Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on. C’est un fait rare depuis quelque temps, mais pour une fois, je félicite le gouvernement, tout spécialement le Président Jovenel Moïse, puisque toutes les initiatives de ce gouvernement semblent découler de lui. En matière de protection de l’environnement, pour une fois, le gouvernement semble avoir privilégié une stratégie rationnelle, en planifiant, à la fois en amont et en aval, tout en mettant à contribution les moyens qui lui sont disponibles et qui lui coûtent le moins. Le Président Jovenel Moïse vient d’inaugurer un quatrième centre de germoplasme et en prévoit la création de dix (10) au total, avec l’objectif de produire des millions de plantules d’arbres fruitiers et forestiers par an.
Comme le commun des mortels, je n’étais pas très familier avec cette expression : Centre de Germoplasme. Aussi suis-je allé aux informations pour en avoir le fin mot. En termes simples, il s’agit de pépinière généralement reproduisant des plantes avec parfois certaines améliorations de leurs caractéristiques génétiques, donc une reproduction de plantes améliorées pour mieux s’adapter à l’environnement auquel elles sont destinées. C’est, en gros, les dispositions prises en amont. Le Président prévoit aussi mobiliser les quatre (4) millions d’élèves et d’étudiants du pays pour la transplantation des plantules. Et ce sont les dispositions de ce projet, prises en aval. Jusque-là, le plan semble avoir toutes les chances de bien fonctionner. Depuis longtemps déjà, j’étais vendu à cette idée de multiplier le Centre de Damien par dix, un pour chacun des départements du pays, et de mettre à contribution nos élèves, à tout le moins, tous ceux qui sont au niveau du secondaire pour ne pas surexposer ceux du primaire qui sont encore à un âge où ils peuvent être vulnérables, face à certaines réalités du pays et dans une atmosphère d’insécurité réelle ou appréhendée. Toutefois, mes félicitations s’arrêtent là. Opérer des centres de germoplasme où des pépinières de plantules améliorées ou non, déployés dans tous les départements du pays, n’est pas une entreprise spontanée et requiert une dotation en personnel adéquat pour leur entretien et pour maintenir une bonne capacité de production de qualité. Cela nécessite également un financement récurrent, adapté au niveau de compétence de toutes les strates d’employés requis pour leur opération, ainsi que le renouvellement du matériel et des équipements nécessaires. Si l’on n’a pas pu le faire avec Damien, comment pourra-t-on le faire avec les nouveaux centres de reproduction végétale plus éloignés du pouvoir central à Port-au-Prince où un homme prend toutes les initiatives et se réserve toutes les décisions exécutives d’importance, pour une visibilité politique accrue ? Par ailleurs, à trois mois de la prochaine rentrée scolaire, il n’est pas évident que le ministère de l’Éducation (MENFP) pourra se conformer aux directives du Président pour intégrer, illico, l’activité de reboisement dans le curriculum obligatoire de nos écoles en septembre prochain, tout en raccordant ces établissements aux Centres de germoplasme existants ou en développement et en harmonisant les capacités de production de ceux-ci au rythme de transplantation des plantules, préférablement accompagnée d’une formation préalable des professeurs pour cette nouvelle matière obligatoire. Car n’est pas agronome ou technicien en agroforesterie qui veut, n’est-ce pas ?
De même, j’applaudis la décision du Maire de la capitale, M. Youri Chevry, de sanctionner le comportement indélicat de ses concitoyens qui se sont habitués à jeter leurs ordures de tout genre, sur la voie publique. Remarquez que c’est un peu tard pour une telle mesure car cette mauvaise habitude est bien installée, non seulement à Port-au-Prince mais dans toutes les grandes villes du pays, à ce qu’on rapporte. Il était grand temps de faire quelque chose pour responsabiliser le public face aux déchets qui encombrent surtout le paysage urbain au pays. Il est vrai qu’il soit allé un peu fort, monsieur le Maire, avec une amende salée de 10 000 à 50 000 gourdes, assortie d’une arrestation des agents de la force constabulaire. Il donne ainsi largement dans la démesure car rares sont les citoyens qui disposent d’une telle somme à Port-au-Prince, au quotidien, quand plus de trois (3) millions de nos concitoyens vivent avec moins de 2 dollars par jour, soit 135 gourdes environ. Alors pour payer une amende de 10 000 gourdes, il faudra viser une clientèle particulière. Je souhaite donc bonne chance au Maire Chevry et du succès avec cette noble initiative.
Toutefois, pour éviter que ce ne soit qu’un autre coup d’épée dans l’eau et quelques grands moulinets pour effrayer les quidams, il faudrait peut-être poser le problème de l’assainissement de Port-au-Prince de façon plus pratico-pratique. La commune de Port-au-Prince s’étale sur seize collines : Saint-Martin, Sans-Fil, Bel-Air, Canapé-Vert, Bourdon, Fort-National, Saint-Gérard, Turgeau, Pacot, Morne-à-Tuff, Poste-Marchand, Nazon, Bois-Verna, Bolosse qui recoupe tout Martissant, Nelhio et Fort-Mercredi. La ville de Port-au-Prince est divisée en trois sections communales : Turgeau, Morne l’Hôpital et Martissant. Sa population, en 2015, a été estimée à 987 310 habitants, sur une superficie de 36,04 kilomètres carrés, soit une densité démographique de 27 395 personnes par kilomètre carré. Selon des déclarations du Maire Chevry, reportées dans le journal Le Nouvelliste du 28 décembre 2017, l’administration municipale disposait d’un personnel et de matériels de voirie distribués comme suit : 430 membres, 7 compressifs, 2 petits camions, 7 motos sur lesquelles sont montés des bennes. Plus récemment, en mai dernier, Monsieur le Maire déclarait que son administration disposait maintenant de 18 camions et d’un (1) « backoe loader ». Il a été établi que la zone métropolitaine produisait environ 584 000 tonnes métriques de déchets par an. La commune de Port-au-Prince, avec plus d’un tiers de la population métropolitaine, serait alors responsable du tiers congru de cette production de déchets, soit environ 200 000 tonnes métriques par an. Il est clair, dès lors, que les moyens logistiques de transport dont dispose la capitale sont nettement insuffisants pour vider la ville de ces ordures. Cette sous-capacité de fonctionnement, par rapport aux besoins identifiés, entraîne que seulement 22 % environ des déchets produits par les habitants de la commune sont collectés, selon un horaire pas toujours régulier ni respecté par les employés du service de voirie, d’après une analyse de la gestion des ordures réalisée par D. Hoornweg & P. Bhada -Tata. Par ailleurs, la capitale ne dispose pas d’incinérateurs de déchets et se contente de les transporter vers différents sites de dépôt où ils sont entreposés ou brûlés à ciel ouvert, comme à Truitier. Ces dernières données sont colligées par Urgence Réhabilitation Observatoire Haïti URD, un organisme qui a publié un article soumis par Isabelle Fortin et Richener Noël, en novembre 2014, sur le dossier de la gestion des déchets en Haïti. Tout ceci pour dire tout simplement que nous nous y prenons assez mal merci pour mettre en pratique toutes nos bonnes idées et résolutions, chaque fois que nos autorités semblent en avoir, pour accomplir un objectif souhaitable et bénéfique pour la population.
En effet, ce ne sont pas les bonnes idées qui manquent au pays. J’ai rencontré, à Jacmel, en 2015, un entrepreneur en distribution de gaz propane bien établi dans le chef-lieu du Sud-Est. En discutant avec lui sur le sujet, il m’avait confié avoir entrepris des démarches pour obtenir, de cette ville, des concessions pour à la fois recevoir les déchets compostables et pour mettre sur pied une entreprise de méthanisation. Il était prêt à investir ses pécules pour une partie du capital requis, mais les investissements de départ excédaient largement ses finances personnelles. Néanmoins, la ville de Jacmel et l’État d’Haïti lui avaient fait la sourde oreille, ignorant du coup le potentiel intéressant, à la fois pour la création d’emplois dans la ville, l’amélioration de la salubrité publique et la mise en valeur des ordures qui dégradent l’environnement urbain, notamment au marché public d’alors, situé inopinément en face de l’église St-Phillipe et St-Jacques.
J’écoutais hier, le 18 juin, à l’émission des nouvelles de 4 heures à radio Kiskeya, une intervention d’un journaliste reporter de cette station, basé au Cap-Haïtien, de passage à la capitale. Malgré son approche plutôt prudente dans ses déclarations, il n’a pu s’empêcher de signaler que le problème d’insalubrité galopante dans la métropole du Nord, était largement relié à un manque criant de moyens pour une gestion efficace des ordures. La ville du Cap-Haïtien n’aurait, à l’en croire, que deux camions compressifs aujourd’hui, alors qu’il y a sept ans, elle en disposait de sept. Il est difficile de faire plus avec moins, n’est-ce pas ? Pourtant, en 1998, un organisme de la diaspora canado-haïtienne, le Regroupement des organismes canado-haïtien pour le développement (ROCAHD), avait entrepris, avec la collaboration d’un organisme de développement communautaire local basé au Cap-Haïtien, un projet exploratoire de transformation des déchets compostables en engrais bio. Cette expérience était très prometteuse et n’était pas dispendieuse. Avec une technologie très préliminaire, on transformait les restes de tables et les déchets organiques en compost tamisé, très riche, excellent pour la production des légumes, entres autres. Cette expérience permettait également de créer des emplois dans un centre de tri, de réduire les déchets à enfouir, de produire un engrais bio et de générer des revenus intéressants à partir des immondices. Mais cette expérience a rapidement été abandonnée, une fois la phase exploratoire complétée et son financement original achevé. La ville du Cap-Haïtien qui avait partie liée à ce projet, n’a pas jugé utile de le soutenir pour en assurer la pérennité avec l’organisme communautaire local qui en gérait le fonctionnement.
Non, en définitive, ce ne sont pas les bonnes idées qui nous manquent. Notre problème, en général, c’est notre manque d’assiduité à mettre en pratique, sans nous décourager en cours de route, celles que nous initions. C’est notre capacité à contempler et à attendre des résultats à moyen et à long termes, qui semble faire défaut, à tout coup. Le manguier que nous avons planté hier ne fleurira certainement pas demain ni ne commencera à produire des mangues le mois prochain. De même, nous ne pouvons pas nous attendre à ramasser 200 000 tonnes métriques de déchets par an avec une flotte de sept ou de 18 camions compressifs ayant une capacité moyenne d’environ 13 mètres cubes chacun, pour un voyage. Si nous pouvons réduire la quantité de nos déchets en en extrayant la partie compostable, ce sera toujours cela de moins à enfouir.
Lors de mes recherches pour la rédaction de cet article, j’ai fureté sur la Toile et j’ai découvert une vidéo captivante sur YouTube (Source : World economic forum), illustrant une histoire à succès dans la résolution d’un problème de gestion des ordures en Éthiopie, en tout point semblable au nôtre. Au moyen d’un incinérateur municipal, on arrive à brûler 1 400 tonnes de déchets par jour, à partir de la décharge de Koshe, en banlieue de Addis-Abeba, la capitale de ce pays. Cette décharge publique avait une superficie équivalente à 36 terrains de football. L’énergie ainsi produite sert à faire fonctionner une turbine électrique qui génère assez de courant pour alimenter 3 millions de foyers. Cette usine produit également 3 millions de briques avec les cendres résiduelles de la combustion des déchets, tout en créant des centaines d’emplois. De plus, le co2 ainsi récupéré équivaut à planter 900 000 arbres par an. Si un tel exemple était dupliqué par Haïti, la décharge de Truitier ne s’en porterait que mieux. La Directrice générale du SMCRS, Madame Habitant, n’aurait qu’à se féliciter de ses bons résultats, sans avoir à prendre elle-même le balai pour une opération de nettoyage médiatisé qui nous a tous laissé à court sur nos attentes légitimes.
L’arrêté du Maire Chevry, on s’en rend bien compte, ne règlera pas le problème des immondices dans les rues, même s’il semble partir des meilleures intentions du monde. De même, la création de Centres de germoplasme à travers le pays, même si ceux-ci augmentent la disponibilité de plantules à transplanter par des élèves à mobiliser pour cet effort, ne garantira nullement la pérennité de cet exercice qui doit s’étaler dans le temps, pour effectivement avoir un impact durable sur le reboisement de nos mornes et de nos bassins versants. Cela prendra environ une décennie pour que les plantules mises en terre aujourd’hui aient un impact effectif sur le reboisement et la reforestation du pays. Encore qu’il ne suffise pas de simplement mettre les plantules en terre. Il faudra en plus les arroser et en prendre soin pour s’assurer qu’elles grandissent et deviennent matures. Dans un cas comme dans l’autre, le problème ne semble pas résider pas dans la volonté de nos gouvernants à régler ces problèmes qui affligent notre société et que nous traînons comme des boulets aux pieds, depuis bien longtemps. J’ai la conviction qu’ils sont généralement de bonne foi et qu’ils veulent les résoudre. Toutefois, je constate qu’ils s’y prennent presque toujours de la mauvaise façon, sans une vue d’ensemble ni une perspective à long terme. On organise régulièrement des opérations coup de poing, momentanément, sans un effort soutenu ni étalé dans le temps avec une planification intelligente et globale. L’exemple de la transformation du site d’enfouissement de Koshe en Éthiopie, à Addis-Abeba, illustre bien comment approcher le problème de l’insalubrité publique au pays. La répression sans un incitatif positif ni une solution alternative adéquate ne résoudra pas le problème des immondices dans nos rues. Elle va tout simplement aggraver la situation en pénalisant des gens qui n’ont pas la capacité de payer 10 000 à 50 000 gourdes par infraction et à qui on n’aura pas offert la possibilité de se débarrasser de leurs immondices, régulièrement et facilement. De même, la volonté du Président de reboiser le pays en implantant des centres de germoplasme, comme on les appelle communément, ne suffira pas pour reverdir le pays et habiller nos bassins versants d’une couverture forestière tant souhaitée. Il nous faut joindre à la volonté de faire, l’intelligence pratique de bien faire et la persévérance pour aller jusqu’au bout du processus.
Pierre-Michel Augustin
19 juin 2018