De 1805 à nos jours, Haïti a connu vingt-trois (23) Constitutions. Cette riche production constitutionnelle est sans doute le fruit de la tendance totalitaire et dominatrice, toujours très forte chez nous. Incapables de cultiver la haute sagesse et se dépasser pour penser le pays objectivement, tous les dirigeants, à quelques exceptions près, veulent toujours garder le pouvoir ou choisir leur propre dauphin, pour protéger leur arrière.
Depuis 1806, l’année marquant l’assassinat de Dessalines et la première guerre civile (guerre entre l’armée du Nord, commandée par Christophe, et l’Armée de l’Ouest, commandée par Pétion, suite aux manœuvres et fraudes électorales de ce dernier), la fraude, l’égoïsme et la corruption constituent les principales causes de l’instabilité politique chronique que vit toujours le pays. En effet, chaque équipe présidentielle nourrit l’idée de s’accrocher au pouvoir. Et c’est le propre même de tout jouisseur. Celui-ci, du fait qu’il soit exagérément égoïste, très souvent hédoniste et baccanal, sa première interrogation est: comment faire pour être au pouvoir le restant de sa vie? Ainsi, voit-il toujours la Constitution, comme le seul élément qui peut l’empêcher dans ses furieux désirs.
Lorsqu’on remonte le cours de l’histoire, l’on voit que chaque nouvelle équipe manifeste le désir de changer la Constitution. Certains, entre autres: Pétion, Boyer, Hippolyte, Duvalier (père) etc.., ont réussi à le faire, d’autres ont échoué. Et les changements de constitution ont souvent été sources de renversement.
Avec la Constitution de 1987, véritable fruit d’un consensus national, tout le monde croyait qu’on allait connaître la fin de cette surproduction constitutionnelle. Car l’article 284-3 interdit carrément toute consultation par voie référendaire. Et l’histoire nous montre aussi que les référendums sont souvent des véritables farces, permettant aux tyrans d’arriver à leurs objectifs. 1% de la population peut y participer et ils s’arrangent à ce que de ce 1%, ils parviennent à dégager une quelconque majorité populaire, pour conclure ensuite que la population a approuvé ladite Constitution. Donc, le referendum a toujours été un alibi pour imposer une Constitution qui serait le produit des chimères d’un individu. C’est pourquoi, nos constituants de 1987 avaient cette noble idée de placer ce verrou dans la Constitution. En effet, toute nouvelle constitution est le fruit, soit d’un consensus, soit d’une révolution. Et prôner une nouvelle constitution, c’est en même temps faire la promotion, soit pour une révolution, soit pour un consensus national.
Maintenant, la nouvelle constitution que prône Jovenel Moïse, est-elle le fruit d’une révolution? À cette question nous répondons: non. Est-elle le fruit d’un consensus? Encore: non. A-t-il le pouvoir de le faire et de nous l’imposer? Nous répondons encore: Non. Et enfin, sous quelle Constitution vivons-nous ? À cette dernière question, nous répondons: la Constitution de 1987. Et, si nous disons que nous vivons sous l’empire de la Constitution de 1987, cette action n’a d’autre qualification qu’un acte dictatorial, puisque l’article 150 de cette même Constitution précise que le président n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui accorde la Constitution. Or, le pouvoir de changer la Constitution ne lui est pas accordé. Au contraire, ce pouvoir lui est même interdit.
Face à cette situation, Jovenel Moïse risque de se retrouver dans la situation des hommes comme: Borno, Lescot, Estimé ou encore Jean-Claude Duvalier qui ont tous tenté d’imposer leur Constitution. Quand il partira, il s’en ira avec sa Constitution, puisque celle-ci refléterait ses désirs et ses passions iniques.
Me Inseul Salomon
Sociologue, Avocat.