Des figures politiques sont visées par les experts de l’ONU, mais pas sanctionnées par le Conseil de Sécurité de l’ONU (Organisation des Nations Unies). En effet, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé, le jeudi 19 octobre, le régime de sanctions et d’embargo sur des armes légères en Haïti pour un an, mais sans tenir compte des révélations «explosives» de son panel d’experts et sans ajouter de noms à la liste des personnes sanctionnées.
Après sa visite et son enquête, le panel d’experts a listé de très influentes personnalités, reconnues comme ayant des liens avec les gangs haïtiens qui sèment le chaos dans le pays et contrôlent 80% de la capitale, Port-au-Prince. Leurs noms viennent d’être rendus publics.
Parmi les cibles du rapport, quatre figures très connues sont accusées d’avoir armé ou utilisé les gangs. Il s’agit de l’ancien président Michel Martelly en personne. Tout d’abord, selon le panel de l’ONU, il a utilisé ces bandes armées pour étendre son influence lors de son mandat entre 2011 et 2016. Sont visés aussi l’ancien sénateur et chef du Sénat Youri Latortue, le chef de parti Prophane Victor et l’homme d’affaires influent Reynold Deeb. L’ancien Premier ministre de Michel Martelly, Laurent Lamothe, est lui accusé d’avoir détourné des millions de dollars de fonds publics destinés aux victimes du séisme.
Selon le rapport d’enquête des experts, l’ancien président Joseph Michel Martelly (14 mai 2011 – 7 février 2016), l’ancien sénateur Youri Latortue, ex-président du sénat (2017 à 2018), l’ancien député Prophane Victor (2016 à 2020) et le directeur général du Groupe Deka, Reynold Deeb, sont impliqués dans le financement des gangs armés en Haïti, indique le groupe d’experts de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) sur Haïti, dans un rapport final, rendu public le 18 octobre 2023.
Joseph Michel Martelly a financé les gangs de la Base 257, de Village-de-Dieu, de Ti Bwa et de Gran-Ravin, notamment en leur fournissant des fonds ou des armes à feu, révèle le groupe d’experts de l’ONU sur Haïti. Il souligne combien cet ancien chef d’État s’est servi de ces gangs pour étendre son influence dans les quartiers et faire avancer son agenda politique. Ses actions ont contribué ainsi «à un héritage d’insécurité, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui», condamne le groupe d’experts de l’ONU sur Haïti. Par l’intermédiaire des fondations ou des membres de sa garde rapprochée, Martelly a établi des relations et négocié avec d’autres gangs ou chef de gangs, comme Arnel Joseph, ancien chef du gang de Village-de-Dieu, abattu le vendredi 26 février 2021 à l’Estère par la police, continue-t-il. Arnel Joseph avait déclaré qu’il s’entretenait régulièrement avec un intermédiaire, travaillant dans l’unité de protection rapprochée de Martelly, lequel intermédiaire lui donnait des armes à feu et d’importantes sommes d’argent, selon le rapport onusien.
«L’ancien président a remis à Tèt kale (ancien chef de Gran-Ravin) un fusil Galil 5.56 mm appartenant à la police et un fusil de même type à Christ-roi Chéry (Krisla), chef du gang Ti Bwa. Après l’assassinat de Tèt Kale, Renel Destina Ti Lapli a récupéré l’arme », a expliqué, dans une vidéo, Ti Lapli, l’un des chefs actuels de Gran-Ravin.
L’ancien président haïtien, Joseph Michel Martelly, et deux anciens premiers ministres, Laurent Salvador Lamothe (16 mai 2012 – 14 décembre 2014) et Jean Henry Céant (17 septembre 2018 – 18 mars 2019), ont été sanctionnés en novembre 2022 par le Canada, pour leur financement des gangs en Haïti.
Par ailleurs, l’ancien sénateur Youri Latortue «exerce un contrôle considérable sur la vie politique et économique du département de l’Artibonite, notamment par le recours à des gangs, comme à Raboteau, qu’il finance et arme», souligne le groupe d’experts de l’ONU sur Haïti. Latortue a financé non seulement le gang Kokorat San Ras, un groupe extrêmement violent du département de l’Artibonite, en collusion avec Raboteau, mais a eu recours à des gangs pour assurer sa protection rapprochée et détruire des biens, ajoute-t-il, citant des sources confidentielles. Dans une vidéo, le chef de gang Jimmy Chérizier, alias Barbecue, a déclaré que Latortue lui aurait remis 30 000 dollars. Youri Latortue et le président du tiers restant du sénat, Joseph Lambert, ont été sanctionnés en novembre 2023 par le Canada et les États-Unis pour aide aux gangs.
L’ancien député de Petite-Rivière de l’Artibonite, dans le département de l’Artibonite, Prophane Victor, a fourni des armes à des jeunes de sa circonscription, en vue d’assurer son élection en 2016 et de contrôler la zone. Ces jeunes, armés par le parlementaire, ont ensuite formé le gang Gran Grif, actuellement le plus important du département de l’Artibonite et principal responsable des violations des droits humains, y compris de violences sexuelles, toujours selon le rapport du groupe d’experts de l’ONU sur Haïti. Après s’être embrouillé avec ce gang, qu’il a soutenu jusqu’en 2020, Prophane Victor a décidé, par la suite, d’appuyer des gangs rivaux et des groupes d’autodéfense à Petite-Rivière de l’Artibonite, indique le rapport onusien. Prophane Victor fait l’objet de sanctions par le Canada, depuis juin 2023, de même que l’ancien sénateur de l’Artibonite, Garcia Delva.
Reynold Deeb, important importateur de biens de consommation, a été aussi sanctionné par un État membre. Reynold Deeb financerait des membres de gangs pour protéger son entreprise et assurer l’importation de ses marchandises, selon le groupe d’experts de l’ONU sur Haïti. Deeb aurait payé, en 2017, un chef de gang, afin de pouvoir mener ses activités dans l’un des principaux ports. Il aurait aussi utilisé des membres de gangs pour faire pression sur certains douaniers du port, afin que ses conteneurs ne soient ni inspectés ni interceptés, dévoile le groupe d’experts de l’ONU sur Haïti. Ces actions auraient permis à Reynold Deeb d’éviter certains droits d’importation.
Depuis un an, un seul nom sur cette liste était connu, celui de l’ancien policier devenu chef influent d’une alliance de gangs (G9 en Familles et Alliés, créée avec le support de Madame Helen Lalime), Jimmy Chérizier, surnommé Barbecue. Il est visé par des gels d’avoirs et des interdictions de voyage. Pourtant, le panel d’experts a recommandé de sanctionner plus d’individus soupçonnés d’être liés aux gangs et qui sont des personnalités de l’élite politique et économique d’Haïti.
Emmanuel Saintus