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Et l’étau se resserre un peu plus

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La semaine a commencé comme l’avait annoncé l’opposition. La population a pris le macadam en grand nombre pour signifier au locataire du Palais National qu’elle révoquait son mandat et qu’il était temps pour lui de tirer sa révérence. Des sources diverses ont estimé à des foules de plusieurs centaines de milliers de personnes, manifestant dans les rues de Port-au-Prince, de Pétion-Ville, de Jacmel, de Petit-Goâve, de Cap-Haïtien, des Cayes, des Gonaïves, enfin d’un peu partout à travers le pays. Des grandes chaînes internationales d’information ont relayé les nouvelles du pays, à travers le monde. Haïti a repris, une fois de plus, les manchettes de l’actualité, et pas pour les bonnes raisons. Le Président Jovenel Moïse est décrié par sa population qui lui demande de donner sa démission et de se mettre à la disposition de la justice de son pays. Ce dimanche 9 juin, s’il en était encore besoin, le peuple haïtien, dans sa majorité écrasante, dans un consensus rarement atteint, a dit au monde, qu’il ne voulait plus de ce président parachuté de nulle part, d’une rare incompétence et, pire encore, indexé dans des détournements de fonds, selon le dernier rapport d’audit de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif. Même certains de ses alliés, comme le Dr. Réginald Boulos qui s’en confesse, s’en repent et lui tourne le dos, l’invitent à passer la main au plus vite. Mais M. Moïse s’accroche au pouvoir, malgré la fronde qui gronde dans les rues. Il attend. Il attend quoi au juste?

La fin de l’aventure de Jovenel Moïse était prévue longtemps à l’avance. À moins d’un miracle, il allait conduire ce pays à un naufrage catastrophique. À considérer l’état des choses, on semble bien parti pour cela. À moins d’un miracle, il n’allait pas pouvoir transposer, dans la réalité, des rêves accrocheurs, transformés en slogans publicitaires frappant l’imagination de si nombreux crédules de nos contrées. À moins d’un miracle, il était évident qu’il ne pourrait pas réaliser sa promesse de fournir de l’électricité 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, tout au long de l’année, et ce, à partir de juin 2019, sans aucun moyen financier réel, assorti pour le faire. Et pour cause, à l’échéance, il n’y a pas de courant électrique 24 heures sur 24, comme il était prévisible que ce serait le cas. Même qu’on en a de moins en moins, partout sur le territoire.

Il avait également recouru à un autre expédient que fut la Caravane du Changement qui a fait long feu. Partout où elle est passée, elle n’a récolté que des échecs, faute de planification, faute d’organisation, faute de moyens adéquats aussi. Quand les ouvriers, qui sont à pied d’œuvre dans cette Caravane, ne sont pas payés le salaire ou les frais qui leur sont dus, comment pensez-vous qu’ils peuvent livrer la marchandise ou résister aux offres de mettre la machinerie et les matériaux disponibles pour les travaux publics, au service de quelques nababs locaux qui leur paieront à vil prix, ces biens et services ainsi détournés à leur profit ? C’est ainsi que nous avons des routes à rabais, mal conçues et qui ne durent que l’espace d’une saison de pluie, quand on finit par en compléter quelques tronçons. Le pire dans tout cela, c’est que nos tuteurs ont également feint de ne pas sentir l’arnaque qui puait à plein nez. Plusieurs de nos bailleurs de fonds, au lieu de lui suggérer de mieux structurer son initiative pour qu’elle soit effective et durable, ont commodément fermé les yeux et lui ont accordé quelques miettes de subvention. Pourtant, ils savent bien qu’un kilomètre de route à deux voies, dument asphalté et pourvu de canaux de drainage pour évacuer adéquatement les eaux de pluie, ne pouvait pas coûter 100 000 dollars. Cela prend, au bas mot, 1 million de dollars, selon les experts. Mais, ils se sont dit: qui sait, peut-être que lui, il peut faire des miracles. Et ils ont feint de mordre à l’hameçon, sachant fort bien que cela ne marchera pas. Et pour cause, cela n’a pas marché. N’en déplaise à la feinte crédulité de nos bienveillants tuteurs.

Et revoici à nouveau le peuple dans les rues, à manifester PA-CI-FI-QUE-MENT, s’il vous plaît. On l’a bien vu chanter à tue-tête et demander à Jovenel de partir, pendant qu’il en est encore temps. De prime abord, on a bien cru que tout s’était déroulé dans l’ordre. Mais c’était sans compter sur des éléments de l’USGPN, entendez par là, l’unité de police chargée de la sécurité du Palais National. On a vu un policier qui lapidait un manifestant à terre, à coups de pierre, jusqu’à l’assassiner. Ceci est officiel. Le Directeur Général de la Police, Michel-Ange Gédéon, a pris la peine de le dénoncer publiquement, de demander formellement aux membres de la Police Nationale d’Haïti, quelle que soit son unité d’attache, de ne pas accepter d’exécuter des ordres illégaux qu’ils pourraient recevoir de quelque autorité supérieure que ce soit. Comprendra qui voudra, mais le message est assez limpide car il n’est pas tout à fait en daki.

Le bilan n’est pas encore clairement établi. Il y a bien eu mort d’hommes et peut-être de femmes également. Les organisateurs de la manifestation parlent de 7 morts. La Police reconnaît au moins un autre décès. Mais c’est un décès de trop, et le policier qui en est l’auteur s’en serait sauvé de justesse, poursuivi qu’il était poursuivi par une foule en furie. Mais on sait qui il est, à quelle enseigne il loge et surtout où il gîte. On commence à mettre un doigt dans un engrenage qui n’épargnera personne, au bout du compte, sauf ceux qui ont, comme d’habitude, la prescience de déguerpir pour aller couler des heures plus tranquilles, ailleurs, aux Bahamas ou au Vietnam par exemple, laissant, aux «souflantyou» d’un étage inférieur, le soin de faire la sale besogne. Et ceux-ci y vont allègrement. Après tout, les bayakou politiques qui passent après nos politiciens et autres «master en toute chose» et PDG de moult entreprises diversifiées, pour ramasser leurs couches souillées et maquiller leurs bêtises en trouvailles du siècle, ceux-là ne sont pas payés en zorèy bourik. Ils gagnent très bien leur vie à débiter leurs sornettes sur les ondes.

À la télé, j’en ai vu défiler quelques-uns en train d’accoucher laborieusement de quelques sophismes. Pour l’un d’entre eux, il ne serait pas vraiment condamnable de se faire payer deux fois pour le même projet. C’est selon. De toute façon, ce ne serait pas le PDG de la compagnie fautive qui devrait être indexé mais bien la Compagnie, celle-ci ayant sa propre identité juridique. Le super PDG qui, comme par un pur hasard est devenu Président, serait un malheureux à qui on infligerait un procès politique monté de toute pièces. Tout cela relèverait d’un vaste complot de l’opposition politique pour renverser le bien élu Président de la République qui doit, «per fas et nefas», compléter le mandat que lui a octroyé son peuple, dans sa grande sagesse. Le truculent Pasteur Blazé ne pourrait pas faire mieux. Et, si ces supporters du gouvernement, Conseillers politiques experts à leurs heures, persistent dans cette voie, tous nos comédiens, qui font fortune à passer nos politiciens en dérision, vont avoir une rude concurrence avec ces pince-sans-rire qui n’en sont pas vraiment. Certains ne se hasardent même pas à affronter notre canicule politique in situ. Ils préfèrent, et de loin, abuser de la magie des ondes, de la vitrine virtuelle, tout en restant bien à l’abri dans leur confort washingtonien. C’est plus prudent ainsi, en effet.

Mais la semaine semble bien partie pour continuer un peu dans la même veine. Ce lundi 10 juin n’a pas été non plus de tout repos. Les rapports des correspondants des divers médias attestent d’une manifestation populaire qui a à peine faibli en nombre mais qui ne lâche pas prise. Le gouvernement a déjà appris à jouer avec le temps. Il l’a fait avec succès, trois fois auparavant. Il table donc sur l’essoufflement des manifestants, pour sauver sa peau. Mais il n’est plus tout seul à avoir appris. Et le mot du Premier Ministre désigné, Jean-Michel Lapin, pourrait ne pas être si mal placé, après tout. Cela pourrait bien devenir une forme de guérilla pacifique de la part de l’opposition qui parviendrait ainsi à étrangler l’Exécutif, en jouant la durée, elle aussi. Elle tiendrait la rue en permanence séquencée, par blocage physique et aléatoire des voies publiques, par des manifestations populaires ponctuelles et stratégiquement déployées, visant des zones névralgiques à haute visibilité et à forte sensibilité, tout en aménageant, aux manifestants, des répits séquencés également, pour se refaire des forces, pour s’approvisionner, pour renouveler les consignes, pour dérouter l’adversaire (je n’ai pas dit l’ennemi).

À ce jeu, il est clair que même revêtus de leur immunité, les diplomates du CORE Group ne doivent pas raffoler de devoir rester cloîtrés indéfiniment dans leur ambassade. Déjà qu’ils ne doivent pas trouver très drôle de se débrouiller avec un personnel réduit au strict minimum, si, en plus, cela devait durer, disons deux ou trois semaines, ce ne sera pas exactement une partie de plaisir pour personne, eux compris, même si leur sécurité physique ne se trouverait nullement directement menacée pour autant.

La stratégie du «wait and see» n’est pas non plus sans conséquence pour nos entrepreneurs locaux. Ceux-ci pourraient bien vouloir appuyer le gouvernement de Jovenel Moïse à surfer sur la vague et à attendre la fin de la tempête politique. Néanmoins, à la longue, cela n’est pas tellement bon pour les affaires. En 11 mois, cela fait déjà cinq tempêtes politiques et pas des moindres qu’ils ont essuyées: celle du 6, 7 et 8 juillet 2018, puis celle du 17 octobre 2018, puis encore celle du 18 novembre 2018, puis celle de février 2019: le «peyi lok». Et les revoilà plongés dans le même drame, une autre fois. Et cela, c’est sans compter le marasme financier, la décote de la gourde, la criminalité rampante qui n’épargne personne, eux non plus. Je ne sais pas s’ils vont tenir le coup aussi longtemps que le Président et sa garde rapprochée le souhaiteraient. En tout cas, Bernard Craan et Réginald Boulos, pour ne citer que ces deux porte-étendards, ne semblent plus faire partie de ceux qui veulent attendre indéfiniment la fin de cette saga qui traîne. Officiellement et publiquement, ils ont largué Jovenel. Le menu commerce aussi, pas seulement les gratins, n’est pas de très bonne humeur, aux Gonaïves et à Jacmel, récemment, les commerçants de ces villes ont fermé leurs boutiques pour protester, contre la débandade de la gourde et les crimes dont ils sont régulièrement les victimes ciblées.

Bref, l’étau se resserre de plus en plus sur ce Président à court de ressources, à court de légitimité, forcé de se rabattre sur ses dernières planches de salut: le recours à la force et à la brutalité dissuasives, tout aussi criminel et illégal, d’une part, et d’autre part, à la complicité passive de ses tuteurs dont le silence et l’inaction deviennent de plus en plus intenables. Après cet épisode, quelle qu’en soit l’issue, Jovenel Moïse ne pourra plus gouverner ce pays et transiger avec ses pairs de la Communauté Internationale, les yeux dans les yeux. Personne ne pourra lui serrer la main en public sans rougir ni l’inviter à quel que forum que ce soit. Sweet Micky a eu sa rebuffade publique en mars dernier au Canada où il est redevenu le personnage infréquentable que lui avait rappelé un de ses ministres au début de son règne, M. Daniel Supplice. Le même sort attend sans doute son poulain, non en raison de sa vulgarité et de sa misogynie outrancières mais à cause d’autres crimes de sang et de finances dont il sera accusé et dont il aura beaucoup de difficulté à se laver devant l’opinion publique internationale, sinon devant nos tribunaux. Désormais, le sang versé dans ce drame qui se joue à visière levée, retombera sur lui et sur ceux et celles utilisés en sous-main pour perpétuer cette forfaiture. Et, lorsqu’on fera le bilan du règne global du PHTK, il ne faudra pas oublier non plus cette autre contribution négative qui viendra allonger le lourd passif de la Communauté Internationale, toutes origines confondues et de tous les temps, dans les affaires de notre pays.

Pierre-Michel Augustin

le 11 juin 2019

 

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