Ces derniers temps, je me suis surpris à réfléchir à certaines bizarreries qui surviennent dans le monde. Nous vivons vraiment un moment spécial dans l’histoire du monde, une sorte de retour d’âge, pourtant inscrit dans un continuum historique. Nous revivons un peu les années 60 à l’envers, avec les mêmes acteurs mais dans des postures politiques inversées. C’est vraiment étrange. Suivez-moi un moment dans ce dédale.
Au surlendemain de la 2ième Guerre mondiale du siècle passé, les Américains détenaient le haut du pavé dans le monde et, profitant de leurs avantages économiques et militaires conjoncturels, pesaient de toutes leurs forces sur l’adversaire soviétique, sans toutefois recourir à la confrontation ultime. Celui-ci, pour lui barrer la route, avait dû se résoudre à l’érection d’un mur pour vrai, fait de béton et de pierres, pour tenter de contenir cette force qui semblait devoir le bulldozer, à terme. Les Soviétiques avaient ainsi construit un mur long de 155 kilomètres pour séparer Berlin en deux zones bien distinctes. C’était en plus de ce qu’on appelait métaphoriquement «Le Rideau de Fer» qui était la frontière virtuelle, ô combien réelle, entre la zone d’influence occidentale et celle d’influence soviétique. Cela a tenu bon pour un temps. Le Mur de Berlin, tant honni dans les démocraties occidentales, a fini par tomber sous les coups de boutoir de celles-ci, tout particulièrement de leurs chefs de file, les Américains. C’était devenu le Mur de la Honte. C’était devenu intenable, au fil du temps. Sans coup férir, sans même tirer un seul coup de feu, ce Mur a été abattu à la main, au marteau et au pic de citoyens armés de leur détermination de s’en affranchir. La construction du Mur avait débuté le 13 août 1961. Il fut renversé le 9 novembre 1989. Des pans entiers sont emportés un peu partout, certains se trouvent aujourd’hui dans des musées pour rappeler au monde, à l’humanité toute entière, cette période sombre de son histoire.
Trente ans plus tard, un trublion venu des démocraties occidentales, se retrouve exactement à l’opposé de la trame historique du monde. Le Président américain, Donald Trump, se débat comme un diable dans l’eau bénite pour trouver les fonds nécessaires pour en ériger un, mais en Amérique, cette fois-ci. Et comme tout ce qui se fait en Amérique est plus «GREAT », il sera gigantesque, promet-il. Il sera plus haut et surtout plus long. Il courra tout le long de la frontière sud des États-Unis d’Amérique avec les États-Unis du Mexique, qui mesure 3 141 kilomètres. Rassurez-vous, le mur ne sera pas continu, paraît-il. Il ne viendrait pas à l’idée, même du Président Donald Trump, de poser des écluses sur le «Rio Grande», par exemple, pour séparer la portion américaine de ce fleuve que les Américains partagent, bien malgré eux, avec les Mexicains. Ce mur sera aussi bien plus haut : 15 mètres environ et coûterait, s’il est bel et bien construit, la bagatelle somme de 26 milliards de dollars, en dollars d’aujourd’hui. Cela pourrait durer environ 10 ans pour terminer cette entreprise pharaonique. Ah! Qui a dit que nos politiciens d’aujourd’hui ne savent plus rêver ? Il est vrai que dans ce cas précis, cela relève plutôt du cauchemar mais quand même, tous nos rêves ne sont pas forcément beaux, pas vrai ? Au demeurant, ce Mur américain qui ne sera pas un Mur de la Honte, puisque américain, donc forcément démocratique et libérateur, ce mur, disais-je, si jamais il est construit, nul ne sait encore combien de temps il tiendra sous les coups de boutoir des prétendus vandales venus du Sud de cette frontière.
Ce n’est pas tout. Une autre bizarrerie est celle qui malheureusement s’abat sur nos frères et sœurs de la République Bolivarienne du Venezuela et dont nous, Haïtiens, sommes également partie prenante. Des pays européens, parmi lesquels, l’Espagne, le Portugal, la France, l’Angleterre, ex-métropoles colonisatrices de cette partie du monde, se sont mis sous la houlette du pays de l’Oncle Sam, pour décréter une urgence nationale pour le Venezuela et y apporter, de gré préférablement, mais de force si nécessaire, des tonnes de produits périssables, non sollicités par le gouvernement élu de la République Bolivarienne du Venezuela. Ces pays, particulièrement les États-Unis d’Amérique, incitent ouvertement les Forces armées au soulèvement contre les autorités civiles légitimes et appellent ouvertement au renversement du gouvernement en place. Pire encore, ils reconnaissent un Président auto-proclamé, en dehors de toutes les règles démocratiques et constitutionnelles reconnues et entreprennent des exercices militaires conjoints (les États-Unis, l’Espagne et la Colombie), en vue d’intimider à la capitulation, le Président élu, Nicolas Maduro. Entendons-nous bien, l’élection de ce dernier ne fut pas exempte de quelques entorses et coups fourrés. Celle de Donald Trump, non plus, soit dit en passant. Celle de l’ami Jovenel Moïse, introduit dans ce cénacle, est un cas d’espèce, dans les annales d’élections truquées dans cette partie du monde. Pour parvenir à sa victoire électorale, l’ami brésilien, le Président Bolsonaro, le nouveau ténor de l’extrême droite de ce pays, n’a pas lésiné sur les moyens non plus. Son principal concurrent à ce poste croupit aujourd’hui en prison sous des accusations de détournement de fonds qui sont un peu tirées par les cheveux pour nombre de ces compatriotes supporteurs de l’ami Lula da Silva, un peu trop populaire pour risquer une compétition électorale, à la régulière. Toujours est-il que ce «ragtag» de gouvernements plus ou moins légitimes, confortés par d’autres gouvernements plus «clean», veut laver aujourd’hui plus blanc que blanc, dans le cas du Venezuela. On y retrouve, bizarrement, des pays comme le Canada libéral de Justin Trudeau. Allez comprendre quelque chose dans cet aréopage ! Généralement, l’on dit qui se ressemblent s’assemblent, mais de là à y retrouver le Canada libéral de Justin Trudeau dans ce ramassis de faucons, j’y perds mes dernières bribes de latin. Pierre Elliot, le paternel de ce dernier, qui passait pour un gauchiste à son époque, doit se retourner dans sa tombe, s’il n’y est pas trop à l’étroit.
Entre temps, à quelques encablures de là, il se développe une situation hautement préoccupante. Je ne prétends pas que celle du Venezuela ne le soit pas, mais, tout de même, ce n’est exactement le paradis, en Haïti. Faisons le décompte ensemble. En deux ans, 150 000 Haïtiens se sont envolés vers le Chili, pour fuir la misère infra humaine. Environ 250 000 sont refoulés par la République Dominicaine dans la même période. 50 000 sont sur le TPS aux États-Unis et sont menacés de déportation en juillet prochain. On rattrape régulièrement des voiliers tout pleins de ces infortunés qui risquent leur vie sur des rafiots pour aller aux Bahamas et ailleurs dans les Caraïbes. Et c’est seulement, lorsqu’ils ne périssent pas tout simplement en mer, à la suite de naufrages plus que prévisibles. Sur le coup, on s’en émeut un peu. Et puis, tout de suite après, on se fait une raison. On passe à d’autres choses. La vie n’attend pas les retardataires et continue son cours, imperturbablement. En huit mois, il y a eu quatre soulèvements d’importance dans ce pays qui n’en peut plus de sombrer dans une indigence de plus en plus profonde. L’inflation court au rythme annuel de 15 % environ et la monnaie locale s’est dépréciée de plus de 40% en un an, passant de 65 à 85 gourdes pour un dollar U.S.. On manque de tout : de pétrole, d’électricité, à manger, des médicaments, et j’en passe. Des millions de citoyennes et de citoyens prennent la rue et exigent le départ de leur Président, un hurluberlu qui leur a seriné toute sorte de belles promesses creuses, sans pouvoir en tenir aucune et, qui pis est, accumule des déficits record, à chacune des années qu’il a déjà passées à la tête du pays. Tout le monde sait qu’il dirige le pays vers des catastrophes aux sévérités encore insoupçonnées, en raison de ce qui lui tient lieu de politique. 60 % de la population est considéré comme vivant en dessous du seuil de la pauvreté, avec moins de 2 dollars US par jour et recevrait, à bras ouverts, cette aide que l’on veut forcer à travers les frontières du Venezuela. On veut même la lui imposer par les armes. Imaginez cette médaille à deux faces. Y comprenez-vous quelque chose, vous ? Moi, je n’y vois goutte. Rien de rien. «Ban m yon ti limyè sou ple», comme chanterait Manno, notre barde défunt.
Le pouvoir politique est certes déterminé par un rapport de force qui s’exprime en faveur de celui qui le détient, à un moment historique donné. La combinaison des forces, dans ce rapport, inclut invariablement le poids des étrangers dans la balance politique, en Haïti. C’est une réalité dont on est prisonnier depuis fort longtemps. En Haïti, on ne se cache plus pour étaler au grand jour quel «Blanc» accorde son appui à tel secteur politique donné, pour bien valider la solidité de ses atouts. Autrement, tout le monde sait que l’on gesticule en pure perte. Les résultats du dernier soulèvement populaire du 7 au 14 février, attestent de la conformité de cette analyse. Car, autrement, le Président Jovenel Moïse aurait quitté le Palais National depuis lors. Il aurait compris qu’il est devenu un cadavre politique et que, persister à demeurer à la tête du pays ne pourra qu’aggraver la situation. La Messe est dite, le Libera est chanté mais le corbillard tarde à prendre la direction de la rue des Enterrements, à Port-au-Prince. Peut-être que le cortège, lorsqu’il finira par s’ébranler, s’arrêtera pour une pause plus ou moins longue au Pénitencier National. De toute façon, cette institution longe opportunément la rue des Enterrements. Une pause à cette endroit pour purger sa peine et se repentir de ses manquements, petits et grands, ne sera que plus salutaire, pour le premier concerné mais aussi pour le pays et pour tous les autres présidents, ministres et autres potentats passés et à venir, pour bien retenir la leçon que gouverner un peuple est une entreprise délicate et très sérieuse. Lorsqu’on n’y est pas préparé politiquement et intellectuellement, il vaut mieux s’abstenir de se jeter dans cette arène, car il pourrait arriver malheur à l’imprudent qui s’y hasarde et des catastrophes au peuple crédule qui s’est laissé prendre à ses belles promesses, sachant fort bien qu’elles ne peuvent pas être tenues, qu’elles ne l’ont jamais été dans le passé, par tous ceux qui se sont inscrits avant lui, dans la longue cohorte des prétendus sauveurs.
La dernière bizarrerie que j’ai observée localement, c’est cette situation étrange d’un cadavre politique qui parle et qui gesticule encore, un peu comme la queue de l’anolis qui gigote encore sur le sol, longtemps après avoir été coupé du corps auquel il était attaché, un peu comme la poule à laquelle on a coupé le cou mais qui gambade encore dans la cour, au hasard, arrosant de son sang tiède, les spectateurs médusés. On cherche encore le corbillard qui devra transporter ce cadavre politique vers son lieu de déchéance, vers sa géhenne finale. Autour de lui s’affairent des docteurs ès de tout acabit. De toute évidence, ils attendent l’expert venu d’ailleurs, pour signifier le décès politique de l’individu qui gigote encore. Mais tout le monde le sait bien, le Président Jovenel Moïse est parfaitement mort, politiquement s’entend, bien entendu. Il ne manque rien que la déclaration de décès politique officiel, décrété par tel «Blanc» faisant autorité en matière de politique interne du pays et de bonne gouvernance, généralement. Et alors, le tour sera joué. On pourra enfin lever ce corps politique qui refroidit à vue d’œil et qui, déjà, ne fleure pas la rose.
Pierre-Michel Augustin
le 26 février 2019