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Jour J moins 19…, en Haïti

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Le sablier s’égrène tranquillement. Mais le temps ne suspendra pas son vol, comme le lui suppliait le poète, ni comme le souhaitent les politiciens. Il suivra son cours, inexorablement. Paré, pas paré, rien n’y fera. Et arrivera ce qu’il arrivera, en temps et lieu. À Washington, plus spécifiquement, mais aux États-Unis, en général, le dernier acte d’une passation de pouvoir mouvementée se jouera demain, le 20 janvier à midi. Les gens, pour la plupart, seront suspendus à leur grand ou moins grand écran, pour assister virtuellement, mais en direct, à la dernière scène de cette saga qui traîne et qui tient en haleine, depuis le 3 novembre 2020. Verra-t-on un autre coup de théâtre manqué ou pas, comme ce fut le cas le 6 janvier dernier? Personne ne le sait vraiment, mais l’attente, cette fois, sera de courte durée. Encore quelques heures et tout sera joué ou presque pour Trump, le mauvais perdant, en attendant les rebondissements postérieurs à la consécration ultime de sa défaite qu’il n’a pas su accepter avec grâce, comme ses prédécesseurs. Mais, pour nous, une autre saga se joue aussi, et à celle-ci, en Haïti, il reste encore 19 jours à écouler. Une petite éternité, quoi!

En Haïti, à travers tout le pays, la table est mise. Un Comité Consultatif, mis en place par le Président Moïse, lui-même, pour nous doter d’une nouvelle Constitution, se dit fin prêt. Son texte est ficelé. Il l’était déjà, bien avant l’installation de ces figurants, paraît-il, mais il fallait un certain décorum. Et quoi de mieux que quelques obscurs personnages, des doctes constituants recrutés «on the fly», tel un bouquet de chrysanthèmes un peu fanés, ramassés sur le bord du chemin, pour enjoliver un peu la démarche et lui donner un semblant de processus consultatif. D’un autre côté, l’opposition, qui n’en finit pas de se concerter, aura finalement sa énième proposition de sortie de crise, d’ici le 26 janvier prochain. L’ex-Sénateur, Steven Benoît, l’a affirmé en entrevue. L’issue finale de ce tir à la barbichette sera peut-être connue le 7 février prochain, soit exactement dans 19 jours.

À regarder ce qui s’est passé récemment aux États-Unis et, même chez nous, il n’y a pas si longtemps, en 2016, il y a bien de quoi nous tenir en haleine. Pour le pouvoir, la tentation est parfois grande d’y aller même avec une victoire à la Pyrrhus. Aux États-Unis, des opposants au Président élu, Joe Biden, et à l’appel du Président Donald Trump, défait par les urnes à la régulière, avaient investi momentanément le Capitole, le 6 janvier, entraînant 5 morts et bien des dommages dans leur tentative infructueuse. En Haïti, de même, on avait essayé de prendre le pouvoir avec une élection «yon grenn soulye», pour finalement entendre raison et, à la onzième heure, se rabattre sur une solution plus raisonnable, mais bancale un peu, avec un président provisoire, coopté par nos législateurs. Il y avait eu plus de peur que de casse, à cette occasion. Après des parades de démonstration de force réciproques, chaque côté avait mis un peu d’eau dans son vin et avait accepté des compromis qui ont finalement abouti au résultat que nous avons aujourd’hui. De sorte que maintenant, on parle un peu plus de «transition de rupture». Ce n’est pas exactement la «tabula rasa», mais pas loin. C’est que, entretemps, la coupe se remplissait encore plus, et à la vitesse grand V. Les massacres se sont succédé sans relâche, à la faveur d’une insécurité galopante qui n’épargne plus personne. La vie chère a atteint des sommets inégalés. L’État ne contrôle plus vraiment grand-chose. Même la simple micro-gestion du ravitaillement en produits pétroliers dont il s’en était accaparé, il n’est pas en mesure de l’administrer adéquatement. De sorte que, de temps à autre, c’est la pénurie. Tout moun nan kouri. Les gallons jaunes surgissent de partout, un peu comme des papillons de la St-Jean, arrivant hors-saison. Le peuple en a marre. Cela sent la fin de règne, même si le Président Moïse ne cesse de publier de nouveaux décrets, à la petite semaine, et d’installer de nouveaux potentats, à tour de bras. Ses principaux alliés prennent de plus en plus leur distance, mais restent encore les membres du dernier carré et quelques autres hurluberlus qui se croient au-dessus de la mêlée, revêtus de leur auréole d’intelligence, en vertu d’un doctorat ou d’un autre titre universitaire, gagné de haute lutte et après de longues études, sans conteste. Mais ce ne sera pas la première ni la dernière fois que l’on assistera à de tels naufrages, dans les eaux tumultueuses et périlleuses de notre politique. Des docteurs en économie, sous les Duvalier, on en a connu, tout comme des politologues de haute voltige qui sont aujourd’hui des débris politiques, errant parfois dans nos rues ou qui ont accroché leur parchemin à l’étranger, vivant grassement, pour certains, des fruits de leurs prébendes au pays, lors de leur passage dans les couloirs du pouvoir, à l’abri de toute tracasserie, assurés qu’ils sont de la complicité des autorités de leur pays d’accueil. Ils y traînent leur nostalgie, et espèrent se refaire une certaine virginité politique, à la faveur de notre amnésie collective. Mais cette fois, bonne note est prise et leur nom restera gravé dans nos mémoires et dans nos archives. En attendant leur retour prochain au bercail, car je sais qu’ils n’auront pas le courage d’y rester pour rendre des comptes et se justifier devant leurs compatriotes au pays, ils iront certainement conter fleurette, à l’étranger et vider leur bagout sur les esprits wòwòt de jeunes, épris de cultures générales et de spécimens brillants, mais pas si rares que l’on voudrait le croire.

Déjà, les premières salves sont tirées. Des phalanges de l’Opposition, cette structure informe et encore indéfinissable, se sont lancées, depuis le 15 janvier, dans des manifestations publiques. Plusieurs villes ont répondu à l’appel à manifester sur la voie publique. Gonaïves et St-Marc ont répondu présents et annoncent la couleur. Ils se lanceront dans la désobéissance civile, si Jovenel Moïse ne part pas le 7 février prochain, disent-ils. Port-au-Prince, Léogâne, Jacmel, Les Cayes, Hinche et Mirebalais ont suivi. Le Grand Nord, fief de l’autre Moïse, Jean-Charles, celui-là, tarde à faire son entrée dans la ronde. Mais il n’est que d’attendre. Un autre élément à prendre en considération, pour ce que cela peut bien valoir, c’est la récente élection du sénateur Joseph Lambert, à la présidence du Grand Corps. Depuis lors, il apparaît sur plusieurs tribunes et affiche clairement son opposition au gouvernement, tout particulièrement à son projet de nouvelle Constitution et d’élimination pure et simple du Sénat. Ce nouveau président fait flèche de tout bois et le voilà, en plus, qui part aujourd’hui même pour Washington, officiellement invité à l’investiture des nouveaux Président et Vice-présidente américains. Or, il est clair que l’opposition haïtienne attend beaucoup de cette nouvelle administration qui, elle aussi, se veut en rupture, à bien des égards, avec les politiques et les approches de l’administration Trump-Pence. Il ne fait aucun doute que ce nouveau joueur politique haïtien, auréolé du prestige que lui confère son titre regagné récemment, de Président du Sénat, donc, de 3e personnage de l’État, ne manquera pas de faire recette et de courtiser les nouvelles autorités de Washington, lui qui a toujours nourri l’ambition d’accéder aux plus hautes instances du pouvoir en Haïti, ou, à défaut, de devenir un incontournable maître du jeu politique, un nouveau Mazarin local.

Demain, on prévoit déjà le déroulement de la deuxième vague de manifestations et une amplification des activités de mise en forme (chofe jarèt) de la semaine dernière. La parade du gouvernement est annoncée également. Brusquement, on se souvient qu’il y avait une pandémie de COVID-19 en cours, au pays. Or, jusqu’au lancement de ces manifestations de l’opposition, elle ne semblait plus exister en Haïti. Tout le monde vaquait à ses occupations, sans aucune distanciation, ni masque, d’ailleurs. Il y avait bien quelques décès, probablement dus à cette maladie, mais, si peu, que cela ne valait pas la peine de se donner autant de tracas. Un calendrier pré-carnavalesque a même été annoncé, récemment, et le Président lui-même avait choisi le patelin de sa femme, Port-de-Paix, pour accueillir, à grands frais, les trois jours gras, cette année. Le Premier Ministre estimait, pour sa part, que le carnaval était un patrimoine national et qu’on ne pouvait pas envisager de s’en passer. Mais voilà. Brusquement, drôle de coïncidence, après une semaine de lancement des manifestations et des annonces de leur intensification, d’ici au 7 février, pour réclamer le départ de Jovenel Moïse du pouvoir, à la fin statutaire de son mandat, le 7 février 2021, voilà que la Ministre de la Santé Publique et de la Population, Mme Gréta Roy Clément, vient de publier une lettre qu’elle a transmise au Premier Ministre, M. Jouthe Joseph, lui demandant d’instaurer un état d’urgence sanitaire de 15 jours, correspondant précisément avec la période annoncée des manifestations politiques, à travers le pays. Le jupon dépasse, diriez-vous? Ce n’est même pas à peu près. C’est tout simplement flagrant, et le gouvernement prendrait tout le monde, y compris ses amis de la Communauté Internationale, pour des demeurés, s’il pensait qu’ils allaient tous tomber dans ce panneau, par trop évident. N’empêche qu’il faudra effectivement composer avec le défi sanitaire, posé par la présence et même une aggravation éventuelle de la pandémie, en Haïti.

Le Ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, M. Pierre Josué Agénor Cadet, en rajoute une couche. C’est un deuxième fer au feu pour le gouvernement. Au nom d’une distribution, sans entrave, «du pain de l’instruction», à notre jeunesse assoiffée de savoir, il exhorte les ténors de l’opposition à éviter de créer une crise politique qui ne pourrait que l’en priver sévèrement, mettant ainsi en danger l’avenir de la relève intellectuelle du pays. Et puis quoi encore? Pourtant, c’est ce même ministre, en plus de celui de la Justice avec le sien, qui est en bute, depuis des années, avec son personnel enseignant qui lui reproche de refuser de payer des arriérés de salaires et qui tombe en grève régulièrement, hypothéquant d’autant la distribution sporadique de ce pain tant célébré, et qu’on trempe un peu à toutes les sauces. On fermera l’école pour le carnaval, car c’est un patrimoine national. On la fermera également pour la COVID-19, c’est une urgence sanitaire. Et quand les gangs fédérés manifestent leur hardiesse, kidnappent et violent des enfants, impunément, le gouvernement s’en lave les mains. Cela devient un peu un cas de force majeure contre lequel il ne peut pas grand-chose, paraît-il. Mais des manifestations de l’opposition pour débarrasser le pays d’un gouvernement illégitime qui voudrait s’accrocher au pouvoir et prolonger inconstitutionnellement son mandat, alors là, c’est un comble, un crime contre le développement du pays et le bien-être de sa jeunesse, en particulier, et de la population, en général. Elle est bien bonne, celle-là.

Mais le temps file. Il ne resterait plus que 19 jours de grâce à ce gouvernement. Le temps de faire ses boîtes, pour chacun de ses nouveaux caciques du pouvoir, installés à la va-vite, certains sans même prêter serment, malgré des arrêts de débets émis, dans certains cas, à l’encontre de quelques-uns de ces potentats. La vraie épreuve de force, l’épreuve de vérité, se fera donc bientôt. Cela passera ou cela cassera. Mais le Jour J, ce sera, peut-être, dans bientôt 19 jours.

Pierre Michel Augustin

le 19 janvier 2021

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