Par Jean Camille ETIENNE

Je crains que ces lignes, qui te sont dédiées, ne ressemblent à une biographie posthume.  Ton héritage restera à jamais vivant, tant qu’il y aura des combattants de ta trempe, des femmes et des hommes honnêtes, intègres, de caractère, immuables dans leurs convictions, œuvrant pour la cause nationale, pour le salut de notre chère Ayiti.  Bien que nous ne nous soyons jamais rencontrés en personne, Marie Maude Leblanc, notre première conversation téléphonique a rapidement révélé une soif commune de lutter sans relâche pour la renaissance de notre pays bien-aimé, même à distance.  Ta passion pour Ayiti a créé une connexion profonde, au-delà de nos âmes, dans les profondeurs de nos cœurs, tous deux imprégnés de cette obsession inébranlable d’une Ayiti meilleure, tant que nous respirions et même après notre grand envol.  Maude, compagne de conviction, la nouvelle de ton départ est choquante.  C’est la dernière chose à laquelle nous nous attendions, du moins pas maintenant.  Tes luttes infatigables n’ont pas encore vu poindre à l’horizon le soleil de la justice sociale, de la renaissance de notre pays et de la reconstruction de l’homme et de la femme ayitiens.

Ayiti, l’espace critique médiatique, la confrérie des titans de la dignité nationale, vivent à nouveau un moment déconcertant et lugubre.  Nous assistons, impuissants, au départ d’une fille authentique.  Maude, tu resteras à jamais un symbole vivant de la lutte antidictatoriale, une figure marquante dans l’histoire politique nationale, prenant position et défendant les plus faibles.  Ta vie, en tant que fondatrice et directrice de l’Assemblée Populaire Nationale (APN), du Parti Populaire National et du journal Haïti-Progrès, pendant les heures sombres de la dictature Jean-Claudiste dans les années 80, laisse une empreinte inaltérable dans le panthéon des militants indomptables de l’histoire nationale.  Tu as été l’écho de la voix des sans-voix et la voie lumineuse des sans-voies. L’Ayiti, que tu as chérie et défendue avec autant de passion et de ferveur, te doit une fière chandelle.  Doit-on pleurer ton départ, maudire le jeudi 25 janvier dernier qui t’a vue partir sous nos regards impuissants, ou encore conjurer le mauvais sort de cette maladie qui t’a si brutalement arrachée à nous, malgré les avancées de la médecine mondiale ? Rien de tel !  Ta disparition physique est une perte irremplaçable, mais elle nous donne l’occasion de la replacer dans le contexte de retrouvailles avec tes fidèles compagnons de combat.  Marie Maude Leblanc et Benjamin Dupuy, emportés également par des maladies courageusement supportées, respectivement le 25 janvier 2024 à Brooklyn, New York, et le 23 avril 2023 à Miami, en Floride, aux États-Unis, partagent un destin différent de celui de Georges Honorat, assassiné devant sa résidence en Ayiti le 23 mars 2013.  Vous avez tous été des authentiques enfants de la patrie commune, des voix marxistes indomptables, inspirant plusieurs générations par vos luttes acharnées contre l’impérialisme occidental.  On vous appellera à tour de rôle « les révolutionnaires visionnaires à la base de multiples organisations politiques et civiles, radicales qui ont marqué et formé toute une génération en Ayiti.  Vous demeurerez les champions des masses ouvrières exploitées et opprimées d’Ayiti, » comme le soulignent les rubriques nécrologiques des journaux Haïti Liberté et World Work (Mundo Obrero) successivement.  Votre engagement politique confirmé, d’une rectitude exemplaire, n’a jamais fléchi, même face aux régimes sanguinaires, marionnettes proaméricaines de « Papa Doc » et de « Baby Doc ».  Vos luttes ont œuvré pour le rapatriement de la souveraineté nationale, le respect du droit à l’autodétermination, pour la justice sociale, la bonne gouvernance, la stabilité politique, l’émancipation des masses marginalisées, la gestion régalienne et la reconstruction nationale, entre autres.  Sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, deuxième version, « une partie de cette lutte comprenait la juste demande de réparations s’élevant à des milliards de dollars pour la super-exploitation et le pillage séculaires de ce pays des Caraïbes aux mains du colonialisme et de l’impérialisme américain et français », comme le précise le Journal Workers World (Mundo Obrero), dans son hommage à Georges Honorat.

Bien des âmes ont renoncé à leur grandeur éternelle pour des intérêts mesquins, farfelus et éphémères.  Le pouvoir, la richesse et la gloire sont souvent un poison qui corrompt le cœur et l’âme.  Cependant, il existe des âmes qui n’ont goûté que les eaux douces et limpides du cœur, de la conviction, de l’honnêteté, de la dignité et de l’intégrité.  Ces âmes ne meurent jamais.  Ton voyage n’est qu’une transcendance vers la perfection de la lumière au milieu des ténèbres que tu as combattues tout au long de ton pèlerinage terrestre.  Maude, fille authentique et digne de la patrie, Ayiti est fière de toi.  Tu as marqué ton époque par des pas indélébiles qui ne vacilleront jamais.  Lumière, tu as toujours été, lumière tu es, lumière tu resteras.  Adieu, camarade !  Retourne à la source jaillissante et intarissable qui t’a envoyée parmi nous sur terre.  Tu as fait ta part du jeu de la vie avec honnêteté, sincérité, humilité, humanité et surtout grandeur d’âme.  Ton éminence restera, une femme de caractère, intègre et de conviction qui n’a pas cédé au marchandage de la médiocratie et de la kleptocratie, qui a caractérisé l’autocratie des apatrides, dans une pseudo-démocratie, étouffant les nationalistes progressistes.  Ton départ inattendu laissera un grand vide en nous, particulièrement au Journal Haïti Progrès qui ne restera pas désemparé.  En gestionnaire visionnaire et avisée, tu as su assurer le relais.  Nous te devons une fière chandelle.  Il fallait être toi, Marie Maude LeBlanc, pour voir partir des compagnons de lutte et rester le dernier des Mohicans, sans craquer.  Ton départ est l’occasion pour nous de rendre hommage à vos engagements de lutte contre les régimes dictatoriaux, autocrates, médiocres et apatrides, dans les heures les plus sombres de notre histoire, dont le dernier en date, l’enfer des « Tèt Kale » que tu as vécu, même en dehors du pays, avec la plus grande consternation.

On ne doit pas te pleurer, ni te faire d’adieux, mais simplement accepter que ta mission ici-bas soit terminée, telle une étoile solitaire qui a filé pour rejoindre la source de la lumière.  Que ta mémoire et ton héritage puissent perdurer à jamais.  Ton étoile a filé pour qu’Ayiti continue à progresser et se libère enfin de ses bourreaux.  À la date de la publication de ces lignes, découlant d’une plume que, sans le savoir, tu as contribué à maintenir ferme et droite, ton nom résonnera désormais comme une ode à cette voix imperceptible de cohérence, de constance et de prise de conscience du réveil national qui nous tient éveillés.  Nos condoléances les plus sincères à ta famille, tes proches amis, tes compagnons de luttes ainsi qu’à tous les fils et filles authentiques de la terre d’Ayiti, qui, de part et d’autre, t’ont accompagnée, d’une manière ou d’une autre, pour une Ayiti juste, inclusive, souveraine et prospère.

29/01/2024 

Jean Camille ETIENNE, 

Arch., Msc., en Politique et Gestion de l’Environnement