Mes très chers compatriotes, il me plait de m’adresser aujourd’hui à vous, tout au moins à ceux-là
auxquels il reste encore, ne serait-ce qu’un lieur de bon sens, de bienveillance, de bonne volonté,
d’honnêteté, de dignité, de valeurs, en un mot, d’humanité.
C’est avec un sentiment de vives émotions que je me rends plus que jamais à l’évidence, que le
changement véritable en Ayiti, sans nul doute tant attendu de tous, à savoir celui appelé à aller dans le
sens de l’intérêt commun et du bien-être collectif, capable de nous guider dans le sens du rétablissement
de la souveraineté nationale, de notre fierté de peuple, de la restauration de l’homme et de la femme
ayitiens, condition sine qua non pour le progrès et le développement endogène et durable de notre
pays, il ne surviendra pas dans un avenir proche. Pourquoi me demanderait peut-être plus d’un ? Face à
une telle éventualité, je vous répondrais avec la plus grande assurance et certitude du monde, parce que
tout simplement la majeure partie de la population ayitienne, issue de la énième libération nationale, à
savoir celle de 86, appelée à marquer une rupture totale avec les régimes dictatoriaux et totalitaires, est
une bande, à tour de rôles, de zombis vivant dans l’ignorance la plus totale de leurs droits, même les
plus naturels et fondamentaux, et de bandits qui, par la complicité avec les nantis transnationaux
ayitiens et leurs patrons de la communauté des nations malveillantes, prennent en otage les rênes du
pouvoir et de l’État ayitien. Il n’est un secret pour personne que ceux-là qui sont au timon des affaires,
dont la mission première est censée de protéger, de servir et d’assurer la sécurité des vies et des biens
des populations, sont une bande de rapaces, de racketteurs, d’escrocs, de malveillants, de malhonnêtes,
de bandits et de criminels. Ils volent, violent au gré de leur caprice et ils ont le culot de prôner à tout
bout de champ, le changement.
Parlant de changement, leur perception de cette notion déterminante de la vie politique et
économique d’une nation, le long de son histoire, n’est autre qu’un concept vide, sans contenu, ni
définition, ni encore moins de signification. Car, «il ne suffit pas de changer le nom des choses ou des
régimes pour prétendre véritablement les changer. Le changement véritable se fait par la rupture totale
avec le système séculaire, mais toujours en vigueur, en matière de corruption. Ce changement doit
indubitablement passer par celui des mentalités populaires, tant à l’échelle micro que macro, avec la
double prise de conscience et, du coup, en charge des us et coutumes par des gens de bien, sérieux,
honnêtes, de bons citoyens, des nationalistes et des patriotes, et ce, dès le noyau familial jusqu’à
l’émergence d’un individu quelconque comme agent de changement via le délicat mécanisme de rupture
avec le système mafieux, dans une perspective de continuité de l’Etat. Le changement que vous voulez
apporter dans votre pays ou en général dans vos communautés, vous commencez par les opérer en
vous, d’abord, pour par la suite le diffuser et partout le multiplier. Comme j’aime à me répéter: «on n’a
point besoin de Bons Samaritains pour faire un pays, mais de bons citoyens. Et cela n’est point l’œuvre
du hasard, plutôt le fruit d’un long processus assidu de labeur sur la qualité du citoyen qu’on prétend
former, pour être, non seulement au timon des affaires, mais aussi dans la quotidienneté de la vie des
populations. «Il n’y a point de générations spontanées, c’est un processus qui nous a amenés là où nous
sommes aujourd’hui, au processus inverse de le renverser.» fin de citation que je ne rate pas l’occasion
de rappeler dans mes réflexions autant que possible.
La triste réalité d’aujourd’hui c’est que le désordre, le chaos et l’anarchie ont leurs maîtres. Ils
profitent à ceux qui sont au timon des affaires et aux nantis. Au fait, ils en constituent les principaux
instigateurs. Alors que le changement véritable se fait avec les élites, et non avec le plus bas niveau des
populations, paradoxalement, oui le pays change au jour le jour, mais dans la mauvaise direction. Les
élites corrompues sont de plus en plus au même titre que les gens au plus bas niveau. La situation
s’empire donc de plus en plus et ce, à une vitesse vertigineuse, au gré de la perte des valeurs. Il y a eu
un changement graduel de paradigmes. Les référentiels de valeurs ont changé.
Si l’on met à côté les réalisations qui ont à voir avec l’éducation, le rang social et la position
qu’une personne occupe au sein de grandes institutions, le respect dans les plus hauts cercles de la
société, etc., les conditions de vie d’un individu ou d’un peuple est le plus grand indicateur de son
progrès et de son développement. Si vous vivez dans de mauvaises conditions d’hygiène, dans
l’insalubrité et la promiscuité, si vous vous négligez et ne soignez pas votre image, si votre maison est
sale et désorganisée, qu’importe la somme de votre richesse et de votre savoir, si, autour de vous, toute
une population végète dans la crasse et dans l’ignorance, vous n’êtes pas éclairé, ni encore moins
progressiste. En résumé, dans votre esprit, vous êtes coincé et sous-développé. C’est tout aussi valable
pour un pays. Depuis l’avion, avant l’atterrissage et/ou depuis le bateau approchant le port, avant
l’arrimage, le paysage tant naturel que construit, l’aménagement du territoire, le profil et répertoire
architectural, le système d’urbanisation et le paysage urbain, jouent un rôle prépondérant dans l’impact
qu’aura sur vous le site de destination. Car, cela dit tout. Comme le disait un de mes professeurs
d’université en composition architecturale, Pedro Albizu: «ce qui ne me frappe pas le regard, je ne le
regarde même pas». Car, c’est la bienvenue, ce qui donne ou non envie à visiter et à explorer. À titre
d’illustration, en Ayiti, le président Dumarsais Estimé fut le dernier progressiste des temps modernes
que nous ayons connu. Ainsi, après l’avoir chassé du pouvoir, le pays n’a jamais connu un moment de
progrès dans son histoire. Alors, tous ceux qui parlent de progrès à la tête de l’État après Estimé, vous
ne savez pas de quoi vous parlez. Car l’un des plus grands indicateurs de progrès et de développement
d’un pays se manifeste dans l’organisation du territoire, le rehaussement de l’image, la structuration de
l’architecture et l’urbanisme. À preuve, à partir de François Duvalier, au nom d’intérêts politiques, le
pays a commencé à se bidonvilliser au point où, aujourd’hui encore, à la faveur de l’instabilité politique,
les bidonvilles se multiplient exponentiellement et vertigineusement. Dans l’une de mes prochaines
réflexions, je tâcherai d’approfondir davantage sur le sujet, dans un article spécifique dont l’objectif
premier sera d’établir les liens indissociables existant entre la gestion politique et la problématique
urbaine.
Revenant au mot magique de changement, qu’il nous soit clair à tous, tout changement
véritable, à l’échelle globale, passe irréfutablement par celui de l’individu. À ce titre, il faut au préalable
changer les gens, c’est-à-dire leur mentalité. Et ce changement ne se fera pas du jour au lendemain,
mais s’étendra sur plusieurs générations, à travers le temps et l’espace. Pour ce faire, il faut une volonté
manifeste et une prise de conscience inébranlable de la nécessité de changement en profondeur.
Cependant, ce changement n’est possible que si nous le voulons vraiment. Dans le cas contraire, face
aux drames multiformes qui nous tombent dessus, nous ne pourrons qu’être impuissants, comme c’est
d’ailleurs le cas aujourd’hui. L’expérience a prouvé que l’une des plus grandes tristesses et indignations
qui puissent nous être infligées, c’est de voir sous notre regard impuissant, agonir tranquillement un être
cher ou son pays sous ses yeux, sans n’y pouvoir rien. Cependant, sachez que la moindre action dans la
bonne direction, à savoir dans le sens du bien, contribue au changement vrai, tout comme le plus petit
brin de lumière peut ne pas de mille feux briller, mais sert indubitablement à réduire l’obscurité.
Pour terminer sur une note positive, je prêterai l’organe d’Edmund Burke, homme d’État,
économiste et philosophe anglo-irlandais, né à Dublin, membre du Parlement (MP) entre 1766 et 1794,
à la Chambre des Communes de la Grande-Bretagne avec le parti Whig, pour ainsi conclure: «Pour
triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien.». C’est à ce honteux, déshonorant et
nonchalant acte que nous, les gens de bonne volonté, les élites qualifiées et compétentes de ce pays,
nous nous sommes livrés, depuis tantôt deux siècles. Et en voici le résultat, le pays est aujourd’hui
invivable. Et, ce n’est encore rien, si nous continuons à ne rien faire. Car, le pire est à venir, grâce à
notre nonchalance et inaction !
Très chers concitoyens, je ne minimiserai pas le rôle prépondérant qu’ont joué et continuent
encore de jouer nos bourreaux, dans nos malheurs d’hier et d’aujourd’hui, pour toujours hypothéquer
notre avenir. Cependant, le vrai cancer de notre pays, c’est nous: nos malveillances, nos maladresses,
nos inconsistances, nos incompétences, nos incohérences, notre manque d’intégrité, de sérieux, de
sincérité et de bonne volonté. En d’autres termes, notre refus catégorique à faire pays, notre volonté
manifeste à être des esclaves mentaux et à végéter dans l’indignation, dans le déshonneur et dans la
crasse, à tous les points de vue. C’est par la racine qu’il faut détruire le mal. Pour assurer la quantité de
denrées désirées de la moisson, il faut avoir le courage d’arracher du jardin l’ivraie qui étouffe les
bonnes plantes, en vue d’assurer la croissance optimale de celles-ci. Il est des fois où je me demande si
on ne nous a pas emballés dans cette pseudo-démocratie, afin que nous ayons la nostalgie de la féroce
dictature dont l’extinction garde encore ses séquelles sur l’histoire moderne du pays?
Jean Camille Étienne,
Arch., M Sc. en Politique et en Gestion de l’Environnement
03/07/2023
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