Le mot enfer est cité très souvent, par ces temps difficiles en Haïti. Pour avoir une idée de ce que
peut être l’enfer, quelqu’un m’a suggéré de regarder la sculpture de Rodin, «La porte de l’enfer».
J’ai pu voir quelques évidences, Ugolin et ses enfants, le Penseur et surtout la maîtrise de ce
grand artiste dans la miniaturisation. L’esthétique n’a pas de limite, elle peut être partout.
Cependant, le visuel a des limites. L’observateur voit ce que ses connaissances lui permettent de
comprendre. Cette sculpture est inspirée de «La Divine Comédie» de Dante. Ce classique est en
accès libre sur internet, j’en ai fait une brève lecture et je suis accroché par ces vers:
«…quelle raison les fait se lamenter si fort et geindre ainsi sans cesse?
…Ceux-ci ne peuvent plus attendre une autre mort,
et leur vile existence est à ce point abjecte,
qu’ils auraient mieux aimé n’importe quel destin.»
Une existence abjecte, c’est peu dire des conditions actuelles de nombre d’entre nous.
Les Grecs avaient situé l’enfer à l’Ouest, donc sur cette planète. Les rois du monde ont conçu des
modèles réduits. Parmi les plus connus, il y a eu la Bastille, l’Île du Diable et les goulags,
ailleurs. Le président Sténio Vincent mit ses opposants dans des asiles d’aliénés, puis il y a eu
Fort-Dimanche. À coups d’essais-erreurs, il semble qu’on a fait un passage à l’échelle pour
transformer ce pays en enfer.
Il y a l’enfer de Hadès qui est un espace euclidien où tout est à sa place. L’enfer haïtien
est à géométrie variable. J’espèce que vous ne pensez pas que je vais vous raconter cette vieille
histoire scatologique que tous les buveurs ont ressassée.
Hadès règne sur des âmes sans force et sans sentiment, c’est peut-être à ce niveau que la
comparaison avec le royaume des petits dieux sals qui règnent sur Haïti pourrait s’arrêter. À
force de s’évertuer contre l’absurde, il parait que le peuple haïtien soit épuisé. Les trahisons des
leaders leur ont enlevé tous sentiments de vivre-ensemble et de révolte.
Le royaume d’Hadès a une cartographie bien structurée. Il y a les Champs-Élysées ou
l’Île des Bienheureux, il y a le Tartare, endroit le plus profond et le plus sombre de l’enfer, les
Champs du Châtiment, le Palais des Songes, etc.
En Haïti, il y avait les quartiers huppés, il y a toujours les ghettos, les prisons, les écoles
où l’on peut encore rêver mais, d’un instant à l’autre, tout peut changer de place. Dans les
prisons, on voit un prisonnier nippé avec des fringues de designer, fumé des pétards et boire de
l’alcool. On peut voir tout autre scénario surréaliste. Même les rois de l’enfer haïtien ne sont pas
protégés. Le président Jovenel Moïse en fit l’expérience, Ariel Henri a connu plusieurs paniques.
Hadès assume qu’il règne sur l’enfer. Les aristochats d’Haïti vivent dans un déni et ne
réalisent pas qu’ils font vivre l’enfer à leurs congénères. Dans leur reniement, ils semblent
oublier qu’ils n’ont pas le monopole du feu, Prométhée en avait fait un don à quelques-uns
d’entre nous.
Guy Craan MD MSc
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