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Une actualité haïtienne plus que préoccupante, malgré un calme apparent et peut-être trompeur…

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La valse des voyages présidentiels continue et avec elle la sarabande des dépenses. Cette fin de semaine, le Président était au Canada, à l’invitation du Premier Ministre Justin Trudeau, à la réunion du G-7. C’était un voyage important car, à titre de président de la CARICOM jusqu’en juillet prochain, c’était à lui qu’il revenait de représenter cette instance et de faire valoir les intérêts de ses membres dans le contexte du réchauffement climatique. Dans un premier temps, les documents de cette réunion annonçaient la présence du Chancelier haïtien, Antonio Rodrigue. Il faut croire que le Président a pu se dérober à d’autres activités importantes de son agenda pour daigner se présenter lui-même à ce forum et faire acte de représentation publique pour laquelle il dispose d’un mandat qui se terminera le mois prochain. Ce sera tant mieux pour les pays de la CARICOM, y compris Haïti, si cela a pu servir à quelque chose. Remarquez que je suis plutôt sceptique car à ce genre de forum, on est généralement très fort dans la rhétorique. C’est surtout lorsqu’on arrive aux vraies affaires sonnantes qu’on trébuche et qu’on tombe à court des cibles visées à gorges déployées. À preuve, les membres des Nations-Unies avaient convenu de verser à l’Aide publique pour le développement (APD) la bagatelle de 0,7% de leur Produit intérieur brut. C’était en 1970, en vertu d’une résolution de l’ONU. De mémoire, très peu ont atteint ce plancher à ce jour, et ceux qui y sont parvenus sont loin d’être parmi les plus grandes économies mondiales. Selon un article de Jérôme Duval publié dans Politis en décembre 2017, seulement cinq pays sur 29 atteignaient ce plancher en 2016, à savoir : la Norvège, le Luxembourg, la Suède et le Danemark, rejoints cette année par l’Allemagne. En France, en 2015, l’APD atteignait seulement 0,37% du PIB. Même dans le cadre de la réparation de torts reconnus des Nations-Unies à l’égard d’Haïti, je veux parler de l’épidémie de choléra qui a fait déjà plus de 8 000 morts et près d’un million de personnes contaminées, l’on peine encore à collecter le quart de la somme promise pour tenter d’endiguer ce fléau. Vous comprendrez donc d’où je tiens mon scepticisme et combien il est justifié, jusqu’à preuve du contraire.

L’objet de mes réflexions de cette semaine, c’est surtout un survol de l’actualité mouvante et préoccupante au pays mais je n’ai pas pu m’empêcher d’observer le train-train international et le ronronnement des promesses toujours mirobolantes mais rarement atteintes des chefs d’États de ces grands pays à qui nul n’osera exiger d’échéancier exact pour l’exécution de ces belles promesses.

L’un des faits divers qui a retenu mon attention, c’est la récente extradition à la cloche de bois de deux citoyens haïtiens, recherchés par la justice américaine pour crime transnational présumé. Évidemment, ils n’ont pas tellement défrayé la chronique, pas autant que le sénateur élu de la Grand-Anse, l’an dernier. Je revois encore le digne président de la Chambre des députés d’alors, dans sa vaine tentative de pénétrer de force dans un commissariat pour faire libérer son collègue parlementaire en devenir. Dans n’importe quel autre État où prévaudrait le droit, tout président de la Chambre basse qu’il était, il aurait été passible d’arrestation sur-le-champ pour entrave au travail d’un policier en fonction et d’autres charges connexes de ce genre. Du vrai cinéma que c’était. Pendant ce temps un convoi incognito baladait l’illustre prévenu à travers Port-au-Prince, une ville qu’il ne reverra pas de sitôt. Je me souviens de tout le branle-bas orchestré par nos parlementaires en mal de cinéma. Convocation par-ci, résolution par-là, dénonciation avec grande emphase par-ci et tout le tralala. Et puis, et puis… point d’orgue. Le présumé innocent a bien fini par plaider coupable et nos parlementaires ont remballé tout leur cirque sans demander leur reste. Ils avaient néanmoins juré qu’il fallait dénoncer cette coopération insultante pour notre souveraineté et qu’il fallait corriger cette entente ignominieuse et scélérate qui faisait outrage à notre souveraineté bafouée. Et depuis lors, plus d’un an plus tard, anyen… Oui, ce n’était que de la broue, gwo van, ti lapli. Alors, la semaine dernière, deux autres compatriotes ont pris le même chemin et aboutiront probablement à l’ombre, dans les geôles américaines, une fois le jugement expédié. Bien sûr, depuis lors, d’aucuns surveillent un peu plus leurs arrières au pays. Les plus avisés placent quelques appels avant de se déplacer et font quelques détours en cours de route pour rejoindre leur domicile par des chemins crochus et fort inhabituels, histoire de déjouer une quelconque filature, une intervention surprise, si tant est qu’on n’a pas la conscience trop tranquille. Mais à part cela, rien. Le nouveau ministre de la Justice, apparemment n’aura pas à s’inquiéter d’avoir fait son travail et d’avoir remis, purement et simplement, en tout respect de nos ententes internationales d’extradition des fugitifs qui se terraient benoîtement chez nous. Alors, à bon entendeur, barbe à la trempe.

Une autre affaire insolite qui m’a fait sursauter un peu, c’est la démission soudaine du Maire principal de la Ville des Cayes. Le tout puissant Jean Gabriel Fortuné, celui qui avait défié, parmi tant d’autres, tout un gouvernement provisoire et qui en avait même désigné le siège officiel comme cible plus indiquée aux prétendus militaires rebelles qui avaient tenté un coup de force contre un commissariat de la ville des Cayes; celui qui, une fois élu maire, n’avait pas hésité à menacer la vie d’un journaliste qui a eu la témérité de décrier l’état d’insalubrité de Gelée à la veille d’une grande fête régionale, eh bien oui, c’est le même qui a fini par jeter la serviette dans l’arène politique devant une prétendue menace contre sa fille. Et moi qui suis père tout comme lui, je me joins à toutes celles et à tous ceux qui condamnent avec force et véhémence cette grave dérive. Nul n’a le droit d’attenter ni de menacer l’intégrité physique de quiconque, que la personne visée soit un simple protestataire, un policier, un maire, un prisonnier, un journaliste, un prévenu, un politicien et encore moins leurs enfants et leur famille. Mais avouons quand même que c’est un mystère de la vie qu’il nous faudra beaucoup de temps à décrypter : le cœur d’un père restera toujours un peu tendre à l’égard de sa progéniture, même quand il peut être de pierre à l’endroit de ses adversaires, même quand il verse parfois dans les pires exactions qu’il réprouve de toutes ses forces quand elles lui sont applicables.

Mais le clou de la semaine, l’histoire la plus importante en termes d’impacts éventuels et de conséquences appréhendées reste cet arrêté pris en Conseil des ministres de ligoter administrativement le Directeur général de la Police Nationale d’Haïti, M. Michel-Ange Gédéon. Il est vrai que cela remonte déjà à plus d’une semaine, mais, à mon avis, le président du Sénat dans une de ses déclarations vient de mettre un peu d’huile sur le feu en signifiant clairement au Directeur général de la Police que refuser d’appliquer un arrêté pris en Conseil des ministres le placerait automatiquement en situation d’insubordination, avec les conséquences qui en découlent. Par ailleurs, à défaut d’une Cour Constitutionnelle, il lui aurait signifié également qu’il n’avait aucun recours contre cet arrêté, tout illégal qu’il puisse être, selon l’avis de l’ex-président du Sénat, Youri Latortue. On peut facilement imaginer les conséquences à court, à moyen et à long terme d’un tel arrêté sur le fonctionnement administratif d’un corps de police, basé sur le respect strict l’autorité hiérarchique, lorsque l’on y introduit un virus de dissidence, une possibilité de désobéissance offerte à n’importe quel officier subalterne, sur un large échantillon de dossiers. Désormais, n’importe quel commissaire divisionnaire, n’importe quel agent de police subalterne pourrait évoquer un vice de forme dans un ordre à exécuter, dans une décision administrative quelconque prise à son endroit par le Commandant en chef de la Police, s’il s’avérait qu’il puisse mobiliser suffisamment d’appuis politiques du côté de l’Exécutif pour le contrecarrer. Désormais, le Directeur général est totalement à la merci de l’Exécutif et on ne pourra plus lui reprocher un manque de leadership si durant son mandat, la situation de sécurité publique se dégradait et qu’il ne prenait pas les mesures adéquates pour y faire face. Il n’aura plus qu’à prétexter un manque de latitude requise pour y répondre adéquatement, si toutefois il disposait des moyens logistiques et des ressources policières suffisantes pour le faire.

Par ailleurs, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, alors que le Président prévient la population qu’il se prépare à prendre des mesures radicales et qu’il faudra se serrer la ceinture un peu plus, que son gouvernement devra éliminer les subventions aux prix du carburant par exemple, eh bien, la République Dominicaine, à l’autre bout de l’île vient d’annoncer une réduction des prix du carburant sur son territoire. En effet, selon le Dario Libre, le prix du carburant baisse de 1 à 4 peso dominicain le gallon, passant à 245,30 pesos dominicains par gallon, à compter de ce mois de juin 2018. Allez donc comprendre quelque chose. C’est à croire que Haïti vit dans un monde parallèle à celui de son voisin et que les cours du carburant, sur le marché international, fluctueraient différemment, selon la destination du pays acheteur. Dans cette circonstance, et à la lumière de ce qui se passe sur le marché du carburant, je pense que les ténors de ce gouvernement auront un peu plus de mal à vendre cette salade au grand public local. Déjà, elle était dure à avaler au départ, si en plus l’augmentation des prix ne se justifiait pas par une augmentation significative et proportionnelle des cours du pétrole sur le marché international, la population aura vite fait de découvrir le double-jeu de l’Exécutif. On ne peut utiliser un subterfuge pour pressurer le consommateur et en tirer avantage pour tant soit peu rétablir les finances publiques, alors qu’on ignore à dessein les vannes ouvertes à travers lesquelles fuient les recettes potentielles disponibles à l’État. Les petites bourses, déjà plates et exsangues, ne peuvent pas être les seules à être mises à contribution dans un effort fiscal quel qu’il soit, si bien intentionné qu’il puisse être.

Finalement, pour revenir sur nos relations internationales, il était difficile de faire pire que ce gouvernement en votant l’abstention d’Haïti sur la résolution d’exclure le Venezuela de cette organisation panaméricaine. D’une part, Le Venezuela, s’il comptait sur la solidarité d’Haïti comme un retour normal d’ascenseur, à dû apprendre à ses dépens que ceux qui ont versé des larmes de crocodiles aux funérailles de feu Hugo Chavez, ceux qui, au défi de tout protocole et du code vestimentaire en usage pour une telle circonstance, n’ont pas hésité à s’affubler de la chemise rouge des militants chavistes de la première heure, tout comme Pierre, n’hésiteront pas, avant que le coq n’ait chanté trois fois, à répudier leur amitié qu’il portait en cocarde. Ce n’étaient que des acteurs pour le petit écran, sans état d’âme et surtout sans conviction politique quelconque. D’ailleurs, ce n’était pas un secret pour personne. Ils l’avaient affirmé haut et fort, nous sommes « open for business ». C’est l’ère de la diplomatie des affaires. Alors, au diable, la sensiblerie des amitiés idéologiques et historiques entre les peuples. Ceux qui sont concernés ont dû en prendre bonne note. En cela, je pense d’abord à Cuba qui ne doit plus nourrir beaucoup d’illusions sur des appuis éventuels d’Haïti, sauf en cas de résurgence d’une certaine filière politique, et encore… Mais je pense également, à Taiwan, à la Chine, à Israël, aux Palestiniens, au Rwanda et, qui sait, à l’Espagne et à la France, tous ces pays qui affichent une certaine fragilité territoriale et qui pourrait avoir l’idée de compter sur notre vote pour faire pencher la balance des instances internationales dont nous sommes membres en leur faveur. Mezi lajan ou, mezi wanga politik ou. Tout jwèt, tout kondisyon. Se chen manje chen.

Dans cet état d’âme, surtout s’il est partagé par ces pays sur lesquels nous pouvons avoir à compter un jour, en cas de coup dur, il se pourrait que nous soyons les premiers à en pâtir, lorsqu’à notre tour, nous serons le dos au mur à quémander un appui basé sur un principe, car n’ayant que cela à offrir en retour. Qu’il nous suffise de nous rappeler l’épisode, d’ailleurs toujours en cours, de rapatriements massifs et sans respect des conventions internationales dûment signées et adoptées par l’État dominicain en matière d’expulsion de nos ressortissants et de respect de leurs droits.

Pierre-Michel Augustin

le 12 juin 2018

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