Né le 12 Avril 1936 à Ravine Sèche dans le département de l’Artibonite, Jean-Pierre Basilique d’Antor Frank Etienne d’Argent, connu sous le nom de Frankétienne, est le fruit d’un viol commis par un riche homme d’affaires américain sur une jeune Haïtienne analphabète. Surnommé « kaka san savon », « ti blan », « blan mannan » dans le quartier de Bélair où il a grandi, il est le résultat de cette tragique histoire. L’adolescente, devenue domestique, est rejetée par l’épouse de son agresseur à l’apparition des premiers signes de sa grossesse.
La littérature haïtienne a été enrichie par de nombreux écrivains et poètes, mais l’auteur d’Ultravocal, Frankétienne, a apporté une contribution singulière. Malgré les critiques mitigées sur ses premiers ouvrages et le mouvement du Spiralisme, ce poète a revendiqué une reconnaissance totale et solide pour son travail, marquant ainsi un tournant dans la littérature haïtienne.
Frankétienne, Jean-Claude Fignolé et René Philoctète ont fondé le Spiralisme en 1968, un mouvement artistique prônant une théorie sur l’art total. Cette approche vise l’éclatement des formes et des genres, explorant en profondeur les imaginaires pour saisir la réalité par le biais de formes d’écriture non conventionnelles. L’œuvre de Frankétienne dépasse aujourd’hui les frontières haïtiennes, suscitant de nombreux travaux universitaires à l’étranger. Malgré la situation politique difficile en Haïti et les pressions pour quitter le pays, Frankétienne reste obstinément attaché à son île, refusant de partir même temporairement.
Frankétienne est un écrivain haïtien prolifique, connu pour ses œuvres variées et originales. Parmi ses titres moins célèbres mais tout aussi importants que ceux plus connus comme “Dézafi” ou “Mûr à Crever”, on peut citer des œuvres telles que “Vigie de Verre” (1967), “Les Oiseaux de l’Avant-Jour” (1968), “Troufoban” (1977), “Amours Délices et Orgues” (2008), “Une Étrange Cathédrale Dans La Graisse Des Ténèbres” (1996), “Mots d’Ailes en Infini d’Abîme” (2007), “Le Sphinx en Feu d’Énigmes” (2007), et bien d’autres. Ces textes font partie des différentes métamorphoses de “L’Oiseau Schizophone”, une œuvre majeure de l’auteur de “Pèlen Tèt.”
Ce monstre de l’écriture, dont l’œuvre a été récompensée par des prix et des distinctions, est aujourd’hui une grande figure de la littérature de la région. Cependant, il ne faut pas le limiter à son talent littéraire, car il excelle également en tant que peintre, enseignant, chanteur, comédien et dramaturge. Son éclectisme l’a conduit à explorer presque toutes les disciplines artistiques tout en conservant sa qualité de poète.
Dans son approche artistique, Frankétienne déconstruit et surdimensionne les objets, les faisant exploser et se multiplier. En perpétuel mouvement grâce à sa magie créatrice, il crée une illusion optique similaire à celle de la persistance rétinienne au cinéma, révélant une agressivité sous-jacente qui alimente la puissance régénératrice de l’ensemble.
C’est un rejet de l’oppression de la dictature, exprimé à travers la subversion spatiale de la page, construisant ainsi une opposition marquante de l’époque. Cette démarche se reflète dans sa peinture, où il fragmente les formes en entités autonomes dans un désordre éparpillé. Il utilise le pinceau comme un bistouri pour disséquer le “cadavre exquis” formé par ces multiples éléments, coulures et excès de traits, créant une esthétique de délabrement. Les liens entre le temps, l’énergie, l’espace et l’interaction entre l’humain et son environnement sont les matériaux clés de son univers artistique.
Frankétienne, écrivain haïtien, s’inscrit dans la lignée de grands noms tels que Thomas Guilhem et Alejo Carpentier. Son écriture bilingue en créole haïtien et en français le distingue dans les littératures caribéennes. Sa renommée internationale, notamment grâce à ses pièces de théâtre, le positionne comme une figure incontournable du paysage culturel haïtien et au-delà.
Prince GUETJENS