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L’idéal constitutionnel, tout comme le meilleur en politique, est parfois l’ennemi du bien, tout court

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On a déjà évoqué et ressassé, à satiété, la Théorie dite des Formalités Impossibles en matière constitutionnelles.  Le bâtonnier Monferrier Dorval, de regrettée mémoire, en avait fait son dada.  En bref, en matière constitutionnelle, il existerait des situations dans lesquelles il ne serait pas possible de respecter, à la lettre, les prescrits de la Constitution, les conditions et les moyens essentiels ne s’y prêtant pas.  On est alors comme dans une situation de force majeure, et l’on agit pour le mieux, en essayant le plus possible de ne pas empirer les choses et de revenir au plus vite à la normalité.  Aujourd’hui, la situation en Haïti correspond tout à fait à l’application de cette dite théorie.

De façon délibérée, l’exécutif, sous la présidence de Jovenel Moïse en particulier, n’a réalisé aucune élection.  Également, de façon délibérée, il n’a pas comblé adéquatement les sièges de la Cour de Cassation.  De sorte que, lors de son assassinat, aucun des recours prévus par notre Constitution, pour son remplacement, n’était disponible et opérationnel, que ce soit selon la version amendée en 2011 où celle originale de 1987.  Les rumeurs veulent même qu’au constat de la caducité du mandat du 2e tiers du Sénat, ce fut l’occasion de grandes célébrations au Palais National.  On y aurait alors sabré le champagne, pour saluer l’évènement.  Enfin, pensait-on, le président allait avoir les mains libres pour gouverner à sa guise.  Après Dieu, sur la terre d’Haïti, désormais c’est lui, d’où le sobriquet : « Apre-Dye », que la malice populaire lui avait accolé.

Le président Jovenel Moïse voulait s’assurer d’être incontournable, et qu’il soit constitutionnellement impossible de le remplacer aisément à la tête de l’État.  Au Parlement, il n’y avait plus que 10 sénateurs sur un total de 30, donc sans le minimum requis pour le quorum.  La Chambre des Députés était vide, tous ses membres ayant épuisé leur mandat.  On pouvait encore alléguer que le président d’un Sénat invalide, au nombre de 10 membres, pouvait remplacer le président en cas de son décès subit, et réaliser des élections dans les 90 jours suivants.  Mais, beaucoup de gens, à l’époque, s’y étaient opposés.  L’on se méfiait de « l’Animal Politique », Joseph Lambert, ainsi appelé, et puis, c’était aussi inconstitutionnel car, le Sénat étant alors dysfonctionnel, il ne pouvait pas prétendre en respecter les prescrits, à la lettre.  Sans quorum, le Sénat ne pouvait pas prendre des résolutions conséquentes et ayant force de loi.  Et la tentative du sénateur Joseph Lambert, alors président d’un Sénat sans quorum, fut vertement rabrouée, et ce, avec raison.  Elle rencontra une ferme opposition de divers partis politiques se réclamant encore aujourd’hui d’être de fervents et respectueux constitutionalistes.

L’on pouvait encore se rabattre sur la Cour de Cassation, mais en se référant, pour cela, à la version non amendée de la Constitution de 1987,  donc en ignorant la version mise à jour en 2011, qui ne lui reconnaît plus cette prérogative.  Ce serait déjà un accroc à la Constitution car la Cour de Cassation était également dysfonctionnelle, à l’époque.  Le président Jovenel Moïse avait pris la précaution de l’invalider également, en évitant de faire les nominations requises, et dans les règles prescrites.  De sorte qu’à sa mort, la Cour de Cassation, non plus, ne pouvait pas être mise à contribution pour combler cette vacance présidentielle.  De mémoire, la Constitution de 1987 prévoit que le nombre de juges à la Cour de Cassation est de 12.  Aujourd’hui, elle compte onze membres : 3 nommés régulièrement par le président Jovenel Moïse, comme le prescrit la Constitution, mais huit nommés irrégulièrement et inconstitutionnellement par le premier ministre de facto, Ariel Henry, il y un an.  Toute la cohorte actuelle de la Cour de Cassation a donc été nommée par des PHTKistes.  Dans un rude combat de tous les instants pour le pouvoir, personne ne va consentir, innocemment, ce cadeau  au PHTK et confier la présidence provisoire du pays à une créature juridique, issue de cette même mouvance politique particulière.  Apre yo, se ta yo?   Oubliez cela!  Je dis bien : les onze membres de la Cour de Cassation ont été nommés par des présidents ou un premier ministre PHTKistes.  Alors, de là à envisager des passes courtes et des retours d’ascenseurs entre ces personnages, il n’y a pas vraiment une si grande marge pour élaborer des scénarios complotistes.  C’est même d’une évidence assez crue.  D’où la réticence de beaucoup de gens, depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, à se remettre à la Cour de Cassation comme issue constitutionnelle ou même politiquement viable et crédible à la crise multidimensionnelle du pays.  C’est le premier ministre de facto, Ariel Henry, lui-même, qui « avait procédé à la nomination, puis à l’installation, le 22 novembre 2022, du juge Jean Joseph Lebrun, comme président à la Cour de Cassation en Haïti ».  C’est tout dire.

Ces formalités constitutionnelles s’étant révélées inapplicables, dans l’état actuel de nos institutions, on s’était rabattu sur une solution qui n’en fut pas une, ni d’un grand succès non plus.  Un premier ministre de facto, choisi mais non installé dans ses fonctions par un président, lui-même hors mandat constitutionnel, fut accrédité par un tweet d’une institution étrangère au pays et à sa Constitution.  Il n’y a vraiment rien de très constitutionnel dans cette démarche, avouons-le.  Depuis lors, et cela fait 33 mois, un gouvernement provisoire, sans feuille de route, ni mandat, ni échéance, vaque, à l’en croire, aux affaires du pays.  Son premier ministre est physiquement interdit de rentrer au pays, après un voyage au Kenya, il y a de cela près d’un mois.  Il fallait bien faire quelque chose car un pays ne peut pas être laissé sans gouvernement.  Et, lorsque celui qui en tient lieu ne fait rien qui vaille, il faut bien suppléer et combler le vide, car il y a bien un vide au timon des affaires, on en conviendra, j’espère.  Un Gouvernement de Salut Public, c’est un dernier recours, une ultime tentative d’autogouvernement, avant une occupation étrangère totale, en bonne et due forme, et sans ménagement pour nos susceptibilités.  Certes, un Gouvernement de Salut public, ce n’est pas prévu par la Constitution, aucune de nos Constitutions.  Mais, lorsque tout va de guingois  et de mal en pis, il faut faire ce qu’on peut avec les moyens du bord.  Et c’est ce que l’on essaie d’entreprendre maintenant avec cette ultime tentative pilotée par la CARICOM.

Entendons-nous bien.  Guy Philippe, Barbecue et consorts n’iront nulle part, certainement pas au pouvoir.  Et, si d’aventure ils le prenaient d’assaut, ils seront éventuellement écrasés par une force d’occupation étrangère qui ne prendra pas de gants ce faisant, avec en plus, beaucoup de dommages collatéraux de toute sorte.  Tenons-le-nous pour dit : aucun pays de ce continent et même du vaste monde ne se hasardera à transiger avec ce rag-tag de bandits et de criminels qui avilissent notre pays et la détruisent à la vitesse grand V, plus que n’importe quoi d’autre.  Ce gouvernement d’Ariel Henry a bien tenté de relever le défi, mais il a fait la preuve de son incapacité à corriger la situation et à mener à bien la charge qu’il a voulu endosser.  On tourne donc la page de cette initiative.  Les autres recours possibles, celui du Parlement et de la Cour de Cassation, ne sont pas envisageables, en vertu de la Théorie des Formalités Impossibles ou non souhaitables par la vaste majorité de nos acteurs politiques.

Des pays voisins, inquiets pour leur propre sécurité et leur environnement social, économique et politique, se sont attelés à la tâche de nous accompagner dans nos échanges, pour tenter de nous sortir de ce bourbier.  Ne soyons pas ingrat, au point de leur faire l’injure de leur reprocher leur assistance.  La proposition actuelle, pilotée par la CARICOM, est nôtre.  Une large majorité de nos équipages et de nos chapelles politiques, en a convenu.  Nous en débattons depuis des mois, et la CARICOM est assez patiente avec nous pour accepter nos allers-retours et nos pirouettes politiques, depuis des mois déjà.  Non, cette démarche n’est pas la meilleure solution ni la plus respectueuse de notre Constitution.   À cet égard, la situation actuelle ne l’est pas non plus et, une pleine occupation militaire étrangère, le sera encore moins.  Le choix, à cette étape, est encore nôtre.  Il y a encore un mince espoir de redressement pénible et douloureux de la situation, avec les moyens que nous nous sommes donnés maintenant, avec l’accompagnement de la CARICOM.  On peut encore faire traîner les étapes et faire la fine bouche, en évoquant des situations parfaites qui ne se concrétiseront pas dans l’état actuel des choses.  Mais rien ne reste pas vraiment stagnant.  On avance ou l’on recule.  La situation s’améliore ou s’empire.  Et ne rien tenter ne peut qu’empirer la situation politique, tout comme c’est aujourd’hui le cas de la situation sécuritaire, économique et politique du pays, faute de n’avoir rien entrepris de signifiant quand on le pouvait encore, par nos propres moyens.  

Nos gouvernements, celui de Jovenel Moïse et d’Ariel Henry en particulier, ont pratiqué un laisser-aller qui nous ont conduits à cette extrémité.  Il faut faire un choix.  Avaler notre orgueil et saisir maintenant la perche qui nous est tendue ou se laisser noyer dans l’anarchie pour se faire imposer, plus tard, un modus operandi totalement conçu pour nous à l’étranger, sans que nous n’ayons plus aucun mot à dire sur la suite des choses.  On en est là, aujourd’hui, à mon point de vue.  Et celles et ceux qui ne s’en rendent pas encore compte, seraient mieux de se préparer à encore un plus douloureux et  plus brutal réveil, de ce cauchemar que nous vivons maintenant en tant que peuple.

Pierre-Michel Augustin

le 2 avril 2024  

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