Devrions-nous convertir en blague cette brève interruption du courant électrique en plein discours du président de la République, Monsieur Jovenel Moïse? Ce blackout présidentiel, spectaculaire semble provoquer les rires moqueurs dans les médias. Bizarrement, quand le peuple haïtien ridiculise les mésaventures de ses dirigeants, il se moque de ses propres malheurs. Car, si le problème technique au Palais National avait duré quelques secondes, chez nous, ses pauvres compatriotes, le blackout omniprésent a des conséquences très néfastes sur nos activités économiques et surtout sur l’éducation et l’avenir de nos enfants.
Charlatanisme ou manque de leadership?
En Haïti, les quelques heures de courant électrique sont réparties soigneusement ou malicieusement, selon les zones de priorité. Dans les quartiers moins privilégiés de nos grandes villes, les jours passent et les semaines passent sans ce traditionnel cri populaire indiquant l’arrivée du courant électrique: «Yo bay li»! Plus on s’éloigne de ces grandes artères politiques et commerciales, plus la situation devient précaire. Dans les zones reculées d’Haïti, on ne voit même pas les infrastructures et installations de base. Il est inconcevable qu’après plus de deux siècles du triomphe de la première révolution noire et anti-esclavagiste d’Amérique, que nos frères et sœurs vivent encore dans l’obscurité et la misère.
Vu la situation actuelle où les simples citoyens font la queue pour payer les services de recharges de leurs téléphones mobiles, on peut se demander si réellement la crise énergétique haïtienne pourra un jour disparaître. Il semble impossible à nos dirigeants politiques de trouver une solution viable et durable à ce problème de blackout:
- La privatisation partielle de l’EDH par les gouvernements lavalassiens n’avaient pas apporté les résultats escomptés dans l’électrification massive du pays.
- Les contrats généreux, d’après 2010, octroyés à certains producteurs de courant électrique pour accroître leurs capacités et servir mieux la population n’ont pas pu éradiquer le problème de blackout et ont, de fait, contraint l’État haïtien à subventionner lourdement l’EDH, ces 10 dernières années.
- L’acquisition arbitraire ou nationalisation de la compagnie SOGENER par le président Jovenel Moïse a encore démontré l’incapacité de l’État haïtien de résoudre ce problème, une fois pour toute.
Des promesses au rabais
Au fil des années, la demande croissante en énergie a servi de prétextes aux politiciens paresseux, pour lancer des promesses légères et populistes au peuple haïtien. Le président Jovenel Moïse, peut-être, fut l’unique à proposer un projet de courant électrique 24/24 aussi audacieux. Toutefois, il n’est pas le premier à promettre au peuple que leurs ampoules seraient allumées une fois au pouvoir. Les anciens présidents Michel Martelly, le feu René Préval ainsi que leurs prédécesseurs avaient emprunté des voies similaires mais avec un peu plus de pragmatisme. Car, si le peuple se plaint de ces blackouts répétitifs, les dirigeants de l’EDH n’ont jamais raté l’occasion de rappeler aux abonnés malhonnêtes leurs obligations de payer leurs bordereaux.
Quelle institution peut éviter la banqueroute quand plus de 70% de ses clients ne paient pas leurs factures? Comment peut-on espérer que l’EDH soit une compagnie rentable quand elle achète avec le kilowatt/heure de courant électrique plus cher que son prix de vente? Les subventions du trésor public, pour soutenir l’EDH, encouragent davantage la corruption au sein de la boîte. Et pire, ces subventions profitent surtout aux centaines de milliers de pirates illégalement branchés sur les réseaux de l’EDH.
La solution n’est pas pour demain
Il faut éviter de répéter les erreurs de nos politiciens en cachant les vraies causes du blackout. La nation doit savoir que pour faire disparaître le blackout, il faudra entamer une révolution énergétique qui prendra au moins une décennie pour apprécier les impacts positifs de façon substantielle. Malheureusement, une telle décision doit passer par la politique, dans un cadre économique bien défini, avec des leaders et exécuteurs techniques qualifiés en la matière. Pour électrifier plus de 90% de la Jamaïque, près de cinq milliards de dollars américains furent nécessaires pour l’expansion des infrastructures de leur réseau électrique national. Considérant qu’Haïti est environ trois fois plus grande que la Jamaïque et l’état délabré de notre réseau électrique actuel, il nous faudra près de dix ans avec un budget avoisinant les vingt milliards de dollars américains pour électrifier notre portion de l’île, à plus de 95%. Ces chiffres sont loin d’être une exagération, quand on analyse froidement les résultats concrets obtenus en Haïti, après avoir dépensé près de quatre milliards de dollars des fonds du projet de PétroCaribe.
Une attitude patriotique et responsable
Au lieu de passer le temps à se questionner sur la bonne volonté de nos dirigeants qui remplacent leurs anciennes promesses non tenues avec de nouvelles promesses plus créatives, il convient d’éduquer et d’inviter le peuple à jouer un rôle important dans la révolution énergétique. Si, aujourd’hui, il est la première victime, demain, sans doute, le peuple deviendra le principal bénéficiaire de cette transformation énergétique. Certes, la majorité de la population haïtienne est déjà trop pauvre pour se payer le kilowatt/heure, même à vingt-cinq centimes de dollars ou vingt-cinq gourdes. Les vingt heures de courant électrique, soit six cents gourdes dépasseraient largement le salaire minimum de cinq cents gourdes en Haïti. Voilà pourquoi on devrait plutôt parler d’une révolution énergétique qui ferait partie d’un plan macro-économique visant à l’amélioration des conditions de vie du citoyen haïtien.
Toutefois, rappelons que l’accès à l’eau potable est un droit que tout citoyen peut exiger de ses dirigeants. Quant au courant électrique, l’approche doit être pareille à la technologie. Il s’agit d’un privilège que le citoyen ou la citoyenne doit pouvoir se payer. Et quiconque croit encore que le gouvernement en place, dans les conditions politiques et économiques actuelles, ou que l’État haïtien, longtemps en faillite, doit lui garantir l’accès au courant électrique 24 sur 24 gratuitement, vit encore dans le pire blackout.
Ing. Rodelyn Almazor