C’est avec grande stupéfaction que je réagis à la nouvelle que plus de 144 mille candidats sont attendus aux épreuves du baccalauréat cette année. Ces chiffres montrent bien les efforts déployés, ces deux dernières décennies, pour réduire le taux d’analphabétisme en Haïti. Des applaudissements sont bien mérités. Mais, attendez ! Posons-nous cette question : qu’est-ce qu’on fait de ces centaines de milliers de jeunes après leur bac? Jusqu’à quand nos jeunes peuvent déclarer avec assurance : après le bac, c’est la fac ? Tristement, la réalité dans les grandes villes du pays oblige les jeunes à penser au crac, juste rêver d’un diplôme de bac. Et souvent, le bac est synonyme de « back ». Ça expliquerait ces expressions populaires dans nos villes : « peyi a anbraye sou bak » ou « le pays ne fait que marche arrière».
Quelques chiffres
Sur une période de 10 ans, l’éducation secondaire reçoit aux examens de bac plus d’un million de jeunes pour le niveau supérieur (dont un pourcentage de 30-40% réussit à peine). De ces heureux candidats, l’Université d’État d’Haïti (UEH) accueille pas plus que 3 mille en moyenne. Le secteur privé, avec ses centres professionnels et facultés, en reçoit dix mille. On estime que la moitié, environ 5 mille, part à l’étranger, pour étudier, et spécialement en terres voisines. Au total, cela fait 180 mille diplômés, prêts à faire leur entrée sur le marché du travail au cours d’une décennie. On doit se poser les questions suivantes : que fait-on des plus de 200, 300 mille jeunes qui auraient réussi leur bac et qui n’ont pas eu les moyens de se payer une faculté privée ? Qu’adviendra-t-il des 500 à 600 mille sans leurs diplômes de bac ? Et combien de ces 180 mille étudiants diplômés (supposés) ont pu décrocher un emploi à Port-au-Prince ou dans nos provinces?
Selon des statistiques fiables, les deux plus grandes sources d’emplois en Haïti : c’est le secteur public suivi par la manufacture qui embauche près de 50 mille ouvriers, toutes catégories incluses. Dans le secteur de services, DIGICEL, avec à peine 5 mille employés, occupe la première place dans ce secteur. Malgré ces maigres sources d’embauches pour une population de plus de 9 millions d’habitants, on organise de temps en temps ces colloques ponctués par des éloquents discours sur l’importance du secteur privé des affaires dans la société haïtienne. Quant aux résultats, en guise de société civile, on doit parler d’un petit club de patrons importateurs. Bon sang ! Comment peut-on développer une nation sans générer des emplois ? Et comment générer des emplois, sans créer des marchés économiques stables et dynamiques ? Quand pourrons-nous parler de croissance économique, quand on exporte peu et qu’on importe presque tout ?
Nous assistons à une explosion démographique inquiétante, plus de 8 millions d’habitants sur 27 milles kilomètres carrés soit 781 habitants par km2. Peut-on freiner cette croissance, comme les Chinois l’ont fait, avec un seul enfant par famille? De par nos valeurs culturelles et croyances religieuses, la réponse est Non. Et je dirais que c’est une mission impossible. Mais, ce qu’on peut faire est le suivant : on doit freiner ou du moins essayer de réduire ce chômage galopant qui entrave le développement du pays. À ce stade, vous vous demandez si je ne suis pas un idéaliste, vu l’état critique de l’appareil de l’État, vu la corruption systématique dans le secteur des affaires, vu le manque de patriotisme de nos compatriotes, vu les conditions dégradantes de notre système éducationnel, etc.
Honnêtement, je dois avouer, comme tous les experts qui croyaient apporter une solution rapide et définitive à la crise politico-sociale haïtienne : « Ayiti se yon tè glise », c’est-à-dire, rien n’est facile. Car nos problèmes sont très critiques, parfois catastrophiques. Cependant, nous devons nous rappeler que si Haïti existe comme nation, c’est parce que nous savons comment relever des défis comme un peuple rebelle et révolutionnaire. Dans ce sens, je suis d’avis qu’il y a encore de l’espoir pour trouver une sortie heureuse à nos graves problèmes parmi lesquels le chômage se trouve au premier plan. Et comme alternatives ou possibles solutions, je me permets de répéter certains experts en économie, finances et société : la solution au chômage passe d’abord par la création d’entreprises. Comment ?
Alternatives
Combinant plusieurs approches économiques, je vais présenter la création d’entreprises sous forme de création de marchés de travail. Ce faisant, on va regrouper les sources génératrices d’emplois comme alternatives pour palier ce cancer qu’est le chômage (souvent masqué par le sous-emploi des petits revendeurs de nos rues) qui affecte plus de 2 tiers de la population haïtienne entre 20 et 50 ans d’âge.
Manufactures
Si 48 mille emplois dans le secteur de la manufacture représentent la deuxième plus grande source de revenus du pays après les transferts venant de la diaspora haïtienne, ces chiffres sont bien loin de signifier grand-chose, dans le cadre du développement du pays. Nous devons nous inspirer des efforts de l’Éthiopie : pays pauvre et surpeuplé, comme Haïti, qui a su transformer le défi de sa population qui s’accroit de 5% annuellement, en une opportunité de business. Ce pays s’est fixé un objectif ambitieux dénommé Vision 2025, espérant devenir le principal centre de manufacture en Afrique. Avec des coûts d’investissements très faibles, en Haïti on peut favoriser la création ou la multiplication des parcs industriels. Si la Manufacture n’est pas la seule réponse aux problèmes du sous-développement, dans le cas de l’Éthiopie, les résultats montrent des dividendes exceptionnels. Avec une croissance économique de 8,3% en 2017, le pays s’est retrouvé au premier rang dans le cadre de développement rapide en Afrique. Nos businessmen, businesswomen et dirigeants politiques doivent considérer l’Éthiopie comme un modèle pour révolutionner la manufacture en Haïti. Peut-on planifier pour promouvoir la manufacture avec des projets similaires au parc Caracol pour compter 250 à 500 milles emplois dans les prochains 10 ans ?
Production agricole et animale
Nous importons des œufs, du lait, de la viande, de la farine, du ciment, des vivres, etc. de nos voisins Dominicains. Comment expliquer à nos enfants que nous soyons incapables d’avoir des couveuses pour produire des millions d’œufs par mois ? Est-ce qu’il est devenu une mission impossible de construire des poulaillers ? Où sont passés les centaines, voire les milliers de jeunes formés par la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire(FAMV) ? La pisciculture, où en est-on ? Idem de l’aviculture ?
Il est temps de mobiliser tous les secteurs de la nation pour une production agricole et animale, massive. Riches Haïtiens, soyez nos premiers investisseurs ! Pauvres et chômeurs, il y a du boulot : « vin mete men nan pat la » ! Nous pouvons nous servir de l’expérience de nos amis Cubains. Ils ont réussi une révolution agro-écologique. Ils ont développé l’agriculture urbaine, au point de garantir maintenant une sorte d’autosuffisance agricole, donc, des bénéfices immédiats. On peut citer une réduction considérable de l’importation des produits agricoles et un meilleur régime alimentaire de la population. Entamons cette réforme agraire indispensable au développement du pays et à notre indépendance économique. Car la sécurité alimentaire doit être au top des priorités de nos autorités dans l’appareil de l’État.
Tourisme
Parlons de Port-Salut, un joyau abandonné. Construisons à l’instar de Labadie, créons une ville touristique à Port-
Salut. Construisons des Hôtels, des restaurants, des clubs, centres de divertissement, des parcs de recréation…etc. Aménageons, la côte des Arcadins.
Car le tourisme représente 10% du PIB mondial avec un milliard de voyageurs par année. Dans la zone, à Cuba, ils accueillent 3 millions de visiteurs annuellement. Plus près de nous, l’année dernière, nos voisins du côté Est de l’Ile, ont accusé une recette de 7,2 milliard de dollars américains dans le tourisme. Ce secteur négligé en Haïti, à lui seul, est capable de créer des centaines de milliers d’emplois et de renflouer les caisses nationales qui sont trop souvent vides.
On pourrait aussi parler d’autres secteurs avec de grandes potentialités de générer des emplois en masse, tels les secteur des services, de la construction, de l’éducation, du transport, etc. Pour l’instant, commençons à prendre des actions concrètes pour l’expansion des secteurs comme la manufacture, la production agricole (et animale), et enfin le tourisme. Par conséquent, l’État doit travailler de concert avec la société civile des affaires pour créer les conditions nécessaires afin d’encourager les investisseurs nationaux et internationaux à monter des entreprises génératrices d’emplois. Ainsi, les impacts sur l’économie nationale seront immédiats et durables. Sinon, le chômage au sein de la population risque d’exploser comme un cancer, un parasite qui détruit son propre hôte. En fait, le peuple haïtien prend les rues pour manifester contre tous les symptômes du chômage, par exemple contre la vie chère, la hausse des prix de premières nécessités, contre un directeur général, un ministre ou un président. Cependant, tant que ce cancer ne sera pas traité, les pansements superficiels n’apporteront que des soulagements passagers à cette nation moribonde.
Rodelyn Almazor
Société et culture
Références:
- https://www.infoplease.com/world/world-statistics/population-density-square-mile-countries
- http://www.lenouvelliste.com/article/170082/nos-factorys-ces-mal-aimees
- https://www.bbc.com/news/world-africa-41035141
- http://www.bilan.ch/economie/tourisme-un-milliard-de-voyageurs-10-pib-mondial
- http://www.worldbank.org/en/news/press-release/2015/07/08/transforming-ethiopia-into-a-manufacturing-powerhouse-requires-skills-development-and-improved-investment-climate
- https://nofi.fr/2017/07/ethiopie-croissance-economique-la-plus-rapide/41349
- https://www.theguardian.com/environment/2008/apr/04/organics.food
- https://www.nouvelobs.com/topnews/20180115.AFP4975/le-tourisme-mondial-s-est-envole-en-2017-france-et-espagne-en-tete.html
- https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/12/18/six-chiffres-qui-racontent-cuba_4542739_4355770.html
- https://www.veilleinfotourisme.fr/thematiques/international/zones/ameriques/frequentation-touristique-record-en-2017-en-republique-dominicaine
- http://www.ueh.edu.ht/admueh/historique.php