Qui peut mieux témoigner des horreurs des kidnappings que notre nation dont les membres avaient passé des siècles en esclavage, après avoir été violemment arrachés de leur terre, de leur maison, des seins de leurs mères? Nous sommes tous des descendants des pires victimes d’enlèvements organisés et supportés par un système établi par des politiciens capitalistes avares. Nos ancêtres avaient, avec leur sueur et leur sang, payé des rançons inhumaines et absurdes. En dépit de leurs sacrifices, leur liberté ne fut pas garantie. Le courage, la bravoure, la providence, l’héroïsme de nos révolutionnaires, tous hommes et femmes, aux sons des canons, avec leurs entrailles tranchées par les baïonnettes, avaient permis de créer cette fière nation : Haïti.
Kidnappé par ses propres patrons
Le Général Toussaint Louverture, autoproclamé gouverneur de St-Domingue, français dans l’esprit, haïtien dans la conscience, homme noir dans la peau, avait aboli l’esclavage sur l’Île de Saint-Domingue tout entière, en 1793. Cette étape décisive dans l’émancipation des esclaves noirs africains survenait au moment ou le commerce des esclaves était à son apogée. Certes, les Européens, principalement les Français, parlaient en grande pompe de l’égalité entre tous les hommes, mais leur hypocrisie répugnante ne pouvait pas se cacher car ils comptaient parmi les grands importateurs et propriétaires d’esclaves, à l’instar des Anglais, Portugais et Espagnols.
À l’époque, la richesse de l’empire français dépendait en grande partie du travail non payé des esclaves. Avec l’abolition de l’esclavage, Toussaint, malgré sa loyauté envers la couronne française, avait basculé leurs plans. Comme conséquence, par la ruse diplomatique et les manipulations politiques des kidnappeurs, les politiciens français avaient ordonné, en 1802, la séquestration de Toussaint Louverture. Enfermé pendant des mois dans un cachot au Fort de Joux, il ne fut jamais présenté devant un tribunal ce qui réfute tout élément de légalité ou de légitimité à son emprisonnement.
Toussaint misait sur la justice, sur les nombreuses victoires militaires qu’il avait à son compte sous le drapeau français contre les Anglais et les Espagnols. Malheureusement, il ne fut jamais présenté devant un tribunal pour se défendre contre les accusations de trahison. Il paya de sa vie, le prix de son zèle à la métropole. Le kidnapping de Toussaint et de toute sa famille était une preuve que les grandes puissances coloniales utilisaient longtemps cette pratique comme une arme politique.
Vengeance par le kidnapping
Né en 1794, le premier fils du général Henri Christophe fut admiré et aimé comme le petit prince qu’il n’eut jamais la chance de devenir. Comme tout père responsable, le général voulait donner le meilleur à son fils. Il pensait faire de lui un bon soldat. Donc, son plan bizarrement fut de l’envoyer en France pour ses études et intégrer une académie militaire française. Comment comprendre qu’après 21 ans de guerre, le général Christophe ait choisi la France comme destination pour son premier fils? Est-ce qu’il n’avait pas compris comment les Français avaient dupé le grand Général Toussaint?
Tout comme les politiciens haïtiens qui se présentent comme des socialistes, des anti-impérialistes, le général Henri Christophe avait confié au diable son petit ange. Et les Français, après leur défaite contre l’armée révolutionnaire haïtienne, ils avaient une autre occasion de se venger. Et la victime, cette fois, fut un enfant. En guise d’être envoyé à une bonne école, une académie militaire, le petit Ferdinand fut séquestré en 1804 et garder captif dans un lieu secret. Un an après, sous l’insistance de son père, en 1805, la nouvelle de sa mort arriva à son père qui sombra dans l’amertume. Les conditions de détention et de la mort de ce jeune enfant de 11 ans, jusqu’à date, restent encore un mystère. Tristement, un autre kidnapping, un autre cadavre, un autre frère victime de la terreur des politiciens français.
Au nom de la démocratie, on vous kidnappe!
Des nations étrangères souillent notre sol comme bon leur semble. Au nom de la démocratie, leurs soldats peuvent kidnapper un président légitimement élu pour le remplacer par un autre plus docile, plus servile. Ce fut le cas avec le kidnapping en 1991 contre Monsieur Jean Bertrand Aristide. Pour préserver les principes démocratiques, nos gentils voisins et amis américains nous avaient laissé la gendarmerie d’Haïti, plus tard, convertie en Forces Armées d’Haïti ou FAD’H. Au nom de ces mêmes principes, en 1995, ils avaient démantelé ce qui restait de la FADH. Et le président déchu, une fois de retour de son exil, en 1994, a pris le temps déguster la chute de ses ennemis au sein de la FADH. Les mêmes soldats étrangers qui l’avaient chassé du pouvoir devenaient ses protecteurs. Ce fut une entente fragile et temporaire qui lui permit de jouir de cette douce vengeance contre les militaires putschistes de 1991. Bizarrement, dix ans plus tard, c’était le tour des anciens militaires ou les nouveaux rebelles qui avaient la mission sacrée de renverser leur ennemi, un président élu au suffrage universel au nom de la démocratie.
En 2004, notre nation avait expérimenté un deuxième kidnapping démocratique. Le président Aristide était contraint de quitter les conforts du palais national pour un long séjour en Afrique du Sud. Le héros victorieux de cette révolte, l’ancien militaire, Guy Philipe, allait remettre les clefs de la Capitale, Port-au-Prince, aux soldats américains. Comme on dit chez nous: «baton ki bat chen nwa, se li ki pral bat chen blan an». Tout simplement, l’histoire ne pardonne jamais la trahison. En fait, à peine une décennie plus tard, l’homme élu sénateur de la République serait lui aussi victime d’un autre kidnapping politique.
Trop nombreux sont ces grands hommes politiques qui se laissent séduire par les promesses des patrons étrangers. Ils travaillent avec détermination pour goûter au succès, à la gloire éphémère. Mais, une fois qu’ils ne sont plus utiles, ils sont eux-mêmes kidnappés et jetés en prison. Comme on dit, la vengeance et la violence politique se manifestent souvent par des actes de kidnapping. Ne soyez pas surpris si vous entendez à la radio des bandits justifier leurs malfaisances ou leurs crimes par la politique. Au nom de la démocratie, vous risquez d’être kidnappé de votre maison, dans votre propre pays. Comment peut-on cohabiter avec des bandits démocrates?
Rodelyn Almazor
Culture & Société
Ecrivain – Poète