Le juge d’instruction, Mathieu Chanlatte, se retire du dossier de l’assassinat de l’ancien Président de facto, Jovenel Moïse. Le vendredi 13 août 2021, après avoir accepté cette semaine d’instruire le dossier de l’assassinat du Président Jovenel Moïse, le juge Mathieu Chanlatte annonce qu’il se déporte du dossier…
Bien que, dans sa lettre de déport, il évoque «des raisons de convenance personnelle», il semble, qu’outre le manque de moyens logistiques pour mener à bien son instruction, l’absence d’un dispositif de sécurité, pour lui et sa famille, soit la principale raison qui l’a poussé à prendre cette décision. Voici ce qu’elle dit, en substance.
« Nous, Me Mathieu Chanlatte, Juge d’instruction au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince.
Vu le réquisitoire d’informer du Parquet de ce Ressort ;
Vu l’ordonnance de désignation du Doyen, Me Bernard Saint-Vil ;
Attendu que par ordonnance du Doyen, le dossier des nommés Christian Emmanuel Sanon, James Solages, Joseph Vincent, Gilbert Dragon et consorts, inculpés des présomptions graves d’assassinat, de tentative d’assassinat, d’acte de terrorisme, vol de nuit à mains armées et d’association de malfaiteurs, au préjudice du Président de la République, Monsieur Jovenel Moïse, et son épouse Marie Étienne Martine Moïse, a été distribué en notre cabinet d’instruction criminelle ;
Attendu que le juge d’instruction peut se déporter de la connaissance du dossier à n’importe quelle phase de procédure ;
Par ces motifs, nous nous déportons dudit dossier pour des raisons de convenance personnelles et ordonnons son retour au Doyen de ce tribunal, pour les suites de droit.
Donné de nous, Me Mathieu Chanlatte, Juge d’Instruction au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, le vendredi treize août, deux mille vingt-et-un (13 août 2021)».
Il s’ensuit donc que Me Bernard Saint-Vil, le Doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, devra trouver un nouveau juge qui accepte d’instruire le dossier de l’assassinat de l’ancien Chef de l’État de facto.
Par ailleurs, le décès troublant du greffier Ernst Lafortune, qui avait la charge du dossier d’enquête judiciaire sur l’assassinat du président Jovenel Moïse, est venu aggraver la situation. Il a été retrouvé mort au volant de son véhicule, au soir du mercredi 11 août 2021. Le président de l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH), M. Jean Wilner Morin, a affirmé qu’un greffier lui a rapporté une discussion houleuse entre le greffier et le juge instructeur Mathieu Chanlatte, quelques heures avant le décès. Les deux hommes étaient en désaccord sur l’enquête. Le greffier ne voulait pas s’impliquer dans le dossier. Le greffier était asthmatique et il se trouvait non loin de la zone de Martissant, lors de son décès. Il avait la charge des 800 pages de rapport de la Police judiciaire, une forte somme d’argent et des armes. Si un élément du corps du délit est enlevé, l’enquête sera fragilisée, prévient le juge Morin, appelant à sécuriser le palais de justice.
«Le commissaire du gouvernement près le tribunal civil de Port-au-Prince, Me Bedford Claude, devrait mener rapidement une enquête, pour déterminer les circonstances de la mort du greffier Ernst Lafortune», a souhaité le président de l’Association nationale des greffiers haïtiens (ANAGH), Me Martin Ainé. Dans un communiqué, l’association annonçait «la triste nouvelle de l’assassinat du greffier, après une vive discussion avec le Juge Mathieu Chanlatte, concernant le dossier du feu président Jovenel Moïse».
Quelques parties du corps du greffier, retrouvé sans vie dans la soirée du 11 août 2021, dans une chambre à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), présenteraient l’apparence de trous de balles, révèle Ainé. Le président de l’ANAGH n’écarte pas la possibilité que cet assassinat ait un lien avec les menaces de mort persistantes, dont font l’objet les greffiers Waky Philostène et Marcelin Valentin qui travaillent sur le dossier d’assassinat, perpétré le mercredi 7 juillet 2021, de l’ex-président de facto, Jovenel Moïse, en sa résidence privée à Pèlerin 5 (périphérie est de la capitale, Port-au-Prince). Me Martin Ainé préconise la mise en place de dispositifs pour assurer la sécurité du nouveau greffier qui va travailler avec le juge Chanlatte, sur cette affaire. L’ANAGH avait demandé aux autorités compétentes de prendre toutes les dispositions nécessaires, en vue de doter le greffe du parquet près le tribunal civil de Port-au-Prince, de chambres sécurisées et de coffres-forts destinés à conserver les pièces à conviction relatives notamment à ce dossier.
Emmanuel Saintus