Depuis quelque temps, la question de la fin du mandat de l’actuel président de la République, Monsieur Jovenel Moïse, est agitée dans les médias, voire même sur tous les réseaux sociaux. Mais, au fond, à la lumière de la Constitution de 1987 et d’autres faits historiques, l’on se questionne s’il y a matière vraiment à débats. En effet, la Constitution du 29 mars 1987, marque une rupture formelle avec le dernier régime politique dictatorial, inauguré au début des années 1960 par François Duvalier, après avoir fait une réforme constitutionnelle et crié haut et fort: «mwen pran pouvwa pèp la ban mwen an. E mwen pran, e m pran l nèt…». Les rênes du pouvoir ayant été transmises à l’Armée par Jean-Claude Duvalier lui-même, fils héritier de François Duvalier, un désordre est éclaté au sein même de cette armée, avec une instabilité caractérisée par des épisodes de fusillades, de massacres et de putschs, de 1986 jusqu’à son effondrement, en 1994. La chronologie constitutionnelle des mandats présidentiels, allait commencer en 1988 avec bien sûr, l’élection du professeur Leslie Manigat, mais interrompue par cette même armée, pour recommencer finalement en 1991, avec l’élection de Jean Bertrand Aristide. Malgré les méandres de la vie politique, le schéma chronologique des mandats des présidents élus, a pu toujours se maintenir et, nous avons eu: Jean Bertrand Aristide 1991-1996; René Préval 1996-2001; Jean Bertrand Aristide 2001-2006; René Préval 2006-2011; Michel Martelly 2011-2016; Jovenel Moïse 2016-2021. Ceci étant, sous l’empire de la Constitution de 1987, on a eu six mandats présidentiels dont le dernier est celui de Jovenel Moïse. Et, suivant cette même logique, Jovenel Moïse devrait partir le 7 février 2021. Car aller au-delà, c’est en quelque sorte, déranger la chronologie même de l’ordre constitutionnel des mandats. Intronisé le 7 février 2017, le président Jovenel Moïse a perdu au moins un an dans son mandat constitutionnel, en fonction des évènements entourant le processus électoral, initié en 2015, lequel processus a cumulé plusieurs mois de retard, avant d’arriver à la réalisation de l’élection devant le conduire à la tête du pays. En janvier 2020, le président brandit les articles 92 et suivants ; 94, 94-1, 94-2, 94-3 et 95 de la Constitution, pour constater la caducité du Parlement, alors qu’il devrait lui-même, faire tous les sacrifices possibles, pour réaliser les élections et permettre le bon fonctionnement des institutions (article 136, Constitution 1987). Ayant failli à sa mission et voulant malgré tout rester au pouvoir, il brandit seulement l’article 134-1 de la Constitution qui parle de la durée du mandat, pour s’y accrocher, tout en oubliant l’article 134-2 de cette même Constitution qui consolide le schéma chronologique et qui admet, par-dessus tout, la possibilité qu’un élu perde une partie du temps de son mandat, comme c’est aussi le cas des articles 92-1 et 95 pour les autres élus (députés et sénateurs). De manière lapidaire, l’alinéa 2 de l’article 134-2 dit ceci : «Le président entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection». La seule question qu’il faut se poser alors, est: qu’elles ont été véritablement la date et l’année au cours desquelles l’élection de Jovenel Moïse a été réalisée? Si la réponse est le 20 novembre 2016, le débat est clos. Là, nous disons que cet article est tellement limpide, qu’il n’y a même pas matière à débats. Et les hommes du pouvoir savent pertinemment que c’est le cas. Empêtrés, la question est maintenant pour eux: comment faire pour que le régime PHTK garde encore le pouvoir ? Il semble alors qu’une stratégie à quatre options a été élaborée, mais une stratégie dangereuse, bien sûr, et qui peut provoquer un désordre total, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner non seulement pour la nation, mais aussi pour les principaux artisans de ce désordre. Ces 4 options sont:
1 La bataille de l’opinion publique
Ils se lancent dans un jeu de duperie, mais surtout malhonnête, pour soulever des débats, semer la confusion pour évoquer ensuite un flou constitutionnel. Et comme il n’y a pas de conseil constitutionnel ou de cour constitutionnelle, ils croient pouvoir rester en place et que la population comprendra alors que c’est la faute de la Constitution. L’on voit déjà certains intellectuels proches du pouvoir qui défilent dans les journaux et dans les médias. Ils font des déclarations à l’emporte-pièces, à la recherche d’une justification pour la thèse de 2022, si thèse il existe. L’on voit aussi l’implication de certains journalistes et médias de grande écoute. L’on voit aussi que même le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a publié une note qui va également dans ce sens, invoquant une réforme constitutionnelle, malgré la limpidité de l’article 134-2 de la Constitution.
2 Réalisation des élections.
Cette option consiste en la réalisation des élections frauduleuses, avant 2021, pour s’assurer d’une passation heureuse avec le support aveugle du Core Group. Et l’observation de l’acharnement du pouvoir, malgré le confinement décrété pour la COVID- 19, à fabriquer et à distribuer des cartes dîtes «DERMALOG», en est une preuve.
3 Une nouvelle Constitution.
Confortée par la note du BINUH, cette option vise la l’Élaboration d’une autre Constitution (peut-être à l’instar de Duvalier en 1961), au profit de Jovenel Moïse, des dilapidateurs et qui, cette fois-ci, pourrait aussi réconforter l’internationale. En tout cas, espérons qu’il n’adopte pas la suite du discours de Duvalier lorsque ce dernier eut à tenir les propos suivants: «si yon nonm konprann w ap vire kò w a dwat e a goch, m ap fè bouda w pase nan paswa ».
4 Le passage en force.
Comme dernière option, ils veulent le passage en force avec le support des hommes armés. Et on peut prendre pour preuves, l’intervention de «Babekyou» expliquant dans une vidéo, l’idée de la formation d’un G-9. N’oublions pas non plus que des informations circulent déjà, faisant croire que le Directeur de la CAS a été recommandé par des chefs de gang. À l’analyse, il serait de bon ton que le président opère un dépassement, pour comprendre ce qui se dessine et le malheur que sa déraison peut apporter pour le pays. Dans le cas contraire, deux situations sont possibles :
Première situation: Jovenel Moïse maintient le contrôle du pouvoir, malgré vents et marées, impose sa loi au reste de la population et c’est la dictature.
Deuxième situation : à partir du 7 février 2021, Jovenel Moïse perdra toute sa légitimité et il sera perçu comme n’importe quel citoyen ordinaire, ou tout simplement, un imposteur. Les principaux dilapidateurs qui ne jurent que par leur impunité, vont continuer à charger leurs armes et nourrir leurs gangs. À ce moment-là, le pays qui est déjà infesté de gangs et avec une opposition déjà prête à tout, risque de sombrer dans le chaos total.
Me Inseul Salomon