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2024, une année de brume politique épaisse, dont le déroulement reste absolument imprévisible

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D’emblée, et comme il convient de le faire lors d’une première accolade, je vous présente mes meilleurs Vœux de Santé et de Bonheur pour toute l’année 2024 qui commence.  Je le fais un peu pour obéir à la coutume qui veut qu’il en soit ainsi et aussi parce que j’aimerais vraiment que toutes et tous nous connaissions de meilleurs moments dans les mois à venir, même si je ne vois aucun signe d’amélioration poindre à l’horizon.  Mais qu’importe, l’espoir fait vivre, dit-on, et notre sagesse populaire, encore plus subtile, nous dit :  moun pa janm konnen ki kote dlo soti pou l rantre nan bwa joumou.  Alors, gardons l’espoir que le mieux survienne, en dépit de tout.  En jetant un regard sur l’année écoulée, on n’a qu’un seul constat à faire: « annus horribilis », dans toute l’acception de cette locution latine.  En effet, c’est la déchéance absolue pour le pays sous tous les angles qu’on le scrute.  Économique, politique, social, sécuritaire, nommez-les :  tous les indicateurs sont incandescents.  

Économique. Haïti vient de boucler sa cinquième année de « croissance économique négative », passant d’un taux de croissance de 2,51% en 2016-2017, à 1,668% en 2017-2018, à -1,723% en 2018-2019, à -3,306% en 2019-2020, puis à -1,798%, en 2020-2021, et à -1,683%, en 2021-2022, selon les données cumulées, publiées par Perspective Monde, École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, sous la direction de Mme Isabelle Lacroix, PhD.   L’ex-président intérimaire, M. Jocelerme Privert, dans une entrevue en cette fin d’année, avait utilisé une lecture plus percutante encore pour mettre ces décroissances en perspective et de manière plus intelligible pour ses auditeurs.  Essentiellement, il confiait ce qui suit à M. Jean-Jules Désauguste, animateur de l’émission : Le Point, à Radio Métropole.  En 2009, le budget de la République, votée par le Parlement, était d’environ 139 milliards de gourdes.  Notre devise se transigeait alors sur le marché des changes à raison de 40 gourdes pour 1 dollar américain, soit l’équivalent d’environ 3,5 milliards de dollars U.S.  En 2023-2024, le budget de la République, adopté par le Conseil des Ministres, est passé à environ 320 milliards de gourdes avec un taux de change de 135 gourdes pour 1 dollar U.S., ce qui équivaut à environ 2,2 milliards de dollars.  Alors, M. Privert conclut que pendant que la population augmente à un taux de 2,5% par an, environ, le budget annuel du pays se ratatine et a diminué de 1,3 milliards  de dollars par rapport à ce qu’il était il y a 14 ans.  Kidonk : nan pwen dyòl.

Politique.  Sur le plan politique, cela va du pareil au pire.  Le Groupe des Éminentes Personnalités de la CARICOM vient de rentrer bredouille, chacune d’entre elles dans son pays respectif, après une énième expédition de pêche à un Accord politique inter-haïtien, commanditée en d’autres hauts lieux, mais qui n’a pas abouti au résultat escompté, aucun poisson n’ayant mordu à l’hameçon déjà mal appâté, dès le départ.  Essentiellement, le GEP avait pour mission de convaincre les opposants au gouvernement d’Ariel Henry de reconnaître officiellement celui-ci comme seul chef d’État en Haïti, pour un mandat au terme indéfini,  avec plein pouvoir pour effectuer tous les changements qu’il jugerait opportuns ou que d’aucuns, ailleurs, en hauts lieux, pourraient lui suggérer d’effectuer, moyennant quelques miettes de pouvoir qui seraient jetées en pâture à ceux-là, un simulacre de participation aux décisions du gouvernement, un peu comme ce qui est dévolu actuellement au fameux HCT.  Évidemment, comme on s’y attendait, cela n’a pas fonctionné.  Et pour cause.   Si seulement Ariel Henry semblait être capable de livrer la marchandise, même avec un peu de retard, passe encore.  Toutefois, avec le bilan qu’il affiche, c’est déjà la cata assurée.  Alors, pour la population et pour l’opposition, autant demander l’addition et aller voir ailleurs, en espérant de meilleurs résultats.   De toute façon, le garder au pouvoir, dans les mêmes conditions, ne ferait qu’empirer la situation générale du pays.  Alors, puisqu’on ne lui offrait rien, aucune concession significative et que, de son côté, elle ne pouvait rien imposer ni au gouvernement ni surtout à ses tuteurs, y incluant les soi-disant médiateurs mandatés d’office, pour l’opposition, il valait autant en prendre son parti et se retirer de table, surtout lorsque celle-ci paraissait clairement desservie. 

Sécuritaire.  L’insécurité publique est pratiquement devenue un fait divers au pays, un peu comme les massacres à l’arme automatique chez l’Oncle Sam où ils sont devenus une sorte de rituel.  Chez nous : meurtres, kidnappings, viols en groupe, décapitation et immolation ont lieu sous les yeux de ce gouvernement qui se contente d’implorer une intervention armée, d’où qu’elle puisse venir, avec la permission, bien sûr, d’ailleurs, en hauts lieux.  Une ministre d’État concédait même, publiquement, des zones entières à l’autorité des bandits.   Ceux-ci y organisent des postes de péage et régulent le trafic à Martissant, à Mariani et ailleurs.  Ils lèvent aussi des taxes et fixent le montant des contributions des usagers, dans certains marchés publics sous leur coupe.  Des postes de polices sont pris d’assaut par des bandits.  Les policiers qui en réchappent, fuient ces commissariats orphelins.  D’autres font encore mieux, ils optent pour ledit programme Biden et se réfugient à l’étranger.  On estime leur nombre à plus d’un millier sur un total de moins de 15 000 policiers actifs de la PNH.  Une vraie hémorragie.  Le cabotage, sans gilet de flottaison et à bord de rafiots surchargés, devient un alternatif attrayant par rapport au tap-tap terrestre, entre Carrefour et le centre-ville de la capitale.  Le ciel d’Haïti est investi par des coucous, volant sans un minimum de contrôle d’un organisme d’État.  Il en tombe du ciel, sur la tête des passants, à l’occasion, comme ce fut le cas à Carrefour pour ce petit avion qui se rendait à Jacmel.  À l’époque, on avait eu toutes les difficultés du monde à établir la liste de ses occupants qui n’étaient que cinq.   C’est l’anarchie avec un grand A.  Pour y remédier, le gouvernement a publiquement avoué son incapacité à assumer ses responsabilités régaliennes et appelle de tous ses vœux une aide militaire étrangère.  Néanmoins, il serait parfaitement inacceptable, voire inconcevable, que d’autres puissances, ou mêmes d’autres « amis » veuillent se prêter à cet exercice de Bon Samaritain en Haïti.  Russes, Chinois, même Cubains ou Vénézuéliens : n’y pensez même pas.  Déjà, ces médecins cubains, qui aident nos déshérités dans l’arrière-pays et même dans certaines de nos villes de province, sont perçus par d’aucuns, venus d’ailleurs, en hauts lieux, comme des agents ennemis, des Chevaux de Troie dormants, opérant sous le couvert d’une aide fraternelle en matière de santé publique.   Et, lorsqu’un Pasteur éberlué, un peu fantasque sur les bords, emmène ses ouailles dans une marche funeste contre la main mise des bandits à Canaan, l’État ne s’attaque pas à ceux-ci, mais ferme, de préférence, l’Église qui avait osé entreprendre cette marche que les services de police n’avaient pas pu encadrer et protéger, dans l’exercice des droits de ces fidèles, et qui aura coûté la vie et la santé à plusieurs d’entre eux.  Alors, devant un tel bilan, le choix, paraît-il, était plus que limpide pour la Communauté Internationale.  Le maintien au pouvoir d’Ariel et de son gouvernement s’imposait, paraît-il, comme une évidence, une nécessité même, compte tenu de sa maîtrise de la conjoncture.  N’est-ce pas?   

Social.  Je disais donc, au début, que les indicateurs étaient incandescents, et cela, bien avant l’ajout d’un nouvel ingrédient qui n’était pas censé contribuer à diminuer la tension sociale, non plus.  Je veux ici parler du renvoi de M. Guy Philippe en Haïti.  Essayez ce qui suit, chez vous, et vous m’en donnerez un peu les nouvelles.  Jetez une poignée de gros sel dans l’âtre d’un foyer ardent et vous en verrez l’effet.  Le retour de cet individu en Haïti équivaut à peu près à la même chose.  C’est comme si on avait lâché dans l’environnement urbain d’Harlem, préalablement dégarni de forces de police, le General Field Marshal Cinque.  Ceux, qui ont déporté M. Guy Philippe en Haïti, savaient sciemment ce qu’ils faisaient, et ils l’ont fait, sans doute, à dessein.  Depuis son retour, comme par enchantement ou sur ordre venu d’en haut lieu, des dispositions ont été prises par la Justice du pays, donc par l’État, pour abandonner des charges qui avaient été portées contre ce personnage dans un dossier d‘attaque de commissariat, de vol d’armes et de munitions, entraînant la mort d’un policier en service : M. Tyson Jean-Louis, et des blessures à deux autres : MM. Wendy Dorléan et Dubé Jean-Baptiste.  Le dossier est donc fermé sans suite.  Affaire classée, sans débats ni aucune autre forme de discussion mais surtout sans une investigation approfondie.   Je ne prétends pas que M. Guy Philippe soit coupable de quoi que ce soit d’autre, en Haïti.  Même qu’il faut présumer de son innocence dans ce dossier, à priori.  Néanmoins, lorsqu’une instance de l’État avait jugé pertinent de porter des accusations publiques contre un individu, la moindre des choses à laquelle on s’attendrait c’est qu’elle aille au bout de sa procédure et qu’elle explique pourquoi elle avait jugé pertinent de porter ces accusations et pourquoi elle est convaincue maintenant de devoir les laisser tomber.  Il est à remarquer que, depuis lors, kap Guy Philippe pran van.  Une certaine presse n’en n’a plus que pour lui.  Guy est devenu une espèce de Robin des Bois, un Héros national, un nouveau Spartacus, de surcroît fraîchement issu d’une geôle américaine et qui vient libérer son peuple des chaînes de son joug.  Le débat est lancé :  Guy sera-t-il candidat à la Présidence ?  En serait-il même éligible, d’après nos lois ?  Et, voilà qu’après avoir subi les affres d’un bandit légal devenu président, nous devrions boire la coupe jusqu’à la lie, en contemplant, éventuellement, la « nomination d’un président » qui s’était lui-même reconnu coupable de crime infâmant, perpétré à partir du territoire haïtien et dans la juridiction d’un pays étranger.   Il avait été capturé sur notre territoire et déporté vers ce pays étranger pour y être jugé pour ces crimes dont il était accusé.  Il en a été ensuite reconnu coupable et condamné à une peine afflictive, à purger pendant 8 ans aux États-Unis.  Il en a servi 6 et a été libéré avant la fin de sa peine.  On est, ici, bien loin du ouï-dire…  N’est-ce pas?  Et le voilà maintenant, plastronnant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, sur le territoire haïtien, se portant même en défenseur émérite de la PNH dont il se réclame aujourd’hui, même après en avoir été le fossoyeur durant sa campagne contre l’ex-président Aristide, en 2003. 

Il y aura bientôt, semble-t-il, la venue des Kényans en Haïti.  300 ou 1000, peut-être plus, c’est selon.  Cela ne devrait pas tarder.  En tous cas, on nous avait promis leur arrivée avant les fêtes de cette fin d’année.  C’est raté.  Ils devraient plutôt arriver avant la fin de février…  Si jamais ils finissent par venir.  Toutefois, les démarches en ce sens ne manquent pas.  Des commissions multipartites sont venues en visite sur place, au pays, pour évaluer la situation; des voyages du DG de la PNH, au Kenya et même au Qatar, ont suivi peu après.  C’est qu’il faut bien planifier la venue des forces kényanes au pays.  Et pour cette cause si importante, on ne peut pas trop regarder à la dépense.  En attendant, on essaie de faire le grand ménage politique au pays.  D’un coup sec, une bonne partie de celles et de ceux qui pourraient être tentés de se présenter aux élections, se retrouvent soudain dans le collimateur de la Justice, quand ils ne sont pas déjà indexés dans une liste d’un quelconque autre pays.  Il faut aplanir le terrain de jeu.  Level the playing field, disent les Américains.  Il faut déraciner ces mapous, à l’ombre desquels, peinerait à pousser la future élite politique à proposer, que dis-je, à imposer au pays.  Il importe peu qu’ils soient encore utiles ou non, coupables ou non, ces mapous.  Il faut faire maison nette.   Et, on ne peut pas faire du neuf avec du vieux matériel recyclé.  Une « terra forma » politique est en cours d’application, on entreprend une autre expérimentation socio-politico-économique, et peut-être qu’on la rééditera ailleurs, si jamais cela  fonctionne bien ici.  Sur papier, en laboratoire, cela devrait marcher.  Dans la vraie vie, avec des vrais humains, et des conditions impossibles à recréer en laboratoire, c’est une autre histoire.   En Haïti, la population est distribuée en une espèce de courtepointe tricottée serrée et sans spécification précise.   Défaire ce patchwork, sans la détruire dans son essence, ne semble pas très évident, même pour les apprentis-sorciers de ce laboratoire étranger, en haut lieu.  Ce le sera encore bien moins pour des Kényans ou pour d’autres, étrangers à cet environnement particulier, avec ses propres règles, sa propre histoire à nulle autre pareille.  L’urbanisation à l’haïtienne, il ne s’agit pas d’une expérience de gentrification particulière ni franchement de ghettoïsation à outrance, mais d’un enchevêtrement d’habitats, d’un modèle d’urbanisation très peu orthodoxe et hors norme.  En attendant, des bulldozers politiques sont à l’ouvrage, aplanissant déjà le terrain politique local.  Certains d’entre eux, le font sans ménagement et surtout sans tact ni savoir-faire.  Et, avant que les pâquerettes politiques ne finissent par devenir des arbres, sur ce terrain qu’ils auront compacté, sans égards pour ses caractéristiques et ses fragilités sociales, et prendre de la hauteur et de la consistance assez pour dominer la savane politique haïtienne reformatée, elles auront été broutées ou piétinées plus d’une fois, par ces ravageurs en maraude, toujours prêts à se ruer pour se goinfrer des moindres parcelles d’opportunités qui s’offriront à eux. 

À la vérité, 2024 commence dans une brume épaisse qui n’annonce rien de bon.  Madigra melanje ak Bon-Mas, Chaloska ak Lansè-d-Kòd melanje ak Bon-Zanj, comment alors faire la part des choses et séparer les vrais patriotes des faux jetons, le bon grain de l’ivraie ?  Des loups déguisés en agneaux, il y en a eu de tous les temps, et on n’en manquera pas dans l’avenir.  L’an 2024, non plus, ne fera pas exception à cette règle.  Plus que jamais, il nous faudra être alertes, collectivement, pour ne pas nous faire passer un autre sapin qui creusera, encore plus profondément, l’abîme dans laquelle se morfond le pays aujourd’hui.

Pierre-Michel Augustin

le 6 janvier 2024 

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