher, transformer, biaiser ou au moins construire des informations ? Quelles sont les tendances ? Comment les décrypter ? Enfin, nous essaierons de savoir quelle est l’influence des médias. Vraiment exister ? Quelle est sa nature ? Quelle est son ampleur ? Au lieu de répondre catégoriquement, nous poserons la question positivement : à quoi pouvons-nous faire confiance ? Fin de citation.
Il est donc de la plus haute importance de faire le point sur le mode de fonctionnement et le positionnement des médias responsables, non seulement pour informer mais aussi pour former, et ne pas prendre part à de tels conflits. Malheureusement, selon leurs origines ou leurs intérêts, la plupart des médias se détournent de toute posture d’analyses objectives et impartiales, pour sombrer dans une propagande rémunérée et fanatique.
Qu’il soit clair pour tous, qu’une fois épuisée, la dialectique du discours par la diplomatie, le début du conflit armé est presque inévitable. Aussi, nous ne partons pas en guerre pour des causes humanitaires par des bienfaiteurs ou des personnes au grand cœur. Si tel était le cas, le monde n’aurait pas connu, aujourd’hui encore, tant de génocides, d’agressions, d’injustices, de pauvreté et de misère. Nous faisons la guerre, pour la satisfaction de l’ego sans égal des humains sans humanité, de la religion sans foi, de l’État sans loi, c’est-à-dire à l’excès de caractère, à la cupidité, aux conflits d’intérêts, au manque de tolérance et d’indulgence qui, à l’entendement des instigateurs, ne peut se résoudre que par la dialectique des armes, au nom d’une diplomatie corrompue qui ne sert qu’à être jetée à la poubelle. Comme Julian Assange l’a si bien souligné : « Si les guerres peuvent être déclenchées par des mensonges, la paix peut être préservée par la vérité. Et cette vérité, c’est qu’il y a une quantité innombrable de guerres et de conflits internationaux qui se sont menées sur la base de mensonges et de machinations, tant par les médias que par les autorités compétentes en la matière. Plus près de nous, les mensonges sur l’Irak ont conduit à l’exécution de Saddam Hussein Abd al-Majid al-Tikriti. Sur la même base de mensonges et d’accusations de persécution contre son adversaire, Mouammar Kadhafi, le charismatique dirigeant libyen, considéré comme l’ennemi numéro un de l’hégémonie et de l’impérialisme occidentaux, a subi le même sort.
Tentant de jouer le rôle d’agent double, entre séparatistes et conservateurs, sans être innocent non plus, l’Ukraine semble se retrouver entre Ali baba et Robin des Bois. Alors, quel que soit son choix, l’imminence de son compromis, à défaut de compromission, est inévitable. Ce qu’elle ne cède pas à la Russie, elle sera obligée de le concéder aux États-Unis. Ce qui est malheureux, c’est bien sûr le drame des centaines de millions d’Ukrainiens qui seront contraints d’émigrer, fuyant la guerre. Comme ses alliés américains, la leçon numéro 1 de la diplomatie de l’Union européenne était, jusqu’à tout récemment : «Si Vladimir Poutine devait attaquer ou envahir l’Ukraine, la Russie en paierait les conséquences.» Ainsi, à la suite des attentats nocturnes des 23-24 février par l’armée russe, il n’y a eu que des messages de condoléances et des promesses d’ex filtrage des réfugiés ukrainiens des territoires tombés sous la domination des Russes et de séparatistes. Les questions alors que nous nous posons sont les suivantes :
Pensent-ils que, par euphonie, et en toute euphorie, cette population ne craint absolument rien ?
Sommes-nous au bord de la troisième guerre mondiale ?
Utilisent-ils l’Ukraine pour redéfinir la géopolitique et le nouvel ordre mondial ?
Poutine recherche-t-il le respect scrupuleux de la célèbre phrase de James Monroe : « L’Amérique pour les Américains, l’Europe pour les Européens » ?
Dans tous les cas, comme dans celui d’autres pays, où les soi-disant gendarmes de la paix et de la stabilité du monde sont intervenus, les Ukrainiens seront les grands perdants. Après quoi, les seigneurs du monde se taperont dans le dos en mode Ali baba et Robin des bois, en se disant : « Bon travail frère, j’espère que tu as apprécié le jeu et tu t’es amusé à corps perdu. Pour ma part, j’en suis très heureux. Je ne sais pas pour toi. Il est donc temps pour la Russie de récupérer sa part du gâteau, après avoir été sur le banc de touche, pendant si longtemps. La chose la plus captivante est que personne ne peut le lui refuser. Maintenant que la donne a changé, M. Poutine le sait, et plus que quiconque, il saura en profiter. L’Occident n’a donc pas le choix et pas d’autre voie que celle de la négociation. Laissons les impérialistes résoudre leurs problèmes. Ils savent le faire mieux que nous. Au nom de leurs intérêts communs et mesquins d’hégémonie, ils sauront se tirer d’affaire, car, pendant qu’on spécule, ils connaissent les bonnes et vraies affaires.
C’est sur la base de rivalités et d’agressions mutuelles, chacun à son tour, et chacun pour soi, que l’Europe, telle que nous la connaissons aujourd’hui, a été fondée. C’est dommage qu’aucun État moderne ne puisse se passer de politique extérieure et de la diplomatie car, c’est le pire qui puisse arriver lorsque des dirigeants n’y sont pas suffisamment préparés. Les décisions sont prises au nom du pays, mais bien sûr les innocents en paient le prix. Cependant, rassurez-vous, le risque d’une guerre nucléaire est trop élevé, pour qu’il y ait véritablement une guerre de portée internationale. Cela ne servira à rien faire avancer ni personne. Je pense donc que les gamins finiront par trouver un terrain d’entente, grâce à de nouveaux accords et négociations. Ils échangeront tout ce qui doit être échangé et ils s’en moqueront. Même si pour certains, la tension est montée au point que tout le monde semble perdre le contrôle de ce qui va se passer, ne nous inquiétons pas ! Je connais la fin de l’histoire, il n’y aura pas de guerre, ni régionale ni encore moins mondiale. Dans le pire des cas, l’Ukraine mourra d’une belle mort avec la complicité et la négligence de l’Occident, qui l’a entraînée au combat, sans véritable soutien. Et ce, pour le plaisir et les délices de la revanche de Vladimir Poutine, contre le cynisme et l’obsession expansionniste et hégémonique occidentale, bien que les Américains semblent offensés par l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, tout comme les Russes l’étaient lors de l’invasion américaine de l’Irak. Se pourrait-il que nous soyons en face de deux fossoyeurs et faussaires qui accusent et s’excusent tour à tour, selon la convenance de leurs intérêts impérialistes ?
Ma position sur ce qui se passe en Ukraine, hypothétiquement baptisée, selon l’endroit où l’on se place, «Invasion russe de l’Ukraine» pour les pro-occidentaux, ou «Attaque ou autodéfense russe contre les stratagèmes occidentaux d’expansion de l’OTAN vers l’Europe de l’Est» pour les anti-occidentaux, ou les pseudo neutres, est de nous porter à la clairvoyance et à l’intelligence. Ne nous y trompons pas, ni l’Ukraine, ni la Russie, ni les États-Unis, ni l’Europe ne sont aux yeux du monde en odeur de sainteté. L’Ukraine ne joue que le rôle d’un faux agneau qui sera immolé pour les sales causes de l’Occident criminel invétéré et corrompu, responsable des pires guerres, agressions et génocides que l’humanité ait connus, dans ses fantasmes hégémoniques et colonialistes. Les États-Unis, jusque-là, sont perçus comme le pays de la démocratie et des droits de l’homme par excellence, et ses rêves les plus schizophrènes d’être policier du monde, le tout dans un cocktail de leurres déconcertants. Et la Russie, oui la Russie celle de Lénine, de Staline et bien sûr de Poutine, celle qui a osé défier et tenir tête à ses rivaux américains pendant tant de décennies pour les mêmes causes hégémoniques, impérialistes, expansionnistes et ségrégationnistes, ne sont pas mieux. Laissez le monde tranquille, ils ont tous leurs tas d’agressions, d’exploitations, de crimes et de discriminations contre des peuples et des civilisations innocents et sans défense. Surtout, rappelons-nous que les crayons de l’histoire, sous l’égide des libres penseurs, des critiques et des humanistes, n’ont pas de gomme.
Jean Camille Étienne, architecte,
Msc. en Politique et Gestion de l’Environnement
07/03/2022