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Le Forum de la désillusion à la Jamaïque

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Il ne faut pas chercher midi à 14 heures. Point n’est besoin d’être un docteur en psychologie
sociale ou en sciences politiques, pour comprendre la mauvaise foi évidente d’Ariel Henry et sa
roublardise consommée. Cette fois-ci, confronté au jugement des Chefs d’États de la CARICOM,
au lieu de démontrer cette ouverture envers tous les acteurs politiques dont il se targue, depuis
près de 2 ans, et qu’il claironne à tous vents, il aurait plutôt fait montre d’une grossière insolence,
à la fois envers ses distingués hôtes qui n’ont rien négligé pour l’accueillir dignement, et envers
ses compatriotes qui lui sont opposés et qui se sont déplacés quand même, pour venir débattre de
leur point de vue et de leurs critiques envers lui et envers son gouvernement. Ceux-ci avaient
répondu à une offre généreuse du Premier Ministre de la Jamaïque, de jouer le rôle de l’honnête
courtier entre les parties adverses, cette fois-ci, en terrain présumément neutre, et devant des
arbitres dont la stature publique ne peut souffrir d’être taxée de la partisannerie qui afflige nos
«Elder Statesmen» locaux, nos sages, nos politiciens de haute voltige qui auraient pu avoir
l’autorité nécessaire pour asseoir tout ce beau monde autour d’une table, pour discuter des
affaires du pays et trouver des solutions à nos maux.
Le Très Honorable Andrew Holness n’avait pas lésiné sur les moyens pour espérer
réussir, là où tant d’autres avant lui avaient échoué. Le vol aller-retour, pour acheminer la
trentaine d’invités à ces discussions de haut niveau, était assuré par les bons soins des autorités
jamaïcaines. Leur séjour aussi et tous les frais afférents étaient à la charge de leurs hôtes
gracieux. Tout ce qu’on leur demandait, c’était d’emmener leur bonne foi, leur désir sincère de
résoudre le problème et de discuter des voies et moyens de le faire, avec l’aide des négociateurs
chevronnés de la CARICOM. Celles et ceux qui avaient boudé le fiasco du HCT, il y a quelques
jours, craignant, à bon droit, un autre coup fourré de l’équipe d’Ariel Henry et de devenir les
dindons d’une farce grotesque, mal ficelée et préparée à la va-vite, avaient répondu présents, pour
la plupart, à cette invitation. Il y avait, effectivement, une chance, bien mince soit-elle, de faire un
pas dans la résolution de l’impasse politique dans laquelle sombre le pays. Même quand ce ne
serait qu’un mince filet de chance pour qu’on finisse par trouver une solution, à tout prendre, il
valait mieux encore que le statu quo. À part quelques désistements d’importance mais non très
surprenants, la plupart des ténors de l’opposition fragmentée ou des personnalités officielles
étaient présents à ce sommet à la Jamaïque. Parmi les principaux absents, en tête de liste, il y
avait bien le leader de Pitit Dessalines. De toute façon, par les temps qui courent, et surtout
depuis son esquive publique, lors de l’escapade d’Ariel dans son fief, le 18 mai dernier, il a un
peu moins de vent dans ses voiles. Il avait bien fait d’éviter le piège tendu par le gouvernement à
son endroit, mais cela ne l’avait pas empêché de perdre des plumes, dans cet échange. De toute
façon, son point de vue est porté à ces assises par le représentant du Collectif des Signataires de
la Déclaration du 30 janvier 2023 , qui y participe, selon une dépêche publiée par AlterPresse. Il y
a, bien sûr, Mme Mirlande H. Manigat, l’actuelle Présidente du HCT, qui a prétexté l’inutilité de
cet exercice à la Jamaïque qui ne serait qu’un doublon, à son point de vue, assurément mieux
exécuté, de celui qu’elle avait présidé les 23 et 24 mai derniers. Il y avait aussi, notamment, le
Recteur de l’Université d’État d’Haïti, M. Fritz Deshommes, qui aurait eu bien du mal à y taire sa
conscience et à entonner le chorus gouvernemental, d’une part, ou à prendre le Lambi et profiter
de ce podium pour sonner le ralliement pour un changement réel. Il est, en effet, assez
inconfortable de s’asseoir entre ces deux chaises. Alors, il a trouvé la parade toute faite. Il a brodé
une belle lettre, inspirée et lyrique à souhait, pour courtoisement s’excuser de ne pouvoir accepter
l’invitation qui lui avait été adressée, pour des raisons, dit-il, indépendantes de sa volonté.
Élégance universitaire oblige. Il manquait également, à ce woumble, les leaders de l’Église

Catholique et des Églises Protestantes en Haïti. Toutefois, le compte était assez bon et plus que
suffisant, pour tenir des assises prometteuses et en ressortir avec un Accord des accords qui
conduirait le pays vers le changement et la stabilité tant souhaités, si toutefois tous les
participants le veulent sincèrement.
Le Gouvernement y avait amené ses troupes en renfort, de sorte que bon nombre de ses
affidés, signataires de l’Accord dit du 21 décembre 2022, y étaient représentés. Ariel Henry ne
pouvait pas se permettre d’employer la stratégie de la chaise vide. De sorte qu’il avait bien
préparé son plan d’attaque. Au préalable, il avait rencontré la Vice-Présidente des États-Unis,
Mme Kamala Harris, aux Bahamas, pour s’assurer de l’appui du gouvernement américain. Et,
une fois cette assurance obtenue, il pouvait estimer avoir les coudées franches et donner libre
cours à ses frasques. De leur côté, dans les rangs de l’opposition, les canons ne manquaient pas
non plus et les préparations allaient bon train. Des leaders de l’Accord dit de Montana allaient
rencontrer des «Seconds Violons» de l’autorité américaine, à Washington, dans les semaines
précédentes. Chacun fait son magasinage à l’avance, en espérant faire le plein de support
politique pour renforcer ses positions. On pouvait vraiment espérer la tenue d’un débat au
sommet entre, d’une part, le Gouvernement, avec «en présentiel», Ariel Henry lui-même, et de
l’autre, les représentants notamment de l’Accord dit de Montana, avec en support, les divers
appuis, de part et d’autre, de l’échiquier politique haïtien. C’était cela l’espoir que nourrissaient
Holness et, avec lui, les autorités de la CARICOM. Mais, au lieu de cela, Ariel Henry aurait
préféré leur faire un pied-de-nez, un «no-show, en présentiel». Il est venu au podium, il a tenu son
discours habituel, puis il se serait retiré de la scène pour se barricader dans ses quartiers. Il aurait
refusé le dialogue qu’il dit pourtant rechercher par tous les moyens, tout en étant présent à la
Jamaïque et tout en offrant son point de vue, sans en débattre. Point barre, comme disait l’autre,
paix à son âme.
Essentiellement, son discours à ce sommet est une rebuffade cinglante et insolente à
l’égard de ses distingués hôtes. Il le dit tout haut, à qui veut le comprendre, qu’il n’a pas de leçon
à recevoir de quiconque et qu’il n’était pas venu ici pour recevoir des diktats de qui que ce soit. Il
n’est pas venu non plus à la recherche d’un nouvel Accord. Il l’a déjà trouvé, son Accord, et il
s’en tiendra à ce qu’il a d’actifs disponibles dans son carquois politique actuellement. Celles et
ceux qui le souhaitent encore peuvent le rejoindre. Néanmoins, ne comptez pas sur lui pour faire
du lest, afin de les amadouer, en aucune façon, et pour leur faciliter un transfert d’allégeance. Il a
déjà fait son nid et, en outre, il peut compter sur l’appui indéfectible de l’Oncle Sam et aussi du
Canada, paraît-il. Pour les États-Unis, Mme Harris lui en aurait donné la garantie. Dès lors, en
essence, il pouvait dire à Holness et à ses pairs de la CARICOM: mêlez-vous de vos affaires et ne
venez pas me dire comment mener ma barque. Elle chavire, il est vrai, et elle prend l’eau de plus
en plus. Mais je suis maître à bord et j’entends le rester. D’ailleurs, je viens d’en discuter avec
l’émissaire du Boss, au Bahamas, et nous sommes synchronisés sur la même longueur d’ondes.
Alors, vos histoires de nous convoquer à cette conférence entre Haïtiens, merci pour tout. Merci
pour l’air frais et vivifiant de votre belle Île. Merci pour la tranquillité d’esprit retrouvée durant
ces assises. Merci pour le bel accueil et le service VIP. Merci, mais non merci pour vos tentatives
de nous raccommoder entre Haïtiennes et Haïtiens.
Les ténors de l’opposition auraient été laissés pour discuter entre eux et avec le menu
fretin de l’Accord dit du 21 décembre 2022. Les leaders de «Toutouni», un groupe politique
marginal, allié du gouvernement et signataire de l’Accord du 21 décembre, frappent sur le clou de
leur adhésion totale à la ligne gouvernementale. Ils veulent aller aux élections au plus vite, sous
l’arbitrage de l’actuel gouvernement. Les plénières de cette conférence ont quand même lieu au
Ministère des Affaires Étrangères et du Commerce Extérieur et se dérouleraient rondement, et

paraît-il, sans l’un des principaux intéressés, le Premier Ministre Ariel Henry, qui brillerait par
son absence au siège de cette Conférence dont les assises devraient se terminer aujourd’hui. Du
moins, c’est ce qui semble percoler à travers des bribes d’informations glanées ici et là. Les
ténors de l’opposition ont eu beau protester et dénoncer son absence, mais cela n’aurait rien
changé, pour les 2 premiers jours de la rencontre, sous toute réserve. Les Très Honorables ex-
Premiers Ministres: Perry Christie des Bahamas, Bruce Golding de la Jamaïque et Kenny
Anthony de Ste-Lucie, qui ont bien voulu prêter leurs bons offices de facilitateurs entre les
parties haïtiennes invitées, en auraient été donc quitte pour une perte de temps, comme semblait
le souhaiter Mme Manigat. Elle savait bien de quoi elle parlait, étant dans le secret et aussi une
des actrices de la stratégie gouvernementale. Néanmoins, les leaders de la CARICOM, cette fois-
ci, auront été aux premières loges pour valider le bien-fondé des récriminations de l’opposition en
Haïti, face à ce gouvernement, pour attester de la réalité de leurs déclarations quant au refus de
tout dialogue réel et sincère, de la part d’Ariel Henry et de son Gouvernement.
Au moment de rédiger cet article, la Conférence se déroule encore, et on ne peut pas
présumer des résolutions finales qui en ressortiront. La diplomatie aura tempéré certainement les
aspérités de ces échanges et on trouvera des mots feutrés pour en atténuer l’aigreur, comme il se
doit. Les ténors de l’opposition reviendront au pays presqu’au même point de départ. Il en sera de
même pour le Gouvernement, ou presque, à la différence que, cette fois-ci, nos partenaires de la
CARICOM, celles et ceux qui nourrissaient encore quelques lubies, quant à la volonté réelle de
ce gouvernement de dialoguer de bonne foi avec l’opposition pour parvenir à sortir de l’impasse,
pourront voir de leurs yeux et constater son mensonge, en direct. L’opposition n’aura pas
remporté la manche, lors de ces assises. La population haïtienne ne verra pas de sitôt un
rapprochement entre les différents protagonistes. Toutefois, pour nos partenaires de la
CARICOM, les masques seront tombés. Le hideux visage du mensonge sera «toutouni». Et ils
feront leur lit en conséquence, sachant pleinement qui dit vrai et qui dit faux. La sincérité n’aura
plus de recoin pour se dérober à la vue des premières autorités de la CARICOM, présentes à cette
audience. Et quant au reste, l’avenir nous le dira, assez vite, merci.
Pierre-Michel Augustin
le 13 juin 2023

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