Bien qu’il nous soit peut-être difficile de ne pas nous en rendre compte, s’il y a une vérité des plus irréfutables, c’est que nous sommes déjà, et ce, depuis tantôt trois (3) ans, en pleine scission et désintégration du pays. En effet, tous les coins et recoins de la République de Port-au-Prince, avec leurs succursales dans les autres grandes villes du pays, sont littéralement occupés par des associations de malfaiteurs, courtoisement baptisés bandits légaux. Ils doivent ce surnom par le simple fait qu’ils ont leurs accointances au Palais National, à la Primature, au Parlement, dans les tribunaux, dans les ministères, dans les secrétaireries d’État, dans les directions générales de l’administration publique ayitienne, ou encore dans certaines ambassades ou bureaux de coopération et de coordination générale de certaines institutions internationales accréditées dans le pays. Ces gangs armés, qui ne sont point le fruit du hasard, sont au fait, à tour de rôle, des hors-la-loi et des «au-dessus-de-la-loi» dans un État de total non-droit, en d’autres termes: d’anarchie et de chaos. À la solde de patrons fantômes, ils font et défont, comme bon leur semble, sans aucun égard à la loi ni encore moins aux autorités et institutions même du plus haut niveau de l’État. Entre ceux-là, qui sont placés à des échelons supérieurs ou inférieurs de l’appareil étatique à l’échelle juridico-légale, soit pour faire la loi, la promulguer, l’appliquer, la faire respecter ou d’y déroger, patauge tout un peuple dans un spectre de confusion et d’illégalité.
Ce n’est certes pas sans raison qu’il y ait, ces trois dernières années, une aggravation du phénomène de gangs armés un peu partout dans le pays et particulièrement dans les quartiers défavorisés ; parallèlement les bandits légaux ont pris d’assaut, dans tous les secteurs, le plus haut rang des structures étatiques. Rappelons-nous que le chef officiel de la Fédération du G-9 en Haïti, en la personne de Jimmy Chérizier, de son nom de vedette «Barbecue», a une solide réputation d’atteintes aux droits humains, pour le compte du pouvoir de PHTK lequel assure la couverture politique de tous les chefs de gangs, pour les mettre, jusqu’à présent, à l’abri de toute poursuite judiciaire. Ces bandits peuvent ainsi perpétrer leurs crimes en toute impunité, tant qu’ils servent à «maintenir la paix» dans les quartiers de leur juridiction. En témoigne cette déclaration du chroniqueur Parker Asmann, tirée du journal Insight crime, segment Élites et crime du 23 juillet 2020: «En échange, le gouvernement de Moïse a trouvé en eux de fidèles fantassins réprimant l’insécurité, écrasant les voix de l’opposition et renforçant le soutien politique dans toute la capitale.» Parallèlement, et à la stupéfaction de tous, cette démarche politique de légalisation de la violence contre les populations, avait été chaudement saluée par Mme Helen Ruth Meagher La Lime, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), à la tête de la Mission des Nations Unies pour l’appui de la justice en Haïti (MINUJUSTH) depuis 2018.
Il ne fait donc aucun doute que l’insécurité en Ayiti a ses maîtres dont nous ignorons tous, malheureusement, l’identité officiellement. Mais il ne fait aucun doute que la violence généralisée, constatée depuis plusieurs semaines un peu partout dans le pays, n’est que la parfaite expression du règne des bandits et gangs armés, à la solde du pouvoir en place, qui veillent à paralyser les activités de la population. En plus d’être intouchables, à cause de leur connivence avec certains membres du secteur privé des affaires et des hauts fonctionnaires de l’État, y compris des agents de la Police nationale (PNH), ils sont tout aussi bien protégés par certaines associations des droits humains. Cela explique donc la nonchalance de la communauté internationale, le mépris des appareils judiciaires et des forces de l’ordre dont l’objectif est désormais, la somalisation et bangladéshisation d’Ayiti, avec tout le respect que j’ai pour nos frères de la Somalie et du Bangladesh, lesquels ont malheureusement eu à faire ces expériences douloureuses de génocide et de famine. Pour quelles raisons? À quelle fin? Au bénéfice de qui? Par quel moyen? Nous ignorons, tous, les réponses à ces questions pour éviter de nous basculer dans un attrape-nigaud. Cependant, que personne ne s’en méprenne, la situation de chaos et d’anarchie dans laquelle se trouve Ayiti aujourd’hui s’inscrit dans le cadre d’un agenda orchestré par des mains invisibles. L’heure est sombre, et malheureusement, comme nous pouvons le constater, le pire est à venir. Aucun espoir d’un lendemain meilleur ne semble vouloir poindre à l’horizon. Si d’ici peu rien ne se fait dans le sens du chambardement total de cette situation insoutenable, déjà parvenu à son paroxysme, il ne fait aucun doute que nous serons en plein dans une crise humanitaire sans précédent en Ayiti. Pour éclairer la lanterne à ceux-là qui pensent que la crise ayitienne est foncièrement ayitienne, sachez qu’il y a toujours eu des Conzé parmi nous, bien avant, pendant et après l’indépendance. C’est ce qui d’ailleurs avait conduit à l’assassinat de l’Empereur, en 1806. Tout se prépare dans un laboratoire invisible, cette main qui donne, coordonne, ordonne et ne pardonne aucun écart. Malheureusement, la plupart des acteurs politiques ayitiens font toujours figure d’indigents affamés, prêts à vendre leur âme au diable, rien que pour des miettes. Ces derniers ne sont donc que des pions entre leurs mains. Ils les déplacent à leur guise, quand ils veulent, où ils veulent, selon leurs caprices et intérêts. Ils font semblant de prôner le dialogue, mais non pas entre les secteurs clefs de la vie politique nationale, pour une sortie de crise pouvant conduire à une normalisation et amélioration de la vie de la population, mais plutôt entre les «bandits légaux et les illégaux», de sorte qu’ils en seront les médiateurs. Ouvrons grand nos yeux, peuple Ayitien, car ceux-là qui font semblant de compatir avec nous dans les moments de détresse et de malheur, ce sont eux qui se réjouissent de nos malheurs et, de surcroît, en sont les instigateurs. Ayiti est au seuil d’une crise humanitaire à laquelle nous n’avions jamais avant fait face. Cette crise est orchestrée par des conditions politique, économique et sécuritaire désastreuses qui émanent de l’anarchie et du chaos. Et quand cette crise sera à son paroxysme, le blanc, encore une fois, interviendra avec ses bottes ferrées, fouler le sol sacré que nos ancêtres, au prix de leur sang et de leur sueur, nous ont légué. Ils voleront au secours du peuple, élégamment, sur fond d’aides humanitaires. Avec des larmes de crocodile, ils mobiliseront la communauté internationale pour procéder à des collectes de fonds pour sauver ce petit peuple de nègres auquel ils ne cesseront de faire payer l’affront de 1804, en utilisant aujourd’hui les traîtres de l’intérieur déguisés en politiciens apatrides, nantis transnationaux criminels et élite intellectuelle démissionnaire et commissionnaire. Quelle hypocrisie !
Maintenant que le gouvernement d’Ariel Henry a opté pour solliciter une nouvelle occupation étrangère du pays, en lieu et place de faire de son mieux pour arriver à un consensus pour ouvrir la voie à un pacte de gouvernance, sur une période de temps suffisant en vue de la stabilité politique, économique et l’apaisement social pour remembrer la production nationale et le rapatriement de la souveraineté nationale, sachez que l’occupation ne fait semblant de «résoudre» les crises politiques du pays, que de manière ponctuelle et conjoncturelle. Le pire, c’est qu’elle jette les bases de crises futures beaucoup plus graves et chroniques. Il est grand temps que nous, les Ayitiens, comprenions que chaque occupation censée résoudre une crise politique particulière que traverse le pays, en un moment donné, n’est que le prélude d’une crise future plus aigüe. Toute forme de clientélisme avec les agents d’occupation ne peut que causer préjudice au pays, dans un avenir proche ou lointain.
À ceux-là qui, véritablement veulent s’engager dans les luttes, Ô combien louables de libération et du rapatriement de la souveraineté nationale, je vous dirais une seule chose: «nos ennemis sont plus forts que nous. Donc, nous pouvons continuer à les combattre vainement, sans parvenir à les battre. Telle est la rude tâche que nous nous sommes proposée jusque-là, durant nos deux siècles d’histoire de peuple. Cependant, sachez qu’ils ne sont pas non plus invincibles. Pour ce faire, il nous faut serrer les rangs et les coudes, et nous tenir debout, comme un seul peuple, pour la défense de la patrie commune, de notre fierté et dignité de la Première République Noire du monde.» L’heure est à l’application des stratégies de Toussaint, la Percée louverturienne, si nous voulons par la suite concrétiser l’Idéal dessalinien, en vue du retour de la Fierté christophienne. Rappelons-nous que nos ennemis sont plus forts que nous, il nous faut donc changer de stratégie, si nous voulons véritablement sauver cette patrie qui nous a été léguée par nos ancêtres, au prix de leur sang et de leur sueur. La vraie solution à la crise intestine et séculaire ayitienne doit s’inscrire dans une dynamique de concertation inter-ayitienne, a priori. Maintenant, on ne saurait refuser l’aide de nos vrais amis de l’internationale, dans la mesure où, bien sûr, elle relève d’un minimum de sincérité et de crédibilité pour faire avancer le pays, et non de le faire marcher à reculons, comme ce fut le cas jusqu’à date.
Si Paul Kagamé a pu sortir le Rwanda du génocide pour le conduire sur les voies de la bonne gouvernance, de la résolution des différends ethniques et du développement durable ; à plus forte raison, nous pouvons aussi le faire en Ayiti. Cependant, cela ne se fera pas tout seul, sinon avec les vrais fils et filles de la patrie commune, au moyen de l’amour, du sérieux, du savoir, de l’expérience, de l’unité et de la bonne volonté, entre autres. Le problème auquel nous faisons face en Ayiti est loin d’être le vrai problème. Le problème de notre pays, ce sont les problèmes que nous ne voyons pas, en l’occurrence, les ficelles sensibles sur lesquelles tirent des mains invisibles, et de surcroît dans l’ombre. Il y a en effet des forces invisibles tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays qui veulent encore nous prouver que sans elles, nous ne pouvons ni ne valons absolument rien. Seule l’unité des représentants patriotes de tous les secteurs de la vie nationale peut nous permettre de constituer notre vraie force de frappe pour les conduire à l’échec.
Si Toussaint Louverture avait pu constituer l’intelligence des luttes ayant conduit à l’indépendance nationale, le 1er janvier 1804; Jean-Jacques Dessalines, lui, en constituait le bras appelé à concrétiser cette intelligence, par l’acte décisif du 18 novembre 1803, à Vertières, dans le Nord, plus particulièrement au Cap-Haïtien. Ne l’oublions jamais, pour aboutir à la Fierté christophienne, il a fallu à tout prix aspiré à l’Ideal dessalinien, en passant par la Percée louverturienne. Sans ces trois grandes composantes historiques, il n’y aurait pas d’Ayiti, du moins pas telle que nous l’avions connue dans les moments les plus glorieux de notre histoire.
Aux amants du business de l’occupation, tant physique, politique qu’économique du pays, je vous dirai que seuls nous, les Ayitiens, pouvons sauver Ayiti, car tous les occupants ont leurs objectifs bien définis, qui n’ont absolument rien à voir avec les problèmes réels auxquels est confronté le pays. S’il en avait été le contraire, lors de l’occupation américaine de 1915, il n’y aurait pas celle de 1994, ni celle de 2004, ni encore moins celle qui parait de plus en plus imminente, ces derniers jours. Cependant, si nous admettions que nous serions plutôt favorables à un débarquement, intervention ou occupation, ne conviendrait-il pas de nous poser les questions suivantes: À quelle fin? Quelle occupation? Occupation pour les mêmes résultats ou pires, quelques années plus tard? Bref, si seulement ceux-là qui s’érigent en experts, en matière de politique tant intérieure qu’extérieure, de la bonne gouvernance, de la gestion administrative, de l’économie, de la finance et de la sécurité publique, pour ne citer que cela, dans les moments de crises et de tumultes sévissant dans le pays, savaient s’engager et participer à la gestion de la chose publique dans les moments de calme et de sérénité, je demeure convaincu que nous ne serions pas où nous sommes aujourd’hui.
Jean Camille Étienne
Arch. Msc. En Politique et Gestion de l’Environnement
10/10/2022