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« Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas ! »

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Avoir un raisonnement objectif autour d’un sujet aussi subjectif est un défi majeur, en raison de sa nature extrêmement polémique entre deux groupes apparemment antagoniques. Il est façonné par les expériences personnelles, les origines culturelles et les contextes historiques qui dessine une perspective individuelle.  Cependant, cela n’empêche qu’il nous invite à engager un dialogue respectueux qui tienne compte des points de vue multiples et variés, en fonction du vécu, des motivations et des convictions de tout un chacun.  Il convient donc de nous efforcer de parvenir à une compréhension mutuelle, plus complète des dynamiques complexes en jeu.  

Les réflexions et analyses, même les mieux méthodiquement et épistémologiquement construites sur la question de la religion en Ayiti, ne peuvent la soustraire de sa teneur hautement subjective, en dépit du fait que mêmes les apports personnels seront d’une contribution inestimable, dans la mesure où il y a quand même un effort d’objectivité et d’impartialité pour naviguer dans les eaux troubles qui caractérisent un tel débat, le plus souvent motivé par la polémique extrême entre deux postures diagonalement opposées. Même la théorie de relativité d’Albert Einstein n’était pas absolue.  L’unique vérité c’est qu’il n’y a pas qu’une vérité.  Tout dépend de qui l’a dite, quand il l’a dite, où, comment, dans quelles circonstances et pourquoi elle a été dite.  À ce titre, le texte le plus correct devient complexe et ne nourrit que des prétextes, pris hors de son contexte. « Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas », dixit Tafa Mi-Soleil, a fait couler tant de salive sur les réseaux sociaux, aujourd’hui encore, dans la communauté chrétienne qui apprécie bien la jeune artiste qui, depuis un certain temps, capte l’attention des mélomanes ayitiens d’ici et d’ailleurs.  Cette déclaration qui a fait des bourdes et qui ne suscite que de controverses de la part de la jeune et talentueuse chanteuse, l’étoile montante de la bonne musique ayitienne, au micro de Haïti Inter, en marge de sa tournée artistique à Paris, France, va bien au-delà de la posture d’acquiescement ou de réfutation.  « Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas ! »  En d’autres termes : on ne peut pas être Noir, de surcroît Ayitien, et être chrétien. 

Commençons tout d’abord par mettre dans son contexte la déclaration qui se veut, en tout premier lieu, un réquisitoire historique et, en second lieu, une démarche anthropologique de l’homme et de la femme ayitiens.  Ne cherchons point midi à quatorze heures, il s’agit très clairement d’une opinion émise par une personne, dans ce cas précis, jouissant d’une notoriété avérée, en la personne de Tafa.  Qui, mieux que l’artiste, ayant décidé d’inscrire son art dans le terroir, peut affirmer qu’il y a toujours eu, autant de relations interconnectées que de collisions entre l’esclavage et le christianisme, du point de vue purement historique et culturel ?  En effet, la relation est multiforme et mérite d’être placée dans son contexte nuancé.  En Ayiti ou ailleurs, l’esclavage et le christianisme sont irréfutablement tissés par des liens historiques indissociables.  Au cours de la traite transatlantique des esclaves, communément appelée Traite négrière, due à l’imposition des colonisateurs européens, propriétaires, le christianisme a fait son entrée triomphale dans le panthéon de croyances tant des esclaves africains que dans la tradition des autochtones américains, sur fond d’un syncrétisme religieux, puisqu’il n’a jamais été de bon gré accueilli par ces derniers.  Il a ainsi, pendant autour de quatre siècles, servi comme justificatif au système oppressif, raciste et exploiteur, pratique bénie par l’Église catholique de l’époque.  Curieusement, les propriétaires d’esclaves le considéraient comme un vecteur « civilisateur », pour contrôler les esclaves.  Il a donc été utilisé pour justifier l’esclavage, sur la base d’une mission « civilisatrice ».  Ce n’est donc certes pas sans raison qu’aujourd’hui encore, après deux siècles d’indépendance, la relation entre le christianisme et l’identité noire reste très tendue, voire rejetée par certaines entités noires, les horreurs de l’esclavage ayant laissé les plaies béantes sur des afro-descendants de la plupart des anciennes colonies.

Dans cet ordre d’idée, la déclaration de Tafa Mi-Soleil reflète cette tension dans cette page historique inachevée.  À juste titre, pour certains Noirs, le christianisme représente un héritage, non seulement d’oppression, d’exploitation, d’effacement des croyances traditionnelles, de déconnexion et ou d’assimilation culturelle, mais aussi et surtout d’extermination massive d’Africains et des populations indigènes des territoires qu’ils ont, dans le cas de l’Amérique, colonisés pendant autour de quatre siècles.  On ne peut non plus soustraire à d’autres entités noires et d’afro-descendants, le droit de s’identifier à cet héritage, en y trouvant l’autonomisation et la libération de leur âme ou qui le considèrent comme, plus qu’une source de force et de salut personnel, mais de résilience.

” Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas” :  être pour ou contre, face à une opinion si personnelle, ne relève que de l’ordre de la subjectivité.  Le paradoxe se pose et s’impose à l’interro-affirmative.  Comment prétendre avoir une approche comparative et objective, tout en l’inscrivant dans un cadrage frôlant même l’esprit critique et scientifique, par rapport à la religion, quelle qu’elle soit ?  La science ne saurait se définir par rapport à la foi, et l’inverse est tout aussi vrai.  C’est pareil à l’art et à la culture, d’une manière générale.  Cependant, derrière ce tohu-bohu discursif se cache une vérité, c’est que Tafa a touché du doigt l’une des plaies nationales qui puent, que jusque-là, on fuit, au lieu de penser, une fois pour toute, à la panser.  À ce carrefour de sa carrière d’artiste, qui ne peut d’ailleurs naturellement se dissocier de sa personnalité, Tafa est dans une phase de transcendance et de métamorphose, mettant face à face le jeu subtil du « je » et du « moi », pour l’affirmation du soi, via cette nouvelle adolescence intrépide et brave qui la pousse à entrer en rébellion avec même ce qui semblait pour elle, à un certain moment de sa vie, une vérité des plus absolues.  Elle nous met face au miroir horrible de l’histoire devenue taboue, que personne n’a le courage d’interroger, de peur qu’il révèle des vérités qui effraient.  Et cela n’a d’autres noms que transcendance ou maturation personnelles, émanant de la confirmation d’une certaine maturité intellectuelle.  C’est loin d’être le genre de débat qui peut se tenir sur les réseaux sociaux, assoiffés d’actualité, de trivialité, de promiscuité et d’absence de méthode et de rigueur intellectuelles.  D’ailleurs, en soulevant ces questions, l’artiste n’a fait que donner une voix à des pensées déjà émises par d’autres intellectuels et chercheurs, engagés dans la renaissance des communautés noires, africaines et afro-descendantes.  

À la croisée des chemins de son parcours artistique, Tafa se trouve à un carrefour où sa carrière et sa personnalité s’entremêlent, formant un tissu complexe, forgé par des expériences variées.  Tafa explore les recoins complexes de son identité artistique et personnelle, tissant un récit qui transgresse les limites du connu.  C’est une quête courageuse vers l’authenticité, une exploration des vérités enfouies et des tabous qui, une fois brisés, révèlent la profondeur de son art et de son être.  Dans cette confrontation avec le passé et les certitudes ébranlées, Tafa se forge une nouvelle voie, redéfinissant sa propre vérité et affirmant sa place dans le paysage artistique de plus en plus pauvre et sans contenu.  Il s’agit, en effet, d’une déclaration audacieuse, d’une onde de choc dans le paysage intellectuel et artistique.  Elle est loin d’être anodine, et elle a engendré une cascade de controverses et de réflexions au sein de la société ayitienne et de la diaspora. 

Tafa, figure émergente de la scène musicale ayitienne, n’a fait que jeter une lumière crue sur une question délicate : la coexistence de l’identité noire, ayitienne et chrétienne.  Elle a soulevé un voile qui recouvre une discussion longtemps évitée, posant des questions fondamentales sur la foi, la culture et l’identité nationale.  Tafa s’adresse à un peuple désorienté, vidé de son essence, et tente de l’éveiller de sa léthargie.  Elle aborde un sujet complexe qui va bien au-delà d’une simple déclaration religieuse ; c’est une exploration des horreurs de l’histoire, en dépit de la mitigation de la culture et de l’identité ayitienne.  Sa déclaration, loin d’être une affirmation catégorique, s’inscrit plutôt dans le cadre de la quête de transcendance, une maturation intellectuelle et une rébellion contre des vérités qui semblaient absolues.  La réflexion s’étend au-delà de la dichotomie entre la foi chrétienne et l’identité noire, explorant les séquelles de l’esclavage et les implications socio-économiques et politiques.  Tafa, en agitant cet essaim d’abeilles, provoque une réflexion profonde sur la foi, la culture et la manière dont elles se chevauchent.  “Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas !” : voilà une phrase qui va au-delà de l’opinion personnelle de Tafa, s’inscrivant dans une quête collective de compréhension, de réflexion et de rénovation des fondements culturels et religieux.  Cette déclaration, bien que controversée, ouvre la porte à un dialogue nécessaire sur l’intersection de la foi, de la culture et de l’identité nationale.

La mise en contexte initiale souligne l’importance du moment où Tafa a choisi de partager cette opinion.  Elle le fait dans le cadre de sa tournée artistique à Paris, France, adressant ses réflexions à un peuple haïtien souvent désorienté, épuisé par des élites ineptes, mais qui conserve encore l’espoir d’un avenir meilleur. Tafa, en tant qu’artiste, se positionne comme une voix qui cherche à éveiller la conscience de son peuple.  La déclaration elle-même, “Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas !”, est une invitation à la réflexion. Elle suggère une incompatibilité perçue entre l’identité noire, l’identité haïtienne et la foi chrétienne.  Tafa ne prétend pas offrir une vérité absolue, mais plutôt ouvrir un dialogue sur des questions complexes qui touchent à l’histoire, à la culture et à la foi.  Tout compte fait, il faut souligner la délicatesse du débat si délicat dans lequel, depuis quelque temps, la prodigieuse jeune chanteuse nous a propulsés, en vue de frayer de nouvelles voies : l’origine et la composition de la culture ayitienne.  Il implique la nécessité d’une approche pluridimensionnelle et multifactorielle.  Tafa a eu le cran de soulever un sujet sensible et invite à une exploration collective des fondements culturels et religieux, offrant ainsi une voie vers un dialogue constructif.  En fin de compte, “Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas !”, devient un catalyseur pour repenser les liens entre la foi et l’identité dans le contexte ayitien, ouvrant ainsi la voie à des discussions cruciales sur le passé, le présent et l’avenir.

“Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas !” réactualise le rôle majeur que le christianisme a joué dans l’esclavage des Noirs et les génocides des peuples indigènes, partout où les colons ont mis les pieds, et particulièrement en Ayiti.  Il s’agit, d’une certaine manière, de la restauration d’une vérité historique, le plus souvent édulcorée, à défaut de complètement vouloir la manipuler ou la cacher.  En effet, « l’Église n’avait pas eu à se pencher, au cours de son histoire, sur le problème éthique posé par l’esclavage, notamment des Indiens ou des Noirs, puisque, jusqu’alors, cette pratique était immémoriale et universelle.  On allait assister, à partir de la fin du XVe siècle, à la remise en question de cette institution, d’un point de vue moral.  Il est donc de bonne guerre de conclure, en soulignant quelques points-clés, dégagés le long de cette réflexion :

  1. La stimulation d’une réflexion approfondie sur la coexistence de l’identité noire, ayitienne et chrétienne, en vue d’une exploration plus poussée des liens entre la foi, la culture et l’identité nationale en Ayiti.
  2. La nécessité d’un dialogue inclusif et constructif autour de la problématique de l’interconnexion en esclavage et le christianisme en Ayiti.  C’est l’occasion de créer une opportunité pour un dialogue ouvert autour de cette question sensible.  Les débats suscités par sa déclaration peuvent servir de base à des discussions fructueuses sur des questions historiques, religieuses et culturelles, contribuant ainsi à la compréhension collective.
  3. L’exploration des racines historiques ayitiennes, à travers le débat objectif, visant à conduire à une exploration approfondie des racines historiques de la foi chrétienne en Ayiti et de son impact sur la culture et l’identité nationale.  Cela pourrait aider à démystifier des croyances profondément enracinées.
  4. La promotion et l’engagement envers une Identité Plurielle, préconisant la remise en question de l’association entre l’identité noire, ayitienne et chrétienne, suggérant l’engagement envers une identité plurielle, dans le souci d’encourager la reconnaissance et la célébration de diversité culturelle et religieuse en Ayiti.
  5. La réconciliation et la compréhension de l’identité ayitienne, servant de catalyseur pour des efforts de réconciliation et de compréhension mutuelle au sein de la société ayitienne.  En explorant ces questions sensibles, nos divergences peuvent contribuer à construire des ponts entre différentes perspectives.
  6. L’influence sur les discours culturels et religieux, à travers des discussions pour influencer les discours culturels et religieux en Ayiti, encourageant une approche plus nuancée et inclusive.  Cela pourrait marquer le début d’une évolution des perceptions et des pratiques.

Pour finir, “Être Noir, Ayitien et chrétien, ça ne colle pas !”  a ouvert la porte à un dialogue nécessaire sur des questions cruciales qui touchent à l’identité, la foi et la culture en Haïti.  Ces perspectives suggèrent un potentiel significatif pour la croissance intellectuelle, la compréhension mutuelle et la construction d’une identité nationale plus inclusive.

22/01/2024

Jean Camille ETIENNE, 

Arch.Msc. en Politique et Gestion de l’Environnement

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