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«Cahier du grand retour»

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Encore plus que la crise politique désolante, accablante presque sans issue, que la situation socio-économique désastreuse, que l’effritement des valeurs, que la corruption, que l’éternelle transition politique, que la problématique de l’identité, le pire qui ait pu arriver à «Ayiti», c’est de n’avoir pas eu conscience du phénomène de décapitalisation intellectuelle systémique et systématique du pays et donc d’avoir été incapable de prendre les mesures nécessaires pour freiner l’hémorragie chronique de la fuite de ses cerveaux et de ses fils authentiques. Dans les années 50-70, les premières destinations furent la France, le Canada, par rapport à la proximité linguistique, à l’exception de l’Espagne où se dirigeait également la première vague de réfugiés politiques «ayitiens» fuyant la terreur de la dictature duvaliériste, pour, par la suite, changer de cap, vers les États-Unis, avec «les Boat people» et «les Braceros» vers la République Dominicaine voisine, pour à la fois échapper à la misère et au même régime. Le pays de l’Oncle Sam s’en est alors enorgueilli et réjoui de l’émigration massive de cette main-d’œuvre à bon marché vers son «Eldorado». Combien de jeunes adolescents n’ont pu boucler leur cycle d’études secondaires, dans l’attente éternelle d’un visa de résidence? Combien de jeunes professionnels ont hypothéqué leur brillante carrière, comme moi, pour un mariage, même quand ce ne fut pas un mariage arrangé, de business, mais un vrai mariage d’amour, pour être à la merci d’un système pour lequel ils importent peu et pour lequel ils ne sont rien sinon qu’un numéro? Ils sont innombrables! Si aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle, le Canada a pu se construire de la sorte, ce n’est certes pas sans l’apport des jeunes professionnels «ayitiens» qui fuyaient le pays pour des raisons de persécution politique, d’insécurité politique, économique et sociale et d’absence de garantie non seulement pour leur propre avenir mais également pour celui de leur progéniture. En effet, si les Canadiens ont pu faire œuvre qui vaille grâce à la présence des migrants «ayitiens» dans toutes les sphères d’activités de leur vie sociale, politique, économique et surtout culturelle, et continue à attirer nos cerveaux vers ses rives, comme un oasis en plein désert, c’est parce qu’ils savent ce que nous valons. Et si, tout récemment, le Brésil, le Chili, le Salvador, l’Équateur, sans compter la République Dominicaine, ne se sont jamais rassasiés des immigrants «ayitiens», rassurez-vous, il y a une chose dont ils ont pleinement conscience tandis que, malheureusement, l’État «ayitien», par l’ignorance ou par la méchanceté de ses commis, ses fonctionnaires et ses dirigeants, au contraire, n’en a aucune conscience. Peut-être s’agit-il tout simplement du choix d’une diplomatie d’émigration, pour palier à la crise économique séculaire dont ils ne se sont jamais décidés à résoudre? À eux de nous en dire plus! Mais en attendant, le mot d’ordre reste et demeure: «sauve qui peut!» car ici, les choses ne changeront jamais. Là-bas, peu importent les conditions, les déceptions, les amertumes, les déboires, on peut toujours frayer son petit bout de chemin au beau milieu de ces sociétés pour lesquelles on importe peu, ou du moins, pour lesquelles seule importe notre force de travail à bon marché, et dans lesquelles, pour percer, on nous estime tous des surqualifiés, ou très peu qualifiés, en raison de notre accent qui conditionne automatiquement nos compétences. Si on est chanceux, on finira bien par forger une petite place, en vue de jouir, tant bien que mal, de nos talents et compétences, en échange d’un soi-disant meilleur train de vie, de sécurité, de sécurité sociale. Bien sûr, ce sera au prix d’une consommation démesurée et de services qui ne manqueront pas de faire grossir les factures de manière exponentielle, sans qu’on ne puisse faire aucune épargne, même pas des dépenses non nécessaires.

Ainsi, je ne peux encore une fois m’empêcher de rendre un hommage mérité à Corinne Joachim Sanon Symietz pour son héroïsme, son attachement à l’Alma Mater, pour la quête incessante du Grand Retour. Le temps des grands retours, non pas sans son cahier de charges au pays natal. Comme nous l’avait indiqué Aimé Césaire, commençons donc déjà à rédiger notre «Cahier du retour». Et continuons ensemble à croire, encore et encore, en la nouvelle Ayiti qui ne saurait être possible sans l’engagement et la participation des fils du terroir, qu’ils se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur. Tel est aussi mon rêve de toujours. Si le tien peut aujourd’hui se concrétiser, à combien plus forte raison le mien aussi prendra sens, corps et vie, un jour.

La renaissance de notre très Chère Ayiti n’est pas pour demain. Mais son processus est irréversible et a déjà commencé. Prenons donc conscience que l’exil qu’on nous a offert, n’a point apporté de solution à nos maux qui nous laissent sans mot. Malgré toutes les soi-disant conditions et qualités de vie qu’ils nous offrent, Dieu seul sait à quel prix, nous continuons à porter Ayiti, partout où nous nous trouvons, au plus profond de notre cœur, de notre âme et de notre être.

29/06/2020

Kmi-Lingus

Jean Camille Étienne, Arch.Msc.en Politique et Gestion de l’ Environnement

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