Après autour de deux siècles de tumultes et d’épreuves multiformes et pluridimensionnelles : notre chère Ayiti se trouve aujourd’hui au comble de la déliquescence. Les poids des tergiversations, des tractations, des diversions, d’une exploitation à outrance, des impositions, d’une profanation, d’une corruption, des tentatives d’extermination, d’une occupation de l’espace public des structures étatiques par des voyous, d’une prise en otage des pouvoirs économiques, politiques et judiciaires par une oligarchie transnationale criminelle, des ingérences étrangères dans les affaires internes du pays, des inégalités et des injustices sociales et celui de bien d’autres maux internes et séculaires, ont graduellement, mais funestement, plongé notre nation dans un état de dégénérescence totale. Il est temps d’agir pour enclencher le déclic de sa renaissance. Le génie ayitien, qui s’est illustré par les hauts faits d’armes du 18 novembre 1803, a malheureusement décliné au fil des siècles. La courbe de notre histoire, après avoir atteint son apogée avec la proclamation de l’indépendance, le 1er janvier 1804, n’a, depuis lors, cessé de décroître. Il est désormais impératif qu’elle entame une nouvelle phase de croissance. En unissant nos forces et en agissant de manière coordonnée, nous pouvons redonner vie à notre nation. Le meilleur est à venir, si nous nous engageons sincèrement dans cette voie de régénération. Il incombe donc, à ceux-là qui veulent occuper les rênes du pouvoir, de se mettre à l’œuvre par le biais du dépassement de soi, ici et maintenant.
La régénération de notre histoire nationale ne se fera pas sans effort. Elle nécessitera un engagement total de la part de chaque citoyen, des dirigeants aux membres de la société civile. Il est impératif que nous mettions fin à nos divisions internes, à nos querelles politiques stériles et à notre apathie collective. Nous devons nous unir dans un seul but : bâtir un avenir meilleur pour notre pays et pour les générations à venir. Dans cette quête de régénération, nous pouvons puiser l’inspiration et la force de trois grandes lignes de notre histoire nationale : l’idéal dessalinien, la fierté christophienne et le progressisme de Dumarsais Estimé.
L’idéal dessalinien, incarné par le père de la nation haïtienne, Jean-Jacques Dessalines, l’Empereur Jacques 1er, est celui de l’indépendance, de la liberté et de la dignité. Le généralissime de l’armée indigène, que nous aimons à appeler affectueusement Dessalines, a lutté sans relâche pour libérer notre nation de l’oppression coloniale et pour instaurer un régime de gouvernement par et pour le peuple. Son courage et sa détermination doivent servir de guide dans notre quête de régénération. Aujourd’hui encore, l’idéal dessalinien demeure le plus grand projet de construction de l’État-nation ayitien, tant du point de vue politique, économique, social que diplomatique, duquel de rares chefs d’États ayitiens ont pu s’approcher, postérieurement.
La fierté christophienne reste et demeure, dans l’imaginaire collectif ayitien, l’œuvre emblématique du grand Roi Henry Christophe, autrement dit Henry 1er, dessinée à l’encre indélébile par l’intelligence, la résistance et la fierté de notre peuple face à l’adversité. Malgré les défis auxquels il a été confronté, notre Christophe national a réussi à établir un État fort et indépendant dans le nord d’Haïti, mettant en valeur la richesse culturelle et historique de notre nation. Sa vision d’une Haïti fière et prospère doit nous inspirer à reconstruire notre pays sur des bases solides et durables. La Citadelle Laferrière, surplombant les Parcs des Ramiers, avec le majestueux Palais Sans-Souci qui scintille dans la fusion de l’oubli et de manque de culture de conservation du patrimoine national, accélérant leur état de ruine, constituent des preuves tangibles du « Roi Soleil ayitien. »
Le progressisme de Dumarsais Estimé incarne l’esprit d’innovation et de progrès qui doit guider notre nation vers l’avenir. Estimé a œuvré pour moderniser notre société, promouvoir l’éducation et les infrastructures, et lutter contre les inégalités sociales. Son héritage nous rappelle l’importance de l’investissement dans le développement humain et économique, pour assurer un avenir meilleur à tous nos concitoyens. Quelle honte que de voir notre Grand Bicentenaire qui avait accueilli la grande Exposition Internationale (8 décembre 1949 au 12 février 1950) se métamorphoser en une ruine post-guerre où des fils insensés du pays, en proie à la pauvreté et la misère abjecte, l’ignorance et l’inconscience, siègent au service des ennemis de la patrie.
Aussi paradoxale que cela puisse paraître, des efforts considérables ont été investis dans le répertoire des actions positives visant au relèvement de la dignité nationale. Il convient, à juste titre, de souligner qu’en plus de ces grands leaders, d’autres chefs d’État ayitiens, chacun à sa manière, ont également contribué à l’édification de notre nation. En dépit du fait d’avoir été à l’origine du naufrage de la barque nationale, en raison de sa posture conservatrice et ségrégationniste vis-à-vis de la grande majorité noire de la population, le président Alexandre Pétion a été un fervent défenseur du droit à l’autodétermination et de la dignité des peuples. Son soutien aux mouvements d’émancipation, dans d’autres pays de la région, a renforcé notre position en tant que leader dans la lutte pour la liberté et la justice. Plus près de nous, cela fait autour d’un demi-siècle, en dépit de sa férocité, de son état de dictateur qui passe de présentation, le président François Duvalier avait mis en œuvre des politiques visant à garantir le salut collectif de notre nation, notamment à travers des programmes sociaux et des réformes économiques qui ont permis d’améliorer les conditions de vie des plus démunis. Les actions visionnaires du président René Préval, en faveur du développement économique du pays, ont jeté les bases d’une croissance durable et équilibrée. Son engagement envers la construction d’infrastructures-clés et la promotion de l’investissement national et étranger ont ouvert de nouvelles perspectives pour l’avenir de notre nation. Le meilleur est à venir, mais seulement si nous nous engageons réellement dans cette entreprise. Pour concrétiser cette vision, nous devons mettre en œuvre des actions concrètes dès aujourd’hui. Cela inclut la lutte contre la corruption, la promotion de l’éducation et de la santé, l’amélioration des infrastructures, la création d’emplois et le renforcement de la démocratie et de l’État de droit. Qu’avons-nous donc fait des avancées que nous avons accumulées au fil des années des chefs d’États les plus progressistes, à un certain égard ? Que l’on veuille ou non, il y a toujours quelque chose de positif à apprendre de chaque administration qui s’est succédé à la tête du pays, même celles de la cohorte mafieuse phtkiste n’en font pas exception.
Aujourd’hui, nous assistons au spectacle combien effroyable de l’effondrement de l’État, sous notre regard impuissant. Nous avons expérimenté, au plus profond de notre être, le chaos dans toute sa laideur et dans toute son horreur. Il est donc grand temps pour nous, de jurer que plus jamais les intérêts mesquins de classe, de caste, de race ou de chapelles politiques ne prévaudront sur les plus hauts intérêts nationaux et sur nos valeurs cardinales. L’heure est au pardon et à la réconciliation nationale, tout en excluant le moindre élan à l’impunité, en vue de recoller les tessons de discordes disséminés à travers les méandres des querelles séculaires et intestines qui minent les sentiers de la renaissance nationale. Dans cette démarche, nous devons nous rappeler les paroles sages de nos ancêtres et les leçons tirées de notre histoire mouvementée. Ensemble, en embrassant notre héritage et en regardant vers l’avenir avec détermination, nous pouvons surmonter les obstacles qui se dressent sur notre chemin et construire un avenir meilleur pour tous les Ayitiens.
Au nom du « principe des intérêts croisés », quand la maison est en feu, n’importe qui peut la sauver, dans la mesure où, bien sûr, il/elle soit armé de bonne volonté et surtout dispose de la compétence nécessaire pour le faire. Donnons le bénéfice du doute au Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Notre destin ne peut plus être livré au triste sort du hasard. Il nous faut donc arrêter d’aller à reculons et à tâtons. Nous avons suffisamment de ressources humaines, tant en Ayiti qu’à l’extérieur, pour rendre viable et durable le CPT, qu’importe comment on l’appelle, pour mener cette transition à n’en plus finir à bon port. C’est l’unique voie pouvant conduire notre nation à la stabilité, à la paix sociale et au développement endogène et durable. Ainsi donc, en nous unissant dans un élan de solidarité et de fraternité, nous pouvons réaffirmer notre engagement envers la construction d’une nation plus juste, plus équitable et plus prospère. Que chaque citoyen, quelle que soit son origine ou sa position sociale, se lève pour contribuer à la renaissance de notre patrie bien-aimée. Ensemble, avec compassion et résolution, nous pouvons créer un avenir où la dignité humaine est respectée, où l’égalité des chances est une réalité et où la justice prévaut pour tous. Le chemin vers la régénération d’Ayiti est difficile, mais il est aussi porteur de promesses et d’espoirs. Le meilleur est à venir, si nous nous engageons sincèrement dans cette noble cause. Ainsi donc, tel un rituel patriotique, tournons-nous vers le soleil en son zénith, pour dire au monde entier que c’est la fin de nos jours sombres. Prenons la résolution que les trois dernières lugubres décennies de notre histoire de peuple ne sont qu’un accident de l’histoire et ne constituent, par voie de conséquence, que le souvenir d’un cauchemar duquel nous nous sommes finalement réveillés. Disons, tous ensemble, que cette mésaventure ne se reproduira plus jamais dans les annales de l’histoire nationale et que le meilleur est à venir.
08/05/2024
Jean Camille Étienne,
Arch. Msc. en Politique et Gestion de l’Environnement