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Haïti: incident fatal et show off médiatique

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À Port-au-Prince, pendant que les médecins faisaient la grève à l’hôpital de l’Université d’État
d’Haïti, pour exiger du gouvernement de Jovenel Moïse de meilleures conditions de travail, le
président, lui-même, témoignait de sa grande générosité, en offrant à un hôpital non-
gouvernemental, une enveloppe de 40 millions de gourdes, le jeudi 13 février 2020. Les médias
étaient au rendez-vous, pour marquer ce moment historique. Pourquoi s’intéresser aux malades
qui pourrissaient par faute de soins basiques à l’hôpital général? Dans les médias, les
influenceurs et directeurs d’opinions attendent surtout un incident fatal. Collecter des fonds pour
venir aux malades miséreux et souffrants ne semble pas si important pour eux.
Les politiciens savent bien que, tôt ou tard, un événement macabre viendra occuper les
âmes vagabondes des citoyens haïtiens. Par exemple, dans un hôtel à Delmas 19, 7 corps
immobiles, apparemment sans signe de vie, auraient été trouvés (le nombre total ne fut jamais
confirmé). Les autorités judiciaires et policières arrivèrent sans tarder sur les lieux, pour ne pas
rater un tel spectacle. Des cadavres? C’est tout ce qu’il faut pour intervenir et faire des
déclarations hâtives et incohérentes. On se demande où sont passés les médecins légistes. La
science est souvent mise au rancart. Les gens, sans boulot, des épaves, arrivèrent en grand
nombre. Les émotions étaient à fleur de peau. Brûlons l’hôtel, tuons le patron, lança un jeune
motoriste! C’est un sacrifice satanique, tous les employés de l’hôtel sont des malfaiteurs (zobop),
rétorqua une commerçante, etc… Dans la foule, on pouvait entendre toutes sortes de stupidités
dangereuses.
Comme l’hôpital général était encore en grève, quatre corps furent emmenés à un hôpital
privé, non loin du lieu de l’incident. Grâce à l’expertise des médecins sur place, ils ont pu
confirmer que 3 personnes étaient encore en vie. Immédiatement, les médecins spécialistes en
respiration et réanimation ont travaillé pendant des heures pour sauver la vie de ces trois
individus. Quelques heures plus tard, ces personnes étaient hors de danger.
Dans les médias en ligne, plusieurs charlatans en droit se sont fait passer pour des
experts, en prodiguant des conseils criminels, en menaçant la vie du patron de l’hôtel et de ses
employés. Dans les live-shows, les live-talks, open-mic des radios-vedettes, cet incident fatal
représentait une bouffée d’oxygène pour les médias haïtiens, pendant plusieurs jours. Qu’avait-on
dit de l’héroïsme du personnel médical soignant de cet hôpital privé, qui avait sauvé trois vies?
Nada. Est-ce que c’étaient les autorités politiques, la Mairie de Delmas, le commissaire du
gouvernement qui avaient contacté les patrons de l’hôpital pour payer les frais de ces trois
citoyens? Bien sûr que non. Nada. Rien de tout cela. Parlons de la gratitude de ces citoyens qui
avaient frôlé la mort, à l’égard des médecins et administrateurs de cette entreprise privée. Encore
nada. Pourquoi payer des soins qui sont déjà administrés gratuitement? C’est une question qui
remplace souvent toute forme de gratitude des patients soignés en urgence, sans payer à
l’avance.
Les patrons des cliniques et hôpitaux privés, l’Association nationale des hôpitaux privés,
les médecins, infirmiers-ères, tout le personnel soignant des centres médicaux peuvent
facilement vous énumérer, au jour le jour, les nombreux soins, prodigués à la suite d’incidents,
que certains patients ne peuvent pas acquitter ou parfois refusent catégoriquement de payer.
Impuissants, les patrons de ces centres doivent encaisser ces pertes, sans aucun moyen de
recourir à la justice pour forcer les patients et leurs proches à honorer leurs obligations
financières. Le nombre de clients avec une carte d’assurance-santé ne dépasse pas les 10% du
total des visites. Et souvent, les assurances préfèrent rembourser leurs clients directement. Ce qui

oblige les patients à acquitter d’abord leurs dettes, avant toutes réclamations auprès des
assurances de santé.
La vie n’a pas de prix mais la santé a son prix. Alors, on comprend pourquoi certaines
administrations ou hôpitaux privés réservent les services des réceptionnistes et des médecins de
garde, pour prendre soin des clients, uniquement après un dépôt qui va de 20% à 50% de la
facture, selon le cas. Et, comme résultat, la probabilité d’avoir des incidents ou accidents terribles
avec les patients qui arrivent les poches vides, augmente considérablement.
Il est facile de reprocher aux médecins leur manque de compassion. Il est trop facile à un
commissaire de gouvernement de faire la leçon aux personnels soignants, sur les codes d’éthique
et déontologiques, en priorisant la vie des patients avant toute autre obligation financière. Est-ce
que les CG pensent aux obligations des autorités de l’État, quand il est question de protéger la vie
des citoyens haïtiens? N’est-ce pas le moment de demander des comptes au Ministre de la Santé,
sur l’état des hôpitaux publics? Durant la pandémie de COVID-19, les institutions récipiendaires
de l’aide internationale, comme de l’Agence Française de Développement (AFD), de l’USAID,
des agences onusiennes et du gouvernement haïtien, étaient: Zanmi Lasante et les Centres
Gheskio. Les hôpitaux privés et publics étaient souvent contraints de refuser les patients atteints
de COVID-19 et, dans certains cas, de fermer leurs portes, à cause de leur manque de matériels
et de supports financiers. Pour nos dirigeants politiques, le showbiz et la corruption passent avant
la protection des vies.
Fermer un hôpital, sans aucune investigation, après un incident fatal, en envoyant le
personnel au chômage et les patients dans les rues, n’est autre qu’un show machiavélique et
cadavérique. La justice répond trop aux likes et commentaires des médias en ligne, quand il s’agit
des professionnels, des citoyens qui ne portent pas de fusils. Quand les tribunaux sont ravagés,
quand les commissariats sont pillés, quand les policiers et les civils tombent sous les balles
assassines des terroristes, les réponses des autorités judiciaires sont lentes et parfois absentes.
Toutes mes sincères sympathies aux proches et amis des victimes fatales, par faute de
quelques milliers de gourdes. Ces vies innocentes, perdues, ne sont pas uniquement le résultat du
cynisme du personnel médical soignant mais aussi et surtout les conséquences d’un État qui fait
le parrainage des ONGs, tout en laissant les hôpitaux et centres de santé publics dans des
conditions inopérables. Faut-il se rappeler que même avec des millions de gourdes en mains, une
personne atteinte d’une balle, qui nécessite une intervention médicale urgente, est probablement
condamnée à mort, si elle décide de fréquenter un hôpital public?
Cessons cette hypocrisie dans les médias. On réagit rapidement, et avec passion, à chaque
fatalité. On oublie trop vite, après l’incident. À part les pays communistes et socialistes (Cuba et
Corée du Nord), les soins de santé sont payants dans tous les pays capitalistes du monde et ce,
incluant Haïti dans la liste. Par exemple, aux États-Unis, les dettes, pour soins de santé,
transforment des milliers de gens, chaque année, en SDF (sans domicile fixe). Les Américains
diabétiques font des caravanes pour aller s’acheter l’insuline au Mexique et au Canada.
Malheureusement, en Haïti, on peut s’attendre à d’autres incidents similaires. Tristement
ou cyniquement, dans un pays sans président, sans parlement, avec des tribunaux cassés par des
bandits de temps en temps, des magistrats de facto, et pire, avec un premier ministre dictateur et
sans aucune mission claire, à chaque incident malheureux, on verra les victimes fatales servir de
plateforme pour les autorités et les médias, pour faire du show-time. Le calvaire est aux proches
des victimes, au personnel médical soignant et, finalement, aux entrepreneurs qui, malgré tout,
investissent dans le domaine de la santé en Haïti.
[email protected]

Haïti-Progrès, 30 mai,2023

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