Le dictionnaire Robert soumet deux définitions pour le terme «optimisme». 1. Tournure d’esprit qui
dispose à prendre les choses du bon côté, en négligeant leurs aspects fâcheux. 2. Sentiment de confiance
dans l’issue d’une situation. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agirait d’un sentiment, d’une tournure
d’esprit, mais rien de vraiment concret, de solide, sur lequel fonder cette confiance, dans l’issue probable
d’une situation. Et, pour paraphraser Oreste, dans la tragédie Andromaque de Racine, les optimistes «se
livrent souvent en aveugles au destin qui les entraîne»… Ils pensent, dur comme fer, que tout ira pour le
mieux, sans trop savoir ni pourquoi ni comment. Ils se fient à leur pif, à leur instinct, et se disent: «ça va
bien aller, t’inquiète», souvent se basant simplement sur la couleur du temps et la fraîcheur de la brise
pour une telle assomption. Rien de vraiment patent ou qui justifie un tel sentiment.
Je dis tout cela pour mettre, en perspective, les émotions, en Montagnes Russes, qu’ont dû avoir
vécues nos autorités, ces dernières semaines, voire ces derniers mois, concernant l’intervention réclamée
et tant attendue d’une force internationale quelconque qui viendrait à notre secours. Après le désistement
des Américains, puis des Canadiens, on avait laissé rouler le bruit que les Brésiliens, puis les Mexicains
pourraient bien se charger de cette mission hasardeuse, de ce «dyòb sèkèy», comme l’on dit chez nous.
Finalement, Lula et Obrador ne se sont pas découvert un gros appétit pour cette aventure risquée. Eux
aussi ont donc décidé de passer leur tour et de refiler ce plat indigeste au suivant. Et le suivant n’était pas
très proche de chez nous. Cela a pris quelques tordages de bras, paraît-il, mais, finalement, le Kenya a
répondu présent et s’est porté volontaire pour relever le défi, moyennant des conditions dont certaines
n’étaient connues, semble-t-il, que des autorités kényanes et de quelques commanditaires. Ainsi, lorsque
le Premier Ministre de facto, Ariel Henry, et son entourage sont allés plaider leur cause et convaincre, en
personne, le Président du Kenya, de l’opportunité d’envoyer ses troupes en Haïti, lors d’une rencontre à
Paris, à l’occasion de la participation de ces deux hommes d’État au «Sommet Pour un Nouveau Pacte
Mondial», déjà s’esquissait une possible entente pour la prise en charge de cette mission par le Kenya.
S.E.M. William Samoei Ruto semblait voir ce projet d’un bon œil. En tout cas, on n’avait pas claqué la
porte au nez de la délégation haïtienne, donc tous les espoirs étaient permis. Et puis, Washington et
Ottawa, tour à tour, se sont mis de la partie (qui sait, peut-être des commanditaires de cette opération)
pour faire pression sur le Kenya, pour le pousser à passer le seuil de la porte qu’il avait laissé ouverte.
Alors, la machine s’emballe. On commence à élaborer les grandes lignes du budget de cette intervention.
200 millions par an. Non, beaucoup plus: mettons 400 millions… Peut-être un peu plus, on verra. On
traversera le pont une fois rendu à la rivière. Il ne sert à rien de trop anticiper les choses. L’essentiel, c’est
que les secours arrivent. Ils seront là, bientôt. L’optimisme est de rigueur. Les bandits n’ont qu’à bien se
tenir, car les Kényans n’ont pas l’habitude ni la réputation de faire très attention à la dentelle… C’était le
sentiment général qui se dégageait du Point de Presse du Premier Ministre Ariel Henry, de retour de
mission, à l’aéroport international Toussaint Louverture, le 25 juin dernier.
Et puis, le temps a passé. Le momentum s’est accéléré. Le Conseil de Sécurité a encore débattu de
la question haïtienne, et son Secrétaire Général a déposé son rapport sur le dossier, le 15 août dernier. Il y
a urgence d’intervenir en Haïti, cette pupille non déclarée des Nations Unies, ‘’Pupille de l’Humanité,
comme le déclarait Régis Debray, mais plutôt ce pitit deyò de l’ONU, qui a grand besoin d’aide, bien que
cette institution internationale s’en soit occupée «inlassablement», au cours des 2 à 3 dernières décennies.
À preuve, constatons-en les résultats aujourd’hui. Sauf que, pour cette fois, l’ONU ne veut pas que cette
aide, qu’elle réclame pourtant pour ce pays sous sa protection, soit délivrée sous son autorité. Elle veut
fermer les yeux et regarder ailleurs pendant que cela se passe, même si elle le demande avec insistance à
tous ses membres qui le peuvent et le veulent bien. Sous pression de l’ONU et des États-Unis, n’y tenant
plus, Ruto tâte le dossier haïtien et prend sa température un peu sur la pointe des pieds: le Kenya prendrait
bien le leadership d’une force d’intervention internationale non-onusienne en Haïti, mais sous réserve de
l’adoption d’une Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies l’y autorisant et moyennant
certaines autres conditions non explicitées. Sur le coup, les Bahamas emboîtent le pas. Ils y enverront 100
policiers. La Jamaïque aussi dit: présent. Elle y contribuera 150. Si cela continue à ce rythme, il ne
faudrait pas s’étonner de devoir refuser du monde au portillon. Une délégation kényane part en mission.
Elle fera d’abord escale à Washington. Il faut parler au boss, d’abord, comme dirait mon grand-père qui
avait un sens affûté de l’ordre et de la répartie. Ensuite on fera jasette aux figurants pour ne pas trop les
froisser. Après tout, ils sont les premiers concernés, même s’ils n’ont pas leur mot à dire dans tout ce
processus. Alors, chez nous, l’optimisme fait place à une euphorie dans les rangs du gouvernement. Il ne
manque que les feux d’artifice. Le 1 er août, Henry et Ruto échangent longuement sur la venue de la
mission kényane d’évaluation. Plus aucun doute, cette fois, c’est la bonne.
Le dimanche 20 août, la commission kényane débarque à l’aéroport International Toussaint
Louverture et entame ses consultations qui devront durer 72 heures, top chrono. D’abord, les responsables
politiques locaux, ensuite les autres potentats qui manipulent à volonté les marionnettes locales, entendez
par ceux-là les membres du CORE Group, et puis, pour faire bonne mesure, l’état-major de la PNH, tout
le gratin des forces de l’ordre du pays. Et puis… Et puis… Un couac! Il paraîtrait qu’on se serait très mal
compris, de part et d’autre. Pour les Kényans, la mission d’intervention en Haïti consisterait surtout à
faire un peu de gardiennage. Il faut sécuriser les zones sensibles et stratégiques au pays. C’est d’une
importance capitale. Par exemple, l’aéroport international doit être protégé, coûte que coûte, pour faciliter
les évacuations au besoin. C’est essentiel. Existentiel même. Les ports aussi car, après tout, il faut que les
importations de toute nature puissent continuer à affluer au pays, les renforts en munitions aussi, et vous
savez au bénéfice de qui, prioritairement. D’ailleurs, alors que les forces de police appréhendent de
manquer de munitions à Savane Pistache et à Carrefour-Feuilles et envisagent, le cas échéant, de se
replier de ces zones, abandonnant leurs résidents aux attaques des bandits, ces derniers faisaient une
démonstration de leur ample provision en armement lourd et en munitions correspondantes. En fait, les
premières rumeurs de la déconvenue de nos autorités ont commencé à percoler à travers les lignes de
Miami Herald qui cite une source diplomatique. Et nos autorités locales, tout comme les membres du
Corps diplomatique qui anticipaient l’arrivée prochaine d’une force armée kényane, se retrouveraient
donc, encore une fois, le bec à l’eau. La proposition de service du Kenya, avec des règles d’engagement
aussi limitées, ne correspondrait absolument pas aux attentes exprimées par les autorités haïtiennes et ne
pourrait, en aucun cas, dans sa forme actuelle, aider à résoudre les problèmes de grand banditisme, de
violence sur la population civile et d’insécurité aggravée dans plusieurs zones importantes du pays. Alors,
retour à la table à dessin, rude réveil pour le gouvernement d’Ariel Henry. À moins, bien sûr, que
quelqu’un ne fasse une surenchère et une relance, dans ce jeu de poker, qui convaincraient alors le Kenya
de revoir sa copie et de modifier sa posture. Comme quoi, il est de bon ton de professer un certain
optimisme, un optimisme prudent, certes, mais pas un optimisme béat qui ne se base sur absolument rien
de concret. Et ce n’est pas tout. Nous ne savons pas encore quel sera le libellé de la Résolution que
soumettront les États-Unis et l’Équateur au Conseil de Sécurité, ni quel accueil lui sera réservé, tout
particulièrement par la Chine et la Russie, le 12 septembre prochain. Donc, une saga à suivre…
Entre temps, sur le terrain, les gangs s’enhardissent de plus en plus, convaincus de pouvoir tenir
tête aux forces de l’ordre, coalisées ou non. En réalité, comme je l’ai déjà mentionné dans un article
précédent, le gouvernement haïtien n’avait pas besoin d’emprunter la voie la plus difficile et la plus
compliquée pour résoudre le problème des gangs en Haïti. Il n’avait surtout pas besoin de s’en remettre
aux Nations Unies et à son Conseil de Sécurité, ni à l’OEA non plus, en ce qui me concerne. En tant que
pays réputé souverain et indépendant, il aurait pu opter pour transiger directement et publiquement avec
un groupe privé de militaires étrangers, notamment américain ou d’un pays de l’Amérique du Sud, qui
aurait ces ressources disponibles, et contracter pour un contingent de 2000 à 3000 intervenants qui
opéreraient contre rétribution, selon des règles dont le gouvernement participerait à l’élaboration, et pour
une période limitée dans le temps. Point à la ligne. Il n’y a pas que les Russes qui en disposeraient, avec
le bien connu Groupe Wagner qui défraie aujourd’hui les manchettes. Les Américains aussi en comptent
plusieurs, dont: Blackwater USA Security Consulting, Defion International, Aegis Defense Services,
Triple Canopy, G4S Secure Solutions, pour ne citer que ces derniers. Toutes ces entreprises militaires
privées disposent de personnel très entraîné, notamment des anciens SEALS et disposent de leurs propres
équipements et moyens logistiques. Certains de leurs membres seraient même d’origine ou d’ascendance
haïtienne. Il suffirait juste d’établir convenablement les termes et les objectifs d’un contrat de sécurité et
des aménagements légaux qui leur garantiraient l’immunité, dans le cadre de certains dommages
collatéraux que ne manqueront pas de causer leurs interventions, ce qui sera une requête attendue et
normale, dans les circonstances, de toute façon, pour n’importe quels groupes étrangers ou nationaux
d’intervention. Ils n’ont aucune limitation au niveau du nombre de leur personnel, variant de 5 000
membres pour Triple Canopy, en passant par 20 000 membres pour Blackwater USA Security
Consulting et jusqu’à 625 000 membres pour G4S Secure Solutions. Par conséquent, aucune de ces
entreprises militaires privées n’aurait de difficulté à déployer jusqu’à 3 500 employés disposant de la
technologie, de la logistique et de «moyens militaires», entendez par ces derniers vocables: des armes, des
munitions, de blindés, de vrais ceux-là, d’hélicoptères et de drones pour des opérations d’éradication
totale de nos pestes. Entendons-nous bien, il ne s’agira pas d’enfants-de-chœur. Ce sont des militaires
rompus aux entraînements et au dur métier de la guerre, car il s’agit bien d’une vraie guerre à livrer aux
gangs, pour délivrer les bonnes gens et le pays de leurs crimes abominables. Les Seals, comme les Bérets
Verts et autres anciens vétérans militaires de groupes d’élite ne sont pas des travailleurs sociaux ni des
socio-psychologues. Ce sont des spécialistes en interventions militaires qui ont obtenu leur certification et
leurs galons sur des champs de bataille divers, pas dans quelques pseudo-parades sur le Champ-de-Mars.
Et leur contrat d’intervention pourrait être assorti des conditions suivantes: notre satisfaction garantie et
un échéancier respecté.
Le problème avec une telle démarche, c’est que le gouvernement d’Ariel Henry n’a pas la
légitimité requise pour s’engager dans un tel contrat avec des entreprises militaires étrangères, ni peut-
être les fonds nécessaires pour les payer sans aide étrangère. Cela prendrait effectivement soit un
gouvernement élu légitime, soit un Gouvernement de Salut Public, «largement large», pour signer un tel
contrat pour une durée d’un ou de deux ans et pendant laquelle on pourrait entreprendre de former notre
propre unité défensive spéciale de 5 000 membres pour prendre la relève de ces contractuels. En outre,
cela pourrait coûter la bagatelle d’un milliard de dollars à étaler sur une période de 2 ou 3 ans. La
discussion à engager avec les Américains, avec les Canadiens ou avec la communauté des Haïtiens en
Diaspora, ce serait la manière de financer cette entreprise. Tous ces arrangements pourraient se faire.
Mais il faudrait s’y prendre sans tarder. Il faut convenir d’un accord entre le gouvernement d’Ariel Henry
et l’opposition, sur la base des échanges entamés à Kingston. Cela entraînerait des concessions de part et
d’autre, bien sûr. D’abord, l’on maintiendrait Ariel comme Premier Ministre et on le coifferait d’un
Président qui pourrait bien être Mme Manigat ou peut-être un juge à la Cour de Cassation. Ensuite, on
installerait un Conseil de la Transition de 12 membres avec autorité décisionnelle, essentiellement pour
jouer le rôle de pouvoir parlementaire et de caution politique et sociale, pour garantir la validité des
arrangements et des décisions prises par le gouvernement. Fort de ce nouvel arrangement, on constitue un
nouveau Gouvernement de Salut Public de 21 membres dont certains ministres sont recrutés à même le
gouvernement actuel d’Ariel Henry, pour un tiers ou moins, parmi les plus performants, si l’on peut dire,
en l’occurrence. Pour le reste, il faudrait mettre à contribution des techniciens et des personnalités
notables du pays, capables de relever le défi dans le domaine de leur compétence respective et qui
bénéficient encore d’une certaine respectabilité publique, mais qui n’envisageraient pas de profiter de leur
poste pour sauter dans l’arène politique et participer aux prochaines élections. Et cela, c’est possible, c’est
à notre portée. Ensuite, on pourrait contracter avec une ou plusieurs de ces entreprises militaires privées
étrangères. Le Basket Fund, estimé à environ 200 millions de dollars, pourrait être utilisé comme
paiement de départ ou même comme caution, en cas de défaut de paiement. Une taxe sur les transferts de
la Diaspora et une taxe spéciale sur le commerce local pourraient être prélevées et dédiées spécifiquement
au financement de la libération du pays de ses gangs armés. Et, en étant maître-d’œuvre de cette initiative
inter-haïtienne que la Communauté Internationale ne cesse de nous réclamer, nous pourrions alors être
légitimement optimistes. Nous aurions à notre disposition et sous contrat avec une entité gouvernementale
légitimée par un accord entre nous, des ressources adéquates pour résoudre le problème, dans un délai
raisonnable. Nous pourrions nous donner alors une Feuille de Route crédible, avec des échéances
réalistes, pour un retour à la normalité constitutionnelle dans environ 24 à 30 mois, donc quelque part en
- Nous n’aurions pas besoin de quémander une intervention onusienne ou non-onusienne, susceptible
d’être définie et remodelée à loisir par un tiers, qu’il soit le Kenya, un autre pays ou une instance
internationale quelconque. Nous aurions juste pris notre destinée en mains, avec ou sans l’aide de tiers
pays qui voudraient bien nous aider à en supporter les frais ou non.
Aux dernières nouvelles, le Kenya aurait encore une fois changé d’avis, pour se conformer aux
pressions diplomatiques exercées sur le gouvernement de William S. Ruto et, du coup, aux attentes
exprimées par le gouvernement haïtien. Il enverrait désormais ses troupes pour combattre les bandits,
finalement, et pas seulement pour protéger les infrastructures dites stratégiques du pays. Toutefois, nous
en sommes encore là, sans savoir exactement sur quel pied danser, à la merci de décisions externes et sur
lesquelles nous n’avons aucun contrôle. En effet, rien ne dit que le Kenya ne changera pas son fusil
d’épaule, une autre fois, ni que le Conseil de Sécurité finira par s’entendre sur une Résolution autorisant
ce déploiement, ni sur les moyens et le niveau de son financement. En dehors de cette démarche logique
et prévisible, que je viens d’ébaucher, ou d’une autre variante tout aussi logique et planifiée, nous
pelletons des nuages et nous jouons avec la vie des gens et le destin du pays. On se fait des accroires,
pendant que des gens meurent sous les balles des bandits, qu’ils abandonnent leurs maisons, leurs
quartiers, pour se réfugier ailleurs, dans leur propre pays, au gré de l’optimisme de nos gouvernants qui
s’accrochent au pouvoir sans parvenir à aucun résultat édifiant, d’une part, et de l’opiniâtreté des
opposants qui refusent de regarder, en pleine face, la réalité de leur impotence, d’autre part.
Pierre-Michel Augustin
le 28 août 2023