Le dimanche 11 avril de 2021 a marqué un tournant décisif dans l’histoire moderne de l’Équateur. Il constitue la marche irréversible du peuple équatorien vers sa souveraineté, son autonomie et sa dignité, à la suite de sa convocation dans ses comices, depuis tantôt un bon bout de temps, par le gouvernement en place, pour la deuxième fois, et qui finalement s’est matérialisée. Toutes les couches sociales confondues étaient descendues dans les rues pour retrouver leur bureau électoral respectif, tant en ville qu’en milieu rural, pour remplir l’un des devoirs les plus nobles auquel tout citoyen digne de ce titre ne saurait déroger : celui de faire entendre sa voix, en contribuant à la construction du changement véritable auquel on aspire tous. Ils étaient des centaines de milliers, sans distinction aucune de classe et de race, à prendre le chemin des urnes, pour librement décider du choix du prochain leader auquel ils accorderont leur confiance, pour la gouvernance du pays, durant les quatre années à venir. Et ceci, tel qu’on est en train d’insister là-dessus, n’a pu se faire que par le biais de la plus traditionnelle des manifestations démocratiques : la démocratie directe et participative, où personne n’est autorisé à imposer sa volonté au nom du peuple, en vue de la garantie de ses intérêts mesquins. Bulletins en mains, a priori, leur véritable arme de combat, ils sont partis vers la consécration du verdict final, en vue du renouvellement du personnel politique.
Ainsi, une fois de plus le peuple, dans toutes ses entités et composantes, a répondu massivement au crucial rendez-vous de dimensions historiques et transcendantales, tant à court, à moyen et à long termes. De ce rendez-vous avec l’histoire se joue l’avenir de tout un peuple, et ce, par le verdict des urnes. Au moyen de ce scrutin, jugé par des observateurs : honnête, libre et démocratique, devrait se déterminer le nouveau locataire d’el Palacio de Carondelet, (nom du palais national équatorien) lequel fera figure du nouveau leader du pays pour les 4 prochaines années. Entre Lazos (Lasso) et Arroz (Arauz), les dés sont désormais jetés. Plus de doute, le vainqueur de cette joute électorale sera Andrès Arauz Galarza ou Guillermo Alberto Santiago Lasso Mendoza. (Tous deux connus uniquement sous le nom d’Arauz et de Lasso par le public). Au fait, il y avait une 3e option qui reviendrait encore aisément à la 1e ou à la 2e, il suffirait, tout simplement, que les oligarques traditionnels, peu importe l’issue du scrutin, se mêlent de la fête.
L’enjeu était donc de taille. Il ne s’agit pas seulement que le peuple jette son dévolu sur l’un ou l’autre des deux candidats mais aussi et surtout de s’engager, à travers eux, dans le processus continu de consolidation, de préservation et de conservation des acquis patrimoniaux démocratiques et du développement économique dont ce peuple combatif, après tant d’années de lutte, a pu se doter, qu’importe le résultat. Au-delà des intérêts politiques et économiques de deux hommes se livrant l’un des plus féroces bras de fer pour le pouvoir, la course vers le Carondelet a remis en question les fondements mêmes ainsi que l’avenir du socialisme du 21ème siècle, comme il est d’ailleurs surnommé par les Équatoriens, mais également partout au niveau de l’Amérique Latine où le système politique basé, a priori, sur l’équité, la communauté d’intérêts, l’entraide, le partage et, bien sûr, la répartition équitable des richesses, le droit à la sante, à l’éducation, entre autres, ne fait pas du tout beau visage dans le pays pétrolier. À noter qu’en Équateur, les socialistes sont ironiquement rebaptisés «socios listos», (les copains vivants, en espagnol). Cette réputation leur est due en consonance avec le passage des socialistes au pouvoir en 3 mandats consécutifs : deux de Rafael Vicente Correa Delgado, version 1 et 2 de 2007 à 2017, dont la fortune est aujourd’hui des plus pharamineuses, selon les allégations et suspicions populaires de dilapidation du denier public, et celui de Lenín Boltaire Moreno Garcés sévèrement critiqué, voire décrié, et sous la présidence de qui, la situation économique du pays s’est démesurément empirée. L’ex-président Correa, le mentor de Arauz, qui vraisemblablement incarnait l’avènement et la consolidation du socialisme équatorien, de paternité castriste et chaviste, soi-disant au bénéfice des plus démunis, n’est pas trop en odeur de sainteté dans le pays constituant le centre géographique du monde. Ainsi, son poulain, Arauz, jeune économiste « gauchiste », en raison de son passé à la BCE (Banque Centrale Équatorienne) ne semble pas offrir un avenir prometteur au pays ni non plus inspirer confiance, au point même de mettre le socialisme dans une très mauvaise posture, surtout avec l’héritage de Correa qu’il traîne derrière lui, comme un pesant passif plus que n’importe quoi d’autre, et duquel il ne peut se défaire. En effet, les Équatoriens gardent un mauvais souvenir de l’héritage légué par le « père » du socialisme équatorien, Rafael Correa, d’où le fameux concept du corréisme, passé de présentation, en raison des malversations de ce dernier. En lieu et place d’aider, cela a beaucoup plus dérangé, compromis et hypothéqué la continuité de la gauche au pouvoir.
De l’autre côté de la barque, nous avons le grand manitou, Lasso Moreno, homme d’affaires équatorien, banquier de profession et homme politique, symbole de la Droite conservatrice équatorienne, dont l’élection représenterait le retour et la continuité du capitalisme à outrance, après 3 quinquennats de rupture. Il a été le PDG, entre 1994 et 2021, et est l’un des principaux actionnaires de Banco Guayaquil, une ancienne banque italienne, devenue par la suite équatorienne pour des raisons stratégiques. Il a été également ministre de l’Économie, dans le contexte de la crise financière équatorienne de la fin des années 1990. Lasso a fondé le mouvement CREO en 2012, étant candidat à la présidence aux élections de 2013 et 2017 où il a essuyé un échec total, face à Rafael Correa et à Lenín Moreno, respectivement.
On a souvent tendance à dire, quand on est dans l’embarras du choix, surtout en matière de politique, quand il nous revient de choisir entre deux mauvaises options : « des deux maux, il faut choisir le moindre. » Tel est lamentablement la triste réalité de nos pays du sud, face à la rareté de dirigeants préparés, dotés des compétences et d’expériences nécessaires, en vue de sortir leurs communautés, leur environnement et leur pays, du spectre de l’ignorance, du sous-développement et de la corruption. Bien malheureusement, cette interminable interrogation, c’est celle que nous nous faisons toujours, quand on a à choisir entre deux choses ou deux personnes de nature mauvaise. Quelle est l’économie de choisir entre deux mauvaises options, tout aussi condamnables et réfutables, à priori ? C’est donc, à juste titre, que pour les Équatoriens, avoir à choisir entre Arauz et Lasso, c’est un exercice ardu, non pas parce qu’ils sont dans l’embarras du choix, mais plutôt dans le choix de l’embarras.
Ainsi donc, si la victoire de Lasso consacre désormais le retour de la Droite capitaliste conservatrice équatorienne au timon des affaires, la défaite de Arauz, pour sa part, met fin à presque deux décennies de la Gauche, avec tous les mauvais souvenirs qu’elle traîne derrière elle, en termes de gabegies financières, mauvaise gestion administrative et malversation, entre autres. En tout cas, le peuple équatorien, en ce dimanche 11 avril 2021, a répondu présent à l’appel du gouvernement, pour remplir l’un des plus grands devoirs civiques d’un peuple : celui de choisir à qui il veut remettre les rênes du pouvoir, confiant ainsi son destin à un leader qu’il croit être digne d’une telle tâche, selon son cycle électoral constitutionnel. Quoiqu’il en soit, le peuple équatorien, par sa participation aux joutes électorales, a eu à choisir de savourer le Arroz (riz, Arauz) sans sel de la Gauche ou à prendre Lazo (Lasso, enlazándose, s’enlacer) durant les 4 ou 5 ans à venir.
Pour faire un jeu de mot ironique en guise de parodie démocratique, faisons la place un peu à l’espagnol: «Esperemos que el pueblo ecuatoriano con el Lazo (Lasso) no se enlace, ya que se le fue el Arroz (Arauz) sin sal y crudo.» (Espérons que le peuple équatorien, avec Lazo, (Lasso, corde en espagnole) n’emprisonne pas le peuple, puisque le Riz (Arroz, pour Arauz qui signifie riz) sans sel et cru n’a pas pu compléter son cycle de cuisson. Daigne Dieu protéger ce pays!
Le problème avec le socialisme est une question de caractère, de cohérence pure. C’est que les socialistes ne sont pas des socialistes, ils sont plus capitalistes que les capitalistes eux-mêmes. Donc épris du goût exquis du pouvoir, de la fortune et du luxe, ils oublient, avec une vitesse vertigineuse, toutes leurs promesses électorales. C’est justement ce que vient de prouver l’élection de Guillermo Lasso, aux dépends de Andrès Arauz, consacrant ainsi la fin d’environ 3 décades de règne de la gauche socialiste équatorienne, avec deux mandats de Rafael Correa y un de Lenin Moreno, et par voie de conséquence, le retour de la droite conservatrice. Cependant, l’écart de seulement de cinq points, soit 52,51 % des voix contre 47,49 % à Andrés Arauz, selon 93,14 % des suffrages dépouillés, laisse beaucoup à désirer. C’est le témoignage vivant que le sort des socialistes n’est pas tout à fait joué. Cela marque plutôt l’indécision de choix, entre les deux systèmes politiques, antagoniques sur la forme. Dieu seul sait ce qu’il en est dans le fond. C’est une censure flagrante à la gauche qui a trop promis, sans absolument rien respecter, mais qui au contraire a versé de plein fouet, dans la malversation, les gabegies, l’endettement et la mauvaise gouvernance. Est-il possible qu’il y ait une remontée en force de la gauche? Rendez-vous dans quatre ans, soit en 2025. Le mode d’administration de Lasso en décidera.
11/04/2021
Jean Camille Etienne,
Arch.Msc.en Politique et Gestion de l’Environnement