Je viens d’un pays où la chaleur n’effraie plus personne, un pays de gaieté, riche en profondeur, bien que sans droite ni gauche, sans l’envers ni l’endroit, sans recto ni verso, sans haut ni bas, sans pied ni tête. Oui, un pays où les gens vivent au rythme des saisons et de la candeur de leur cœur. Là-bas, la vie, toujours dans sa posture gravide, gravite autour de la splendeur, sans la moindre stupeur, pour que les gens ne cessent de chanter en chœur, au-delà du désarroi, de la douleur, de la misère et du désespoir. Car : « l’espoir fait vivre », dit-on, fièrement et dignement. Qu’importe la proportion du combat, on se refuse à faire profil-bas. Rassurez-vous, face aux enthousiasmes spéculateurs, on rend un hommage aux mauvais spectateurs qui pourtant veulent s’ériger en modérateurs et prophètes de malheurs. De ce réel si merveilleux, tien, sien, mien, leur, vôtre et nôtre, on est tous apôtres, sans absolument rien avoir à envier aux autres. Je viens de ce pays au ciel toujours bleu, avec, dans ses cheveux, des perles ensouillées, et aux lèvres, le sourire d’un éternel été, toujours en complicité avec l’onction printanière. Un pays duquel, quand on part, on ne peut que revenir. Un pays qui, tel un envoûtement, nous lie par des liens que rien et surtout personne ne peut rompre. Et pour cela, personne pourtant à ses yeux n’en revient. C’est le propre de nous autres, Ayitiens, toujours on étonne et émerveille le monde auquel, depuis autour de deux siècles, on a inculqué les vraies notions de liberté, d’égalité, de fraternité, des droits humains, d’intégrité, de dignité et surtout d’humanité, en dehors desquelles, on ne saurait aspirer à être terriens sinon martiens, au quotidien. Je viens d’un pays où, en dehors de la politique et des biens, tout va bien. Un pays où le réel dépasse l’imaginaire. Car, au fond, il n’y a absolument rien à s’imaginer. Tout est merveilleux: la vie, les gens, nos cieux, nos paysages, notre culture par laquelle viendra notre salut… Et, si, malgré nos malheurs, nos pleurs, nos douleurs et nos misères, on chante et danse, c’est loin d’être par insouciance, indécence ou inconscience, mais plutôt dans le jeu de l’humanité. On tente notre chance comme ultime défense. De l’Afrique aux Amériques, notre errance nous a fait entrer en transe comme pour dire au monde qu’on est capable de réactiver notre conscience. Et ce jour-là, ce ne sera qu’un acte de légitime défense. Dans l’attente de l’Armageddon, on accorde la permission qu’on nous implore pardon, malgré la confusion de la Tour de Babel qu’on nous fait gravir à reculons. Vers des rives incertaines, on s’adonne au jeu périlleux de la dernière chance, en quête d’un meilleur lendemain. Car, si on échoue, on sera condamné à vivre éternellement dans la transe, sans transcendance de notre propre existence. Nous continuerons à être livrés au triste sort. En vain, seront nos efforts, car de l’enfer au congélateur, le refroidissement est le vrai émolument, tant dans nos actions que dans nos émotions. Ces congélateurs, à l’échelle de l’agoraphobie, ils nous rendent tous dingues et paranoïaques, sans aucune porte de sortie, si ce n’est que par le biais de l’érection scripturale, chacun, qu’il soit parti ou qu’il reste, de son cahier du grand retour. Car, le plus grand problème du pays, ce ne sont pas ceux-là qui ont choisi de partir à la conquête, ne serait-ce pour un certain temps, d’autres rives, mais plutôt les exilés dans leur propre pays, si bien que leurs neurones incessamment se brûlent inutilement, et leur cœur, par sublimation, se congèle, sans gel.
Quelle est donc l’issue de l’enfer au congélateur, s’il y a de ces froidures qui brûlent? Cependant, comme le dit le vieil adage ayitien: «Tout tan tèt pa koupe, nou espere met chapo», ce qui, au fond, n’est pas l’équivalent direct de celui qui dit en français: «tant qu’il y a vie, il y a espoir… Si tu parviens à regarder le Soleil, droit dans les yeux, sans t’aveugler, rassure-toi, car il s’est produit la rencontre de deux sources d’émerveillement d’égales intensités. Je n’oublierai jamais cette phrase fétiche de ma mère: «Ti zwazo mande Bondye lavi, li pa mande l plim. Paske depi l gen lavi, l ap fè plim.» En effet, ” l’oisillon, dans sa sagesse, implore à Dieu incessamment de lui accorder la vie, sans préoccupation aucune pour ses duvets, sachant qu’il n’y a pas plus précieux que le don de la vie dont l’essor ne peut que lui garantir le plus beau des plumages.» Concluons donc cette phrase magique avec Jean de la Fontaine, tirée de: «La mort et le bucheron»: «Plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes.» Je vous assure que, plus que tout autre peuple de la terre, nous, les Ayitiens, nous le savons bien et vivons, au quotidien, non pas ce que le commun des mortels pourrait qualifier de sadisme ou de cynisme mais pour nous, le culte paranormal de la vie. Sacrés et immortels: Jacques Stephen Alexis, Frank Fouché, Felix Morisseau-Leroy, Carl Brouard, Georges Castera, René Depestre et Frankétienne, ces titans de la littérature ayitienne, du réalisme merveilleux ayitien qui fait corps, chaque jour davantage, avec l’âme pluridimensionnelle et singulière ayitienne.
En tant qu’Ayitiens, nous aimons les «belles merveilles». Et si je vous disais qu’au fait, la notion de « belle merveille », dans notre culture et idiosyncrasie, elle n’est un doux mystère ? Un mystère que personne d’autre que nous ne saurait comprendre, mais qu’à force de nous en tenir si fortement, nous autres, ils ont fini par y croire, eux-autres, au point d’en faire quelque chose de naturel, une seconde nature. Oui, une nature nécessaire à notre nature première, si profondément ancrée dans notre culture, qu’elle est devenue notre identité. Elle est l’âme même. On en fait un culte que, pour rien au monde, on ne saurait profaner. On la contemple, jusqu’à en faire une dévotion, pour qu’on en soit, au monde, l’unique sanctuaire pour son apparition ! Quelle est merveilleuse, notre culture! Elle nous porte à rire, chanter, sauter de joie, à danser, et à nous communier, même au jour de nos malheurs. Et dans les veilles, avant la prise de deuil, c’est la fête, non pas par insouciance, mais en hommage à la vie, si belle et merveilleuse, dont peut-être, nous seuls, en savions véritablement le prix. Chose curieuse, chez nous, vous pouvez ne pas trouver suffisamment de meubles, mais rassurez-vous, dans le galetas, sur votre tête, non pas comme une épée de Damoclès, mais plutôt une auréole autour de votre pensée, surplombe un cercueil, en phase avec la promptitude du jour du grand envol. Car, on ne sait pas quand la mort sur quiconque jettera un coup d’œil. Sachez, mes très chers amis d’outre-mer et d’outre-culture, je ne cherche point à vous effrayer par notre culture, mais plutôt à vous en faire savourer le délice des merveilles, sans aucune imagination de notre culture, la culture ayitienne!
18/02/2021
Jean Camille Etienne (Kmi-Lingus)
Arch. Msc. en Politique et Gestion de l’Environnement,