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Notre Parlement en plein dysfonctionnement

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Je ne sais pas si vous avez pu consacrer quelques minutes de votre temps précieux à observer en direct nos parlementaires à l’œuvre. À l’occasion de la fin de la session ordinaire de la Chambre des Députés, il y avait la tenue d’une Assemblée nationale et je n’en revenais pas de constater l’état et le niveau de certains membres de cette instance importante dans la gouvernance du pays. Il y a vraiment de quoi désespérer de la rédemption prochaine d’Haïti. Je vous fais grâce du spectacle frisant le rififi, du désordre et de l’indiscipline caractérisée qui ont marqué des séances en fin de semaine, à la Chambre Haute. Il n’y a rien pour s’enorgueillir.

 

En effet, je regardais la session de fermeture de l’Assemblée nationale. D’abord, le décorum. Quel décorum! Des sénateurs et une sénatrice (il y en a une dans ce Parlement), tous de noir vêtus, avec la tête coiffée d’un galurin, à l’intérieur de l’enceinte du Sénat: chapeau feutre noir, à grand rebord, s’il vous plaît. Arrangés ainsi, ils ne risquent pas d’attraper un coup de soleil, surtout sous le toit du Parlement, je vous le garantis. Les Députés, eux, étaient tous vêtus de blanc. Je comprends bien que, dans ces cénacles, il y a toujours une part de théâtre, un peu de mise en scène. On monte sur ses grands chevaux, on gesticule et on lance des grandes phrases à l’emporte-pièce. Et on revêt certains accoutrements spéciaux. Tout cela est à mettre sur le compte de la mise en scène, de la théâtralité quasi-obligatoire, pour bien montrer au simple citoyen que nous sommes ici au Parlement et que les Pères (et la Mère) conscrits se dévouent corps et âme pour le salut et le bien-être de la nation, en droite ligne et en parfaite harmonie avec notre passé glorieux de Premier Peuple Noir indépendant. Néanmoins, au deuxième lundi du mois de mai, nos députés (es) doivent prendre des vacances. C’est impératif car ainsi le veut la Constitution, très sensible à la santé et au bien-être de nos députés qui travaillent fort pour le pays et qui les méritent bien, ces quelques semaines de vacances. Il ne faudrait surtout pas les voir trépasser à l’ouvrage. Nous sommes tous conviés au «bêchons joyeux». Néanmoins, peu d’entre nous met la main à la pâte. Nombreux sont ceux qui préfèrent regarder les autres qui s’échinent à la tâche tandis qu’ils se contentent de récolter le fruit des labeurs de ceux-là. «Le mourir est beau»: c’était jadis, du temps de l’épopée de la Crête-à-Pierrot et de la Butte-Charrier, de Vertières, de 1804.

 

L’ordre du jour de cette Assemblée Nationale qui réunit tous nos parlementaires sous la houlette du Président du Sénat, le Très Honorable Dr Carl Murat Cantave, ne compte que cinq petits points. Mais il faut se méfier car même cet exercice, très simple en apparence, peut se révéler extrêmement périlleux. Un des sénateurs du Sud-Est, le Révérend pasteur Dieupie Chérubin à qui revient la lourde et difficile tâche de donner lecture de l’Ordre du jour, à titre de premier secrétaire du Sénat, lit avec attention les points en question. Cela n’a pas empêché le Président du Sénat de commettre un impair. Au point 4, on mentionne la correspondance officielle adressée au Parlement et on devrait en donner lecture. Mais le Président Cantave, dans sa hâte d’en découdre avec le Président Moïse, paraît-il, le saute à pieds joints pour aller directement du point 3 au point cinq et faire lecture de son discours de circonstance. Pour un impair, c’en était tout un car la correspondance, en l’occurrence, provenait du Palais National qui convoque le Parlement en session extraordinaire, évoquant l’urgence de débattre de nombreux points très importants qui ne sauraient souffrir de nouveaux retards. Remarquez, que pour la plupart, ces points, considérés comme urgents par la Présidence, sont déjà plus qu’en retard. Mais nous y reviendrons un peu plus loin.

 

Le discours de clôture de la session ordinaire du Parlement, délivré par le Président du Sénat, le Très Honorable Dr Carl Murat Cantave, n’était vraiment pas piqué des vers. Il me rappelle un peu ceux d’un de ses prédécesseurs, un autre Très Honorable Sénateur : M. Simon Dieuseul Desras. Il avait lui aussi, à l’occasion, quelques charges «piments bouc» à l’endroit de l’ex-président Martelly. Le Dr Cantave, quant à lui, n’y est pas allé par quatre chemins, non plus. Il a accrédité, pour l’essentiel, des accusations graves, portées contre le Pouvoir en place. Il a mentionné le «massacre de Cité-Soleil» par des gens associés au Palais national. Venant du deuxième personnage du pays, c’est une accusation plus que grave qui ne peut que miner le peu de respect dont jouit le locataire actuel du Palais national auprès de ses concitoyennes et de ses concitoyens mais aussi auprès de ses interlocuteurs internationaux. Dans son discours de clôture de cette session ordinaire, le Président Cantave a brossé un tableau de faillite totale et d’incompétence crasse de l’équipe en place. Insécurité galopante, tourisme en faillite, la gourde à près de 90 gourdes pour un dollar, tout y a passé. Un chef de l’opposition n’aurait pas pu faire mieux comme critique de son adversaire. Et pourtant, le Dr Carl Murat Cantave est un élu d’un parti réputé allié du Pouvoir PHTK, le parti Konfederasyon Inite Demokratik (KID), le parti de Evans Paul, dit K-Plim. Que faut-il comprendre de l’étalage de ces états d’âme sulfureux? Faut-il s’attendre au prononcé de divorce public prochainement entre ces deux formations politiques, comme c’est le cas avec le parti de son cousin, Youri Latortue: Ayiti An Aksyon (AAA)?

 

Au-delà de la posture critique du Président du Sénat, il y a les conséquences et les impacts de tels propos, par exemple: sur l’économie nationale et la capacité du pays à modifier la perception des pays étrangers, notamment des États-Unis, du Canada et de la France, pour ne citer que ceux-ci, par rapport aux notices publiques, adressées à leurs citoyens respectifs qui envisageraient d’entreprendre un voyage en Haïti. Il est clair que cela a un impact important sur ce secteur économique. Et lorsque le Président du Sénat, le deuxième personnage du pays, accrédite, à tort ou à raison, ces situations, ce n’est rien pour faciliter les choses. Non pas qu’il faille «kase fèy kouvri sa», loin de là. Mais, tout de même, il devrait y avoir d’autres moyens pour exprimer sa critique du Pouvoir, surtout quand il s’agit d’un allié et que le poste qu’on occupe confère autant d’autorité. Après un tel discours, je ne serais pas étonné que «Air Canada» prenne un peu plus de temps pour renouer avec ses vols hebdomadaires sans escale vers Haïti. Je ne serais pas étonné, non plus, qu’Haïti prenne un peu plus de temps à être affranchie de la catégorie 4-K dans laquelle elle se trouve, aux États-Unis. Cette catégorie, faut-il le rappeler, est réservée aux pays avec une insécurité publique élevée, aggravée de surcroît de possibilités de kidnapping. Donc rien pour relancer le tourisme au pays.

 

Pour revenir aux points inscrits dans la convocation des parlementaires en session extraordinaire, de la part du Président de la République, la liste à épuiser est hallucinante pour des parlementaires aussi peu performants. Le Président Jovenel Moïse sollicite le bénéfice de l’urgence pour demander à nos Parlementaires de revenir illico afin :

  • de ratifier les membres du nouveau gouvernement ainsi que l’Énoncé de politique générale du Premier ministre nommé, Jean-Michel Lapin;
  • d’étudier et d’adopter le projet de loi de finances 2018-2019, (quelle version?);
  • de ratifier l’accord de prêt entre Haïti et la Banque d’exportation du Mexique;
  • de ratifier l’accord sur la promotion réciproque des investissements entre Haïti et le Mexique;
  • de ratifier l’accord de prêt avec la Banque d’exportation de la République de Taiwan;
  • d’adopter le projet de loi électorale pour les élections à tenir cet automne;
  • d’adopter le nouveau Code pénal et le nouveau Code de procédure pénale.

Rien que cela. J’oublie sans doute quelques autres lois inscrites à ce menu costaud. Et dire que nos députés, épuisés par la besogne abattue au cours de cette dernière session, s’apprêtaient justement à partir en vacances. Le repos du guerrier, du travailleur inlassable, ce ne sera pas pour si tôt. Du train que cela va, ils risquent de passer toutes leurs vacances à ces tâches qui ne sont pas une sinécure. À moins qu’ils n’expédient les procédures, comme tant d’autres fois, sans regarder de près les détails fastidieux. Ce ne serait pas la première fois qu’ils se laisseraient aller à une telle désinvolture et à autant d’aveuglement volontaire.

 

À les regarder «travailler» au Parlement, durant ces derniers jours, je n’ai pu m’empêcher de constater que cette instance concorde parfaitement avec ce qui se passe dans le reste du pays, dans toute notre société. Pour empêcher l’autre de parler, on lui arrache tout simplement le micro. Personne ne fait attention à l’autre à qui le Président officiant a donné la parole. Tout le monde parle en même temps, et puis on s’étonne de ne pas comprendre la subtilité des arguments de l’intervenant précédent. Une simple demande de dépôt de procès-verbal d’une réunion des Présidents a culminé à l’avortement d’une séance pourtant dédiée à l’étude urgente et à l’adoption de l’Énoncé de politique générale du Premier ministre nommé ainsi qu’à la ratification du nouveau gouvernement. Le petit grain de sable introduit dans la mécanique des débats parlementaires est devenu un obstacle insurmontable. Une crise! Tiens, c’est le terme consacré. Tous les blocages, que l’on rencontre ailleurs et qui font normalement l’objet de discussion dans une civilité toute parlementaire, deviennent une menace grave, un échec que l’on ne pourra éviter sans la médiation d’un parfait étranger. Qui sait ? Pour raccommoder le tout, peut-être sollicitera-t-on les bons offices de l’Ambassadeur des États-Unis, Mme Michèle Sison, ou de l’Ambassadeur de Union Européenne, M. Vincent Degert, lui qui n’a pas toujours sa langue dans sa poche.

 

Ah ! Autre temps, autres gens, autre pays! Quelle débâcle pour Haïti, après 215 ans d’histoire ! Nous nous donnons en spectacle dans le Parlement, le haut-lieu pour discuter de nos lois, pour défendre les intérêts de nos compatriotes et pour corriger, au besoin, les dérives de l’Exécutif. Nos parlementaires se comportent, pour certains, comme de vulgaires énergumènes. Faut-il après s’étonner qu’une frange de notre jeunesse adopte à son tour le même comportement et recoure allègrement à la dialectique de la force brute, plutôt qu’à la force de la dialectique, à la confrontation d’idées, dans un débat vigoureux certes, mais toujours empreint de civilité et du respect de l’autre?

Pierre-Michel Augustin

le 14 mai 2019

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