Avant même, de profiter de notre victoire historique et glorieuse contre l’armée de Napoléon en novembre 1803, nos anciens ravisseurs n’avaient pas pris trop longtemps pour nous extorquer. Par les menaces et les malices diplomatiques de toutes sortes, les politiciens français avaient exigé aux dirigeants haïtiens le paiement d’une forte rançon pour reconnaître notre droit de vivre librement comme peuple indépendant. Certes, les négociations avaient commencé avec le président Alexandre Pétion qui dirigeait la partie Ouest et Sud d’Haïti, pendant que l’empereur Henri 1er régnait au nord du pays. La méfiance de ce dernier n’avait favorisé aucun rapprochement avec les anciens colons. Pour le roi Henri 1er, nous avions déjà payé par le sang, pendant des siècles, le prix de notre liberté, et le peuple haïtien devrait se préparer pour la défendre à tout prix. Les origines de ces leaders permettent facilement de comprendre leur position par rapport aux négociations avec les Français.
D’un côté, un ancien esclave, ancien général devenu roi du nord, notre empereur Henri 1er, à l’instar de magnanime empereur Jacques 1er , avait mille et une raisons pour se rebeller contre ces anciens maîtres, ces dévoreurs d’hommes africains, ces esclavagistes inhumains, ces cannibales impérialistes européens. De plus, la disparition, suivie par la mort de son premier fils, Ferdinand François Christophe en 1805, pendant qu’il étudiait en France, avait ajouté à sa haine des Français. De l’autre côté, dans la partie républicaine de l’Ouest avec des fils des Français et d’esclaves, on y trouvait des mulâtres comme les généraux Pétion et Boyer, devenus présidents successivement, et qui avaient une vision modérée des causes de la France. Leurs enfances privilégiées, comparativement à leurs frères noirs, et leurs études et séjours dans l’académie militaire à Paris, leurs premières expériences de combat sous le drapeau français, avaient fait d’eux, les meilleurs négociateurs aux yeux des Français.
Sous la présidence du général Jean-Pierre Boyer, dans une atmosphère de réunification d’Haïti après la mort du roi Henri Christophe suivie par la chute chaotique du royaume du Nord, en avril 1825, le roi Charles X publia l’ordonnance qui définit les conditions imposées à Haïti pour la reconnaissance de son indépendance dont elle jouissait déjà pendant 21 ans. La conjoncture politique est un vif rappel que les empereurs Jacques (Ancien Général Jean-Jacques Dessalines) et Henri 1er étaient les vrais obstacles aux entreprises malhonnêtes et mafieuses des Français. Il convient de souligner les éléments clés de ce traité que le gouvernement de Boyer avait célébrer comme une victoire diplomatique, sans prendre la peine de justifier une quelconque menace réelle d’une invasion des Français qui était de moins en moins probable, au fil des années.
Quand on lit l’article 1 du communiqué établissant le commerce avec Haïti, le premier élément c’est un traitement préférentiel où les navires français ne devaient payer que la moitié de leurs obligations. L’intention était de reprendre le contrôle du commerce haïtien, des mains des Anglais et des Américains, en s’octroyant des réductions considérables sur tous les prélèvements de taxes et obligations douanières que devaient acquitter commerçants et navires français. Une première version de ce fléau qui existe jusqu’à date qu’on appelle franchise douanière. Les Américains devront attendre leur invasion et occupation en 1915 pour reprendre le contrôle totale du commerce haïtien, en prenant le contrôle de nos ports et surtout en modifiant nos lois pour les rendre plus avantageuses au commerce avec les États-Unis.
Dans l’article 2, « les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la caisse générale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant au trente-un décembre mil huit cent vingt-cinq, la somme de cent cinquante millions de francs », destinés à indemniser les anciens colons qui réclameraient le double comme indemnité. Cet événement fut unique en son genre dans l’histoire universelle ou une indemnité de guerre fut imposée par les vaincus aux vainqueurs.
Pour vous aider à mettre cette situation dans un contexte plus proche de la réalité, prenons les cas de kidnapping très fréquents à Port-au-Prince. Imaginez-vous, pour un instant, que vous avez été séquestré(e) et livré aux travaux forcés. Les jours, semaines, mois passent en attendant que vos parents vous libèrent ou que vous payez votre propre liberté. Finalement, vous vous armez de courage et frappe plusieurs de vos bourreaux en prenant la fuite. Malheureusement, vos ravisseurs envoient un émissaire pour négocier avec vous. Ils vous demandent de payer une rançon pour ne pas vous kidnapper à nouveau. Effrayés, vos parents se plient au chantage. Mais, arrivé le moment du paiement, ces mêmes ravisseurs vont vous prêter de l’argent pour payer leur rançon à un taux élevé. De plus, ils vous exigent de leur faire un rabais de 50% dans votre petite boutique.
J’aurais bien aimé que le récit précédent aurait été une simple anecdote. Honteusement notre histoire est marquée par la méchanceté des anciens colons français qui voulaient à tout prix récupérer les biens et terres qu’ils avaient perdus durant la guerre de l’indépendance d’Haïti. À défaut de restitution, ils avaient convaincu nos dirigeants mulâtres, et moitié français, de la nécessité d’une indemnité aux colons voleurs et vaincus. Selon certains historiens, les Français avaient pris comme référence pour calculer leurs fallacieuse indemnités les revenus totaux de l’année 1789, avec 48 822 404 francs pour le sucre, 70 299 731 francs pour le café 25 542 664 francs pour le coton et l’indigo, ce qui fait un sous-total de 144 664 799 francs. De plus, ils avaient ajouté 5 millions de francs pour les terres et habitations des anciens colons, pour compléter les 150 millions de francs de rançon absurde en cinq versements.
.Avec la promesse du gouvernement haïtien de payer cette escroquerie, la France, en revanche, allait reconnaître leur défaite et officiellement accepter l’indépendance pleine et entière du gouvernement haïtien. Et le gouvernement haïtien n’ayant pas les moyens d’exécuter le premier paiement, on a dû contracter une autre dette de 30 millions de francs des français à un taux élevé. Ce phénomène est considéré en économie comme une double dette. En réalité, ce fut le cas de ce que j’appelle une double rançon. Cela dépasse l’imaginaire, n’est-ce pas?
Quelle abomination dans l’ordre mondial! Quel sacrilège à la fierté de tout un peuple! Comment comprendre une violation si flagrante à la déclaration universelle des droits de l’homme par les mêmes auteurs de ce fameux document? Pourrait-on pardonner un jour à la France, ce blasphème contre la liberté de toute une race, de toute une nation, sans la restitution et les réparations correspondantes? Les archives confirment que nous avions versé l’équivalent de 21 milliards de dollars américains aux Français pour la reconnaissance de notre indépendance.
Quand on prend en compte les dettes consenties par la République d’Haïti pour payer la dette française, ces valeurs peuvent s’estimer facilement à plus de 30 milliards de dollars américains aujourd’hui. En effet, nul ne peut prétendre comprendre ou expliquer la misère et le sous-développement des Haïtiens, sans analyser les vols et pillages des Français, avant et après nôtre indépendance. Saviez-vous que notre produit intérieur brut (PIB) avant la guerre de l’indépendance dépassait celui de nos voisins : Dominicains, Cubains, Jamaïcains voire les Américains?
Si la communauté internationale, après la deuxième guerre mondiale, avait compris la nécessité de forcer les Allemands à payer des réparations aux victimes des atrocités des nazis, si aux États-Unis on parle de réparations pour les crimes commis par les Blancs pendant l’esclavage, alors comment comprendre le silence complice, tant sur la scène internationale et nationale sur la dette de l’indépendance d’Haïti, payée à la France? En effet, le devoir patriotique exige de tout Haïtien, de toute Haïtienne, de former un front commun pour réclamer du gouvernement français, «RESTITUTIONS & RĒPARATIONS», pour cette double rançon, l’affront de l’indemnité pour la reconnaissance de notre droit de vivre comme un peuple libre et indépendant.
Rodelyn Almazor
Culture & Société
Ecrivain – Poète
Référence:
1. Public debt and slavery: the case of Haiti (1760-1915) Simon HENOCHSBERG
2. De St Domingue, Moyen facile d’augmenter l’indemnité
3. Pièces officielles relatives aux négociations avec le gouvernement français sur la formalité de la reconnaissance de l’indépendance. 1824, Imprimerie du gouvernement de la République d’Haïti.
4. https://www.measuringworth.com/slavery.php