Le pouvoir est une arme à double tranchant. Si certains privilèges restent l’apanage des gouvernants, il n’en va pas de même pour ceux de la sécurité. Nombreuses sont les tentatives d’associer l’opposition politique à l’insécurité grandissante en Haïti. Le pouvoir rendant amnésique, des fois, nos dirigeants semblent oublier qu’il est, en tout temps, de leur devoir de mettre hors d’état de nuire, toute personne, peu importent son appartenance sociale et sa famille politique, dont les démêlés tendent à troubler la paix dans la Cité. Ne pas le faire – par manque de capacités ou de volonté – rend inexorablement le pouvoir responsable de la dégradation de la situation sécuritaire.
Le deuxième lundi de janvier 2020, le mandat des Députés arriva à terme. À minuit, le Président, avec un tweet historique, réitère le coup porté par le Président René Préval, quelques années plus tôt. Il constate la fin de la 50ème Législature et y inclut dix (10) Sénateurs. Malheureusement, l’argument des élections annulées et retardées fut inadmissible, aux yeux de l’Exécutif. Les parlementaires ont dû plier bagage, malgré leur tentative ratée de solliciter l’appui de la Justice qui s’en est lavée les mains, en se déclarant incompétente, pour trancher dans ce litige. Sans aucun recours, le mandat des sénateurs avait pris fin.
Cette disposition a eu pour conséquence de laisser le pays avec un parlement dysfonctionnel, doté de dix (10) Sénateurs seulement. Depuis lors, le pays est gouverné à coups de décrets, jugés inconstitutionnels, et des arrêtés contradictoires à nos lois. Dans la mêlée, on trouve des signatures d’anciens fonctionnaires, comme ce fut le cas d’un arrêté signé par la Ministre démise de ses fonctions au MAST, quelques mois plus tôt. Parmi ces décrets et arrêtés, il convient d’en mentionner trois, à haute portée décisionnelle, qui affecte profondément la vie des citoyennes et des citoyens du pays : la création de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI), le renforcement de la Sécurité Publique et l’affaiblissement de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA), par la restriction de son champ d’actions et de contrôle ex-ante des décisions financières et administratives, concernant le pays.
Peut-être que le Président avait oublié que la jurisprudence, créée avec le constat de la fin de la 50ème Législature, allait devoir s’appliquer à son encontre, un an plus tard. Entre-temps, les ex-parlementaires se frottaient les mains et attendaient anxieusement leur jour de vengeance. Au nom d’une démocratie même boiteuse, il y a des limites à ne pas franchir. Ce jour-là fut le 7 février 2021.
L’opposition politique, à son tour, vient à constater la fin du mandat présidentiel, comme suite logique de l’action du Président, 13 mois auparavant. Ils espéraient un traitement similaire au président car le proverbe haïtien fait croire : ”baton ki bat chen nwa a, dwe bat chen blan an tou”. Ou en français, la justice est une pour tous. Soudain, entre coup de théâtre et coup d’État, le président allait démontrer sa malice, à tous ces adversaires qui le voyaient comme, yon “ ti nèg mòn” (un petit nègre des mornes), un bouki (naïf) respectueux des normes et bornes de la démocratie républicaine. Le président de la république bananière, une nouvelle fois, allait confirmer que la stratégie de gestion politique du pays se reposait sur les scandales et le chaos.
Après le show médiatique d’un juge de la Cour suprême comme comploteur, putschiste amateur, avec des complices, dont la majorité, à cause de leurs âges et santé, pouvaient à peine tenir leurs cannes, le président, rescapé du grand complot contre la sûreté de l’État haïtien, allait prendre refuge dans la ville de Jacmel. Là, dans une foule enthousiaste, la peur de tout accident présidentiel était dissipée, grâce aux sons des tambours et surtout à quelques déhanchements carnavalesques des jeunes jacméliennes.
De retour à Port-au-Prince, scandaleusement et comme avertissement à ses opposants politiques, l’ex-président a mis à la retraite trois Juges de la Cour de Cassation. Un renvoi qui est considéré comme un sacrilège réalisé, car l’inamovibilité de ces juges est consacrée par la Constitution. S’il est juste et légal de mettre à la retraite des fonctionnaires, encore faut-il que la décision se base sur la loi en vigueur ? L’un de ces Juges, n’ayant pas encore atteint l’âge de la retraite prévue par la loi, l’opinion publique conclut rapidement que cette mesure consistait en représailles politiques contre la Cour dont un membre serait impliqué dans une tentative de coup d’État planifié, le 7 février 2021, contre le Président dont le mandat serait arrivé à terme, et un autre Juge ayant accepté de diriger la transition politique, sur la dictée de l’opposition politique.
Sept jours après le 7 février, le Président se fait couronner «Roi» dans le carnaval national, organisé cette année à Port-de-Paix, sa ville natale, en pleine crise mondiale liée au coronavirus. Sur la route du retour à Port-au-Prince, à sa sortie du carnaval, il se donne un bain de foule dans le quartier de Raboteau, aux Gonaïves, réputé pour sa position réfractaire face à ce pouvoir. Conforté dans ses positions, il a réitéré des menaces contre des opposants. Tout porte à croire que le pouvoir anticipait indûment une bataille simple entre le pouvoir en place et l’opposition. Mais malheureusement, la Société Civile s’est mise de la partie, à travers ses différentes organisations. Au niveau de l’international, les appels répétés au respect de la Constitution, prenant en compte la jurisprudence créée par le Président, un an plus tôt, se sont multipliés. Les appuis, en apparence, de l’international silencieux par rapport à Ayiti, dont bénéficiait le gouvernement, se sont effrités. Aujourd’hui, si le pouvoir reste aux mains de l’homme fort des dernières élections organisées dans le pays, l’opposition et la Société Civile foulent régulièrement le macadam pour exiger le départ du pouvoir en place, la mise sur pied d’un gouvernement de transition, le respect de la Constitution, l’amélioration du climat sécuritaire et l’intensification de la lutte contre le kidnapping.
Paradoxalement, le kidnapping s’est intensifié dans le pays, deux Dominicains revenant du tournage d’un film sur le kidnapping ont été kidnappés. Travaillant avec le pouvoir dominicain, le pouvoir aurait tenté de négocier avec le gouvernement dominicain la libération des Dominicains kidnappés, contre l’extradition de l’ex-Maire de la Capitale, opposant au régime, arrêté à un point de la frontière terrestre entre les deux pays (Réf. : Listin Diario du 25 février 2021). Le même jour, il y a eu évasion à la prison civile la mieux gardée du pays, où était détenu un puissant chef de gang de Port-au-Prince.
De scandales en scandales, Ayiti vogue dans la barque de la non-gouvernance avec des assoiffés innombrables de pouvoir. Sur le plan national, croyant encore à un retour au temps sauvage de la dictature, des criminels financiers éprouvent, jour et nuit, le besoin de se protéger des conséquences du pillage systématique du pays et de la dilapidation de près de 4 milliards de dollars des fonds du programme PetroCaribe. Un peuple, assoiffé du strict minimum, voit de moins en moins son avenir sous ce ciel qui l’a vu naître, et des gloutons internationaux ont les yeux rivés sur les richesses localisées dans le sous-sol haïtien.
Comme quoi, les menteurs, les assassins et les voleurs gardent encore le haut du pavé. Seraient-ils donc invincibles?
Ygor Capois