Les partis politiques, dans un système à alternance, ont deux objectifs généralement. Ils visent à obtenir le
pouvoir, afin d’appliquer leur programme pour, ultimement, améliorer la situation globale du pays. Les
maîtres-mots dans tout cela, c’est «l’amélioration de la situation globale du pays», car obtenir le pouvoir,
sans l’objectif d’apporter des changements positifs à la situation du pays, est un exercice qui n’a aucun
sens pratique, d’un point de vue strictement politique et non individualiste. Mais pour parvenir à changer
les choses, une fois au pouvoir, il faut un plan, il faut un programme qui explique ce que tel parti politique
veut accomplir, dans quelle échéance, avec quels moyens et aussi quelle est la provenance de ces moyens.
Et c’est avec ces arguments, ce qui constitue la plateforme dudit parti politique, que les citoyennes et les
citoyens peuvent faire le choix d’élire tels candidats à la Présidence, au Sénat, à la Chambre des Députés,
à la Mairie ou comme membres d’un CASEC, d’un ASEC ou comme Délégué de Ville. Tout passe donc
par l’élaboration d’un programme politique, en cohérence avec les orientations fondamentales dudit parti
politique et en adéquation avec les exigences conjoncturelles qui le forceront à établir des priorités de
programme, des choix pour répondre aux urgences du moment, tout en gardant en perspective, les
objectifs d’amélioration des conditions générales du pays et de la vie de la population, à moyen et long
termes.
En Haïti, au cours de cette dernière décennie, tout particulièrement, il y a eu un foisonnement
erratique de partis politiques. Aux élections de novembre 2010, le Conseil Électoral Provisoire avait reçu
les dossiers de 34 candidats à la présidence dont 16 furent retenus pour briguer les suffrages à la
présidentielle. En 2016, le Conseil Électoral Provisoire avait reconnu 166 partis politiques et avait habilité
54 d’entre eux à briguer les suffrages pour la présidence. Je vous fais grâce de la liste interminable de ces
candidats. Ceci, en soi, est une aberration découlant d’une loi votée en 2013 qui réduisit considérablement
les exigences pour obtenir la reconnaissance officielle d’un parti politique. Auparavant, un décret de 1986
établissait, comme conditions minimales pour obtenir le statut de parti politique, la signature de son acte
constitutif, à déposer au Ministère des Affaires Sociales, par 20 personnalités qui répondront devant
l’État, de ses actes et de son fonctionnement, en plus d’une liste de membres adhérents, au nombre d’au
moins 5 000. S’il y a un vrai ménage à faire, au lieu de persister à vouloir réécrire la Constitution, en
dehors des règles prévues pour cela, un premier problème pourrait être résolu, en revenant tout
simplement au décret adopté en 1986, portant sur la formation et la reconnaissance officielle des partis
politiques. Tout cela, tout ce fouillis de partis et de «particules» politiques ne facilite pas une analyse
approfondie des propositions de plateformes électorales, des propositions de programmes et la réalisation
de débats et d’échanges sérieux, en vue d’un choix judicieux de l’électorat. Ne parlons même pas de la
logistique électorale et de la confection des bulletins de vote qui deviennent de vrais papyrus. La plupart
du temps, en guise de programme politique, les partis ne présentent que des slogans, les uns plus
accrocheurs que les autres. Ils vendent du rêve mais rien de concret, rien de chiffré, ce qui leur permet de
pelleter des nuages à leur guise. L’un veut mettre un téléphérique ultramoderne entre Carrefour et Pétion-
Ville. L’autre veut en établir un, entre la ville du Cap-Haïtien et la Citadelle. Un autre veut combiner le
soleil, l’eau, la terre pour mettre de l’argent plein les poches à tout le monde. Et voilà, cela suffit
amplement, avec un peu de zeste, un peu de show-business et beaucoup de bagout, à faire accéder un peu
n’importe qui, à des postes pour lesquels ces quidams n’ont même pas le début d’un commencement de
qualification ni d’aptitude. Évidemment, cela tient pour la plupart de ces candidats. Je dis bien la plupart,
car il y a toujours exception à la règle. Il n’empêche qu’une de nos vedettes du show-business ne soit
devenue sénateur, sans pouvoir lire les chiffres romains. Cela nous donne une petite idée de son niveau
d’éducation. Mettez-le devant une décision d’approbation d’un budget, et c’est la devinette assurée. On
joue à pile ou face: pile, je gagne; face, tu perds. Un peu comme cela. Un autre était, lui, un artiste
quasiment de vaudeville. Ses chansons gaillardes, égrillardes à souhait et misogynes au cube, avaient fait
le bonheur de son fan-club, des gens de toute catégorie mais surtout pas des plus fûtés. Il avait rêvé de
devenir «Roi de carnaval». Son vœu de fantaisie a été plus que comblé dans la réalité. Il a été bombardé
Chef d’État, largement en raison de ses carnavals et de ses déhanchements à succès, car personne ne lui
connaissait un programme politique quelconque, à part le fait qu’il se prenait pour un «NINJA» associé
au FRAPH (Front Révolutionnaire Armé pour le Progrès d’Haïti) de Toto Constant. Et, comme «le bon
peuple» raffole de carnaval et de «koudiay», il s’est imaginé que le succès d’artiste était transposable en
politique et en gestion de pays. Toutefois, «le bon peuple» n’était pas tout seul à être pris en défaut dans
ce délire politique. Certains que l’on étiquèterait facilement d’intellos, auguraient sentencieusement qu’ils
ne pouvaient pas faire pire que ses prédécesseurs, comme Président. À cet égard, j’écoutais, avec
consternation, la confession publique de l’un d’entre eux, récemment sur les ondes. Je parierais
cependant, qu’aucun d’entre eux ne se risquerait à se faire extraire une dent, par le cireur de souliers de
son quartier, sous prétexte que le dernier dentiste, qu’il avait consulté, avait raté son coup. Mais, selon
eux, après tous ces gens bardés de diplômes qui n’avaient pas pu faire décoller Haïti, il ne resterait plus
qu’à tenter notre chance avec un parfait hurluberlu, pour voir si ce dernier ne pouvait pas réussir, là où
tous ces bolés se sont cassé la pipe. Et cela a donné ce que nous vivons aujourd’hui: la catastrophe et le
chaos.
Pour éviter la répétition de ce même scénario, puisque les élections ne seront pas
vraisemblablement à l’ordre du jour avant au moins un autre 12 à 24 mois, il conviendrait donc à tous les
partis politiques sérieux et structurés de commencer à préparer leur programme politique et à faire la
prospection et le vetting de leurs candidats potentiels, à tous les niveaux: pour les ASEC, CASEC, pour
les Mairies, pour les Délégués de Ville, pour la Chambre des Députés, au Sénat et à la Présidence. Sans
quoi, à court de temps, ils vont encore galvauder le processus et tenter un autre bachotage électoral. Pire
encore, ils vont s’embarrasser avec un ramassis de candidats hâbleurs, bon marché, sans substance, sans
enracinement social et sans conviction politique, incapables de s’astreindre au respect de la ligne
politique et de la discipline de parti, toujours prêts à comploter et à magouiller des prétendus accords qui
ne profitent qu’à eux-mêmes. Ensuite, ou concurremment, un programme politique simple devrait être
élaboré, de manière à toucher tous les secteurs essentiels du pays: l’économie, la santé, la sécurité
publique, la sécurité nationale, les infrastructures routières, l’agriculture, la justice, la stabilité politique.
Sa structuration devrait établir les choix privilégiés, les moyens disponibles pour leur mise en application
et leur provenance, l’échéance pour l’atteinte des résultats probants. Ce n’est qu’en comparant ces
différents programmes mais aussi en tenant compte de la crédibilité publique, de l’expérience avérée et de
la compétence des leaders de ces différents partis, en plus du personnel politique que constitue l’ensemble
des candidats sous la bannière de leur parti, que l’électorat pourra faire un choix éclairé quant à celle ou à
celui, de même à quel parti politique il confiera le destin du pays. Et, en disant cela, en singularisant nos
semi-alphabètes qui se prennent pour des lumières, je ne veux pas nécessairement privilégier le choix de
certains doctes personnages, incapables de composer avec la population, de comprendre ses aspirations
légitimes et de tout faire pour y répondre, autant que possible. Nous voyons bien ce que cela nous vaut
actuellement. Il y en a de celles-là et de ceux-là qui poursuivent, avec entêtement, leurs lubies, envers et
contre tous, enfermées (és) avec arrogance dans la tour d’ivoire que leur confèrent des titres universitaires
glanés avec mérite, au long de leur parcours. L’on comprendra qu’elles (ils) ne peuvent pas être membres
d’un parti. Elles ou ils sont le parti. Tous les membres de leur organisation respective ne sont et ne
peuvent être que des disciples dociles de leurs Évangiles. C’est d’ailleurs pour cela, tout particulièrement,
que nous nous trouvons devant autant de particules politiques qui proposent, à peu de variantes près, les
mêmes programmes, quand ils se sont donné la peine d’en préparer un.
Et puis, de grâce, arrêtons de quémander des fonds pour faire nos élections. Cela est une vraie
honte. Le Président Jocelerme Privert et le Premier Ministre Enex Jean-Charles nous ont déjà prouvé que
nous pouvons trouver des fonds souverains pour cet exercice qui se doit d’être souverain et jalousement
tenu à l’abri de toute influence externe, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle puisse provenir. Les élections en
Haïti, Privert et Jean-Charles nous l’avaient démontré, peuvent se réaliser avec un budget raisonnable, de
l’ordre de 60 millions de dollars environ, soit à peu près 10 milliards de gourdes. Et puisque l’exercice
risque de repartir de zéro, on peut même arrondir ces chiffres à environ 15 milliards de gourdes, à dégager
des budgets pour 2022-2023 et 2023-2024, soit environ 7,5 milliards de gourdes par exercice, pour
constituer un fonds souverain, dédié aux élections. Moi, je pense que la classe économique, tout
spécialement, peut ou devrait être mise à contribution, avec une taxe spéciale, dédiée au financement
souverain des prochaines élections. D’ailleurs, la loi électorale actuellement en vigueur prévoit déjà une
contribution des partis politiques enregistrés pour briguer les suffrages. L’article 91 de cette loi stipule ce
qui suit.
«Tout candidat à une fonction élective doit verser à la Direction Générale des Impôts (DGI), pour
le compte du Conseil Électoral Permanent, des frais d’inscription non remboursables en rapport avec la
fonction élective choisie. Les frais d’inscription aux différentes fonctions électives sont établis ainsi:
a) Le candidat à la Présidence : 500.000,00 Gdes ; b) Le candidat au Sénat : 100.000,00
Gdes; c) Le candidat à la Chambre des Députés : 50.000,00 Gdes ; d) Chaque cartel de candidats au
Conseil Municipal : 15.000,00 Gdes; e) Chaque cartel de candidats au CASEC : 3.000,00 Gdes ; f) Le
candidat à l’ASEC : 200,00 Gdes.
Cette disposition permettrait au CEP de battre monnaie et de récolter environ 5 milliards de
gourdes, tenant compte du nombre de partis enregistrés en Haïti, en croissance exponentielle quasiment,
sans savoir s’ils vont tous effectivement concourir aux élections et à tous les postes électifs. À titre de
ticket modérateur et compte tenu de la dévaluation significative de notre monnaie, il y aurait lieu
d’augmenter conséquemment les frais d’inscription, au moins de 100 %, pour refléter et transférer
l’importance du montant auquel le législateur faisait référence à l’époque, car au 10 décembre 2013, la
gourde se transigeait à 38,92 gourdes pour 1 dollar américain, alors qu’elle s’échange aujourd’hui autour
de 160 gourdes pour 1 dollar, soit une dévaluation d’environ 400%, 10 ans plus tard. À mon point de vue,
c’est à ce genre de modification technique et fort pratique, entre autres, que devrait se livrer le HCT, s’il
veut faire œuvre utile et agir avec diligence, en vue de reconduire le pays vers des élections, et non à
entreprendre la réécriture de la Constitution, sans égard aux règles prévues pour ce faire.
J’ai bien souligné une des améliorations sur laquelle devrait se pencher le HCT, en priorité.
D’autres me viennent à l’idée et s’imposent à notre réflexion, notamment la question de sécurité. Vouloir
impliquer les Forces Armées d’Haïti dans le contrôle des fiefs de gangs armés et le démantèlement des
gangs, nécessiterait, à mon point de vue, des balises légales qui justifieraient et encadreraient leurs
interventions pour une durée limitée. Pour une fois, je me réjouis que le HCT, du moins, sa Présidente,
soit rendu à envisager cette perspective et à encourager le gouvernement actuel à prendre des dispositions
en ce sens, en l’invitant à décréter l’État d’urgence. Car, étant donné les limites évidentes de ces FAD’H,
les bandits voudront, dans un premier temps, tester leurs capacités effectives par des affrontements
directs, et il en découlera des pertes significatives. Et dans ce cas, quelles seraient alors les règles
d’engagement? Les militaires en lutte contre les bandits seraient-ils assujettis à la Cour Martiale ou aux
tribunaux civils, comme c’est le cas en temps normal? Tout cela devrait être prévu car étant tout à fait
prévisible, et la gestion des impacts et des suites de leurs «interventions musclées» devrait l’être aussi.
Voilà ce à quoi devrait réfléchir le HCT, au lieu de s’entêter à vouloir réécrire la Loi-Mère, en vase clos et
dans la précipitation.
Par ailleurs, nous devrions nous inspirer de la cabale en cours, à juste titre, il faut le mentionner,
aux États-Unis, en France et au Canada, pour ne citer que ces pays, contre l’ingérence et l’interférence
étrangères dans leur processus électoral et leurs affaires internes. Car «ce qui est bon pour le jars est tout
aussi bon pour l’oie», ne dit-on pas, à condition, bien sûr, de ne pas leur demander de financer l’exercice
électoral envisagé, car, tout le monde comprendra que: «qui finance, commande». Et c’est sans vergogne
et sans retenue aucune qu’ils ne s’en priveront pas, comme ils l’ont tant de fois déjà fait, à nos dépens et
avec l’aide de bon nombre d’entre nous, convaincus ou non de le faire pour le bien de la patrie. Je n’ai
rien contre l’envoi balisé d’observateurs à un exercice que nous ne maîtrisons pas et qui nous cause tant
de tracas pour la suite des choses. Toutefois, ces «observateurs» ne devraient pas devenir les arbitres
ultimes de nos différends électoraux, tout comme ils ne le sont pas ailleurs, quand ils participent à ce
genre d’exercice. Nous ne devrions pas leur permettre de jouer un tel rôle déterminant et de nous dicter,
voire nous imposer, leur choix de nos dirigeants, car ce faisant nous leur déléguons également notre
souverain droit de choisir notre propre gouvernance, nos propres gouvernants et le devenir de notre pays.
Je suis bien conscient que, pour le moment, cette discussion reste un exercice purement
académique. Il y a tant d’urgence, tant de feux à éteindre dans l’immédiat, que nous serions portés à
penser qu’il est vain de nous projeter déjà dans l’après-crise. Toutefois, à mon point de vue, nous
complaire dans cette actualité délétère, sans prendre les devants et planifier notre après-crise, serait une
grave erreur. Car rien ne dure éternellement. Tout change avec le temps. Et je ne pense pas qu’il soit tout
à fait futile de commencer, maintenant, à planifier et à nous préparer pour les changements éventuels à
venir. Car, ne nous méprenons pas, ils vont survenir. Et, si nous ne sommes pas préparés à les adapter à
nos besoins et à les gérer nous-mêmes, d’autres se chargeront de le faire à notre place et à leur
convenance, comme ce fut le cas, à plusieurs occasions, en 1934, entre autres.
Pierre-Michel Augustin
Le 5 avril 2023