On n’a cessé de dire depuis plusieurs années que «tradisyon yo fin ale» mais il semblerait qu’on était très loin de cette réalité, tant la période des fêtes de fin d’année de 2021 se montre exceptionnellement hors norme pour ne pas dire «detradisyonalize». Comme tous les ans, depuis Dieu seul sait combien de temps, l’année 2021 a eu aussi son mois de décembre, joint avec sa période de fêtes de fin d’année (et du nouvel an) ou encore fête de Noël. Si, dans le reste du monde, cette période a été célébrée de manière traditionnelle, en Haïti, en lieu et place des feux d’artifices et des échanges de cadeaux, on a eu droit à d’autres activités plus excitantes.
«malere ak malerèz pa nan fèt» disait l’homme politique et porte-parole du Secteur Démocratique et Populaire, SDP. C’est une déclaration qui s’est matérialisée cette année, puisque le gros de la population n’a pu faire mieux que regarder les jours de fête de cette année se défiler sans pouvoir en profiter.
Traditionnellement, durant la période de Noël ou des fêtes de la Nativité en Haïti, il y a souvent des marchands ambulants de jouets pour enfants, des soirées de gala pour les jeunes, des veillées de prière dans les églises pour les croyants mais aussi des programmes de DJ «atè plat pou ti blodè». Parallèlement, certaines personnes aiment profiter de cette période pour se rendre à la campagne, passer les fêtes en famille, puisque la Noël, dit-on, est une période de fête de famille. Au milieu de toutes ces activités, dans chaque quartier, les enfants et les jeunes font retentir le bruit des pétards, tout en illuminant le ciel avec des feux d’artifices. De bien beaux moments que la quasi-totalité de la population n’a pas pu vivre en 2021.
Ayant horreur du vide, la nature a obligé la population à connaître l’opposé de tout cela. Miné par une crise politique interminable et une insécurité exponentiellement grandissante, le pays vit une période de fête extraordinaire ; en lieu et place des bruits de pétards, les tirs sporadiques d’armes automatiques retentissent à longueur de journée, les décorations de Noël sont remplacées par des montagnes de fatras, les orgies sexuelles «krèy» remplacent les soirées de gala des jeunes, les veillées de prières et les voyages à la campagne ont quasiment disparues. Néanmoins, les gens doivent échanger de fortes sommes d’argent pour conserver leur vie ou celle de leurs proches, après avoir été victimes de kidnapping, les fous rires, lors des soirées en famille, sont remplacés par de veillées funèbres dans plusieurs familles. De bien drôles de moments à vivre, pour une période de fête. Mais les Haïtiens s’y adaptent car la majorité de la population est restée barricadée chez elle pour éviter d’être le prochain kidnappé ou la prochaine victime de l’insécurité criminelle «Barikad la resi avni yo vre».
Ce tableau sombre montre clairement ce que sont devenues nos traditions et coutumes. Toutefois, malgré ces embûches, certaines personnes se sont efforcées de sauver, ne serait-ce que l’esprit de cette période. Elles s’obligent à être en famille, à la campagne ou en ville pour partager des miettes et leur joie ou, du moins, ce qui leur reste de joie. D’autres ont même pris le risque de sortir la nuit, montrant leur volonté et envie de vivoter malgré tout. Les traditionnelles fêtes de fin d’année qu’on vivait autrefois, qui passent, repassent tous les ans, se trépassent en cette fin de 2021. Il nous faut quelqu’un, conscient de la situation, pour nous aider à sauver ce qui reste de nos traditions et de nos moments historiques glorieux. Malgré tout, et selon la formule, plein de gens souhaitent à d’autres un Joyeux Noël 2021 et une Bonne Année 2022, sans pour autant y croire.
Altidor Jean Hervé