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Des bruits de bottes, encore une fois, sont à nos portes

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J’ai l’impression qu’on nous prépare, progressivement, à une autre transition dans la transition. J’ai l’impression que nous assistons à la mise en place d’une sortie ordonnée, je voulais dire commandée, du Premier Ministre Ariel Henry et à un renversement de tendance vers l’option proposée par les tenants de l’Accord dit de Montana. J’en veux pour preuve, le retour apparent, en rapport avec le dossier d’Haïti, du flamboyant émissaire Daniel Foote. Celui-ci, l’on s’en souvient, avait claqué la porte avec fracas et avait dénoncé la politique cynique de l’administration du Président Biden à l’égard d’Haïti. Le retour, même dans les coulisses, du diplomate Foote signifierait donc une reconsidération de la politique américaine à l’égard du pays et peut-être l’adoption de sa préférence pour les propositions de résolution de la crise haïtienne, mises de l’avant par les très nombreux signataires de cet Accord dit de Montana. J’espère bien qu’il ne s’agit que de cela…

Il faut dire aussi que les résultats obtenus par le Premier Ministre Ariel Henry ne plaident pas en faveur du maintien de son option. La situation s’est empirée entre temps, depuis la signature et l’imposition de son Accord pour une gouvernance apaisée et efficace. Le kidnapping des 17 étrangers par les 400 Mawozo n’est pas encore réglée. La crise de carburant s’y est ajoutée. Et ce n’est pas faute de stock ou par pénurie de carburant. Aux terminaux de Thor et de Varreux, le carburant est bien disponible, sauf que les camions-citernes n’y avaient pas accès, en raison des risques à encourir pour le transborder, que font peser le gang G-9 en famille et alliés de Jimmy Chérizier, alias Barbecue et ceux de Ti Lapli et consorts qui verrouillent les voies d’accès à Varreux ou de transit à Martissant. Alors, les chauffeurs de camions-citernes qui ne sont ni des échappés de l’Hôpital Défilée de Beudet, ni plus braves que nos militaires de la nouvelle mouture des FAd’H, version Jovenel Moïse, ne s’y hasardent tout simplement pas. Atansyon pa kapon, se disent-ils. Ils ont beau vouloir gagner leur vie, honorablement, cela ne leur servirait à rien de la perdre à Varreux ou à Martissant sous la mitraille des bandits, dans la suprême indifférence de nos autorités de facto. Et, qui dit pénurie d’essence dit en même temps: arrêt du trafic routier pour le transport des biens et des marchandises; panne prolongée d’électricité; suspension des services hospitaliers; arrêts de la production dans les manufactures; bref: c’est la paralysie progressive et généralisée des activités vitales et essentielles du pays, tout particulièrement dans le principal centre névralgique, Port-au-Prince.

Alors, pour une rare fois, les autorités réelles du pays s’en sont alarmées, assez pour sortir de leur mutisme et exprimer à haute voix leurs préoccupations face à cette situation. Je ne parle pas de nos autorités officielles et nominales, quoique de facto. Je parle de celles dont les voix portent effets et donnent des résultats illico. Tout d’un coup, l’Ambassade du Canada qui ne s’est même pas exprimée, du moins pas à ma connaissance, sur le kidnapping d’un de ses ressortissants par le gang de 400 Mawozo, en compagnie des 16 autres infortunés Américains, vient de prendre toute la mesure du danger qui plane sur Haïti et déclare réduire son personnel au strict nécessaire. L’Ambassade des États-Unis, en plus de publier son avis d’éviter de se rendre en Haïti, sauf en cas d’absolue nécessité, vient également de signaler sa profonde préoccupation par rapport à la dégradation générale de la situation. Elle, aussi, réduit son personnel au strict nécessaire. Et les autres membres de ce curieux syndicat de diplomates, dénommé CORE Group, une sorte de G-9 en famille et alliés d’un autre genre, de reprendre en chorus et en solo, cette même préoccupation exacerbée. Brusquement, tout le monde semble comprendre que poser un diachylon sur une plaie béante ou une compresse sur une jambe de bois, cela ne peut pas remplacer le remède de cheval qui s’impose pour sauver le malade qui risque de trépasser avec ces demi-mesures. Cela ne prendra pas nécessairement un changement de paradigmes, peut-être que juste l’établissement de garde-fous fermes et de cadres strictement respectés suffira à corriger le tir. Mais encore faut-il y consentir et le faire pour vrai: il faut aider à nettoyer la plaie qui afflige ce pays, avec les moyens que cela suppose.

Pour commencer, à bien y regarder, le bilan du docteur Henry n’est pas très reluisant, à date. À part le renvoi du CEP, de l’ex-ministre de la Justice, du Commissaire de Gouvernement de Port-au-Prince, de l’ex-directeur général de la PNH, de Guichard Doré et de Rénald Lubérice, l’avènement de son nouveau gouvernement provisoire, prévu à l’Accord pour une gouvernance apaisée et efficace, ne semble pas être pour demain la veille, et la gouvernance du pays, depuis la signature de ce fameux Accord, n’est ni apaisée ni efficace. En attestent les derniers développements, les derniers blocages mais aussi quelques pléthoriques représentations de l‘État dans des évènements à l’étranger. Dans ce dernier cas de figure, par exemple, pour représenter Haïti à la conférence internationale sur les changements climatiques au COP26, à Glasgow, une délégation de pas moins de 19 personnes a fait le déplacement, selon ce que rapportent la presse. Le ministre de l’Environnement, M. Cadet, porte-parole du Gouvernement à cette Conférence mais qui était également accompagné du ministre de la Santé Publique, de partenaires de la Société civile et d’autres acteurs, avait cru bon de signaler que ce n’était pas le gouvernement qui payait la facture pour le voyage mais que «la délégation officielle de la République d’Haïti bénéficie essentiellement du support financier et logistique de ses principaux partenaires des Nations Unies ainsi que du Fonds climatique pour les pays en développement mis en place par la CCNUCC». Vous comprendrez bien que, selon le principe qui veut que celui qui finance décide, la voix d’Haïti pourrait n’être que celle d’un ventriloque qui ne fait que mimer une déclaration hachée menue et confectionnée ailleurs pour elle. Dans la situation actuelle que vit le pays, juste le discours du ministre, dûment préparé par son équipe en Haïti, aurait pu suffire. De toute façon, la voix d’Haïti, à ce forum, n’allait avoir aucun impact significatif sur les résultats de cette conférence. Au bout du compte, les grands États pollueurs allaient décider des objectifs non contraignants qu’ils essaieront d’atteindre et du montant de compensation financière qu’ils estiment devoir contribuer, éventuellement. Et, tout comme c’est déjà le cas pour la contribution de 0,07% de leur PIB à contribuer au fonds de coopération pour le développement et la solidarité internationale mais qu’ils n’ont jamais atteint, à part quelques rares pays contributeurs et pas les plus riches, il en sera probablement de même pour ces nouveaux vœux pieux. Dans une condition d’austérité rigoureuse, décrétée par le Premier Ministre et entérinée par le Conseil des Ministres, les conditions dans lesquelles le gouvernement a accepté de participer à la COP26 ne semblent pas respecter la gouvernance efficace, évoquée comme principe cardinal dudit Accord sur lequel le gouvernement actuel fonde sa légitimité et qui confère une relative autorité au Premier Ministre de facto, Ariel Henry.

Mais ce n’est pas tout, cette accumulation «d’irritants» et de lacunes au passif du Premier Ministre s’ajoute à son inaction, à son indécision, à son immobilisme absolu, au moment où l’on s’attendrait, à tout le moins, qu’il fasse montre d’un peu de dynamisme, à défaut d’un certain leadership pour paver la voie à une sortie de crise. Mais, bien au contraire, la perception générale est celle d’une paralysie des autorités au pouvoir, d’un manque criant d’ascendant et de maîtrise du Premier Ministre, par rapport aux membres de son cabinet ministériel dont certains se permettent des initiatives contreproductives, au point qu’il faille dépêcher un émissaire pompier pour éteindre les feux que le Chancelier Claude Joseph se permet d’allumer inconsidérément dans les relations particulières et stratégiquement importantes avec notre voisin immédiat. En effet, les déclarations ombrageuses de M. Claude Joseph concernant des mesures prises par le gouvernement dominicain envers les immigrants illégaux d’origine haïtienne ou plus précisément par rapport à la surcharge des dépenses de santé encourues par la République Dominicaine au bénéfice des de nos compatriotes, tout particulièrement des femmes haïtiennes qui vont accoucher dans les hôpitaux dominicains, même si elles ont le mérite de formuler un reproche que nous appuyons largement, cela n’empêche qu’elles tombent à un bien mauvais moment. Ce n’était vraiment pas le moment de jouer au matamore ni de se draper dans une posture officielle dont nous ne nous pouvons pas assumer les conséquences. Le résultat net, c’est que M. Joseph s’est fait, vraisemblablement, tirer les oreilles par le Premier Ministre qui a dû dépêcher un Émissaire spécial auprès du gouvernement dominicain, en l’occurrence, le sociologue et ex-ministre Daniel Supplice, pour désamorcer les tensions inopportunes déclenchées par les propos du ministre des Affaires Étrangères d’Haïti. Cela a sans doute apaisé quelque peu les tensions, mais le mal est fait et, tant le Ministre Joseph que le gouvernement haïtien se retrouvent dans la fâcheuse position de celui qui doit ravaler ses propos ou les minorer assez, en marchant sur son orgueil. La leçon dans tout cela: c’est qu’il est bon de parler mais souvent meilleur de se taire, surtout lorsqu’on n’est pas en mesure de rester droit dans ses bottes pour appuyer ses dires. Malheureusement, c’est ce qui arrive lorsque l’on confie de telles charges à des amateurs parfaitement ignorant des subtilités des fonctions pour lesquelles ils n’ont aucune formation ni préparation mais qu’ils acceptent quand même.

Lorsque j’additionne l’ensemble de ces «irritants», de ces lacunes et de la dégradation rapide de la situation générale du pays, aux déclarations d’impatience de nos tuteurs fédérés en CORE Group, j’arrive à la conclusion que quelque chose se prépare en douce. Lorsque les ressortissants dominicains qui coulaient des jours paisibles et profitables, à leur tour, acceptent de regagner leur territoire, à la cloche de bois, et que leur gouvernement masse à notre frontière plusieurs milliers de ses soldats, j’imagine que ce n’est certes pas à cause de l’hiver qui s’en vient ou du temps des Fêtes de fin d’année qui arrive bientôt. Tout cela n’augure rien de bon pour nous. Au mieux, Ariel Henry et son cabinet ministériel se feront seriner le chant du cygne, très prochainement, et seront remplacés par une équipe nouvelle, issue de l’Accord Montana, avec peut-être cette fois, un appui réel, logistique, technique et opérationnel de nos tuteurs, en vue d’un redressement rapide de la situation en Haïti, afin de ne pas mettre en péril une certaine stabilité régionale, menacée par nos perturbations internes. Mais au pire, je rechigne à l’idée qu’on puisse penser à une énième occupation étrangère formelle de notre territoire, car, jusqu’à présent, cela ne nous a jamais aidés à nous en sortir. Bien au contraire, cela n’a contribué qu’à nous enfoncer davantage dans un sous-développement chronique, dans des crises et dans des convulsions sociopolitiques dont nous payons encore aujourd’hui les conséquences néfastes.

Pierre-Michel Augustin

le 17 novembre 2021

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