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Les méandres de notre actualité nationale, au 5 octobre 2021

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Cette fois-ci semble la bonne. La majorité des acteurs de la scène politique haïtienne semblent accorder leurs violons pour convenir, enfin, que des élections dans l’immédiat, dans cette ambiance d’insécurité galopante, n’est pas une perspective raisonnablement envisageable. L’actuel pouvoir en place l’avait finalement déclaré, se joignant ainsi au chorus des membres de l’opposition qui le claironnaient bien avant lui. La Communauté internationale, les États-Unis, en tête du peloton, répétait comme un perroquet, qu’il fallait aller aux élections au plus vite. C’était le remède ultime, la panacée pour guérir tous nos maux et nous ouvrir la voie vers l’apaisement social, le développement économique et la stabilité politique. La semaine dernière, tout ce monde a, semble-t-il, vu la lumière. Désormais, ils entonnent tous le même refrain, à l’unisson ou presque: «les élections auront lieu aussitôt qu’il sera possible de le faire, vraisemblablement au cours de la 2e moitié de 2022», nous dit Mme La Lime. «La transition politique durera autant que cela est nécessaire», surenchérit l’Ambassadeur Brian Nichols. Et l’élite politique haïtienne d’applaudir, presqu’à l’unisson. Je dis presque car il y a bien quelques dissidents: la bande à Jovenel, réunie sous l’appellation de Rassemblement des Jovenéliens pour la Démocratie (RJD), n’est pas de cet avis. D’ailleurs, le RJD conteste la légalité même du renvoi de son CEP qui s’employait à expédier cette formalité électorale au plus tôt, d’ici à la fin du mois prochain. Il voyait déjà leur nouvelle Diva, la miraculée, Martine Moïse, gagnante des suffrages dès le premier tour et de retour au Palais National, dès le 7 février 2022.

On est en droit de se demander ce qui a bien pu faire aligner tout ce monde, tout d’un coup, sur cette même longueur d’onde politique. Pourquoi ce soudain revirement? Serait-ce enfin un réveil tardif à la réalité, suscité par l’embarras croissant que cause la présence de tant de réfugiés haïtiens à la frontière du Texas avec le Mexique? Ils seraient plus de 15 000 à s’entasser sous le pont Del Rio. Et on a beau écoper cette déferlante et la refouler par avion, à coup de plus de 350 expulsions par jour, il n’en demeure pas moins que la pression de cette masse de réfugiés se fait sentir chaque jour, un peu plus, malgré la détermination du gouvernement Biden à durcir le traitement qui leur est accordé, afin de les dissuader même d’envisager, de considérer son pays comme une destination possible pour améliorer leur sort. Biden a beau essayer de donner le change, en tempêtant contre ses «vaqueros»’ à cheval, chassant et capturant des migrants haïtiens illégaux ou en faisant quelques Mea Culpa tardifs, n’empêche que l’opprobre finit toujours par laisser une tâche qui souille la parure. Les criminels savent bien se reconnaître entre eux, comme des coreligionnaires qui n’ont pas besoin de mots de passe ni de codes secrets pour s’affranchir. Ils se «sentent» entre eux et se distinguent entre personnes sans âme…

Qu’est-ce qui a bien pu faire changer d’idée à Mme La Lime, pour reconnaître, cette fois-ci, que l’insécurité galopante est peut-être devenue un handicap majeur pour la tenue des élections crédibles et inclusives, elle qui, pourtant, avait salué la fédération des gangs de la capitale par la CNDDR, avec la constitution du G9 en Famille et Alliés du nommé Barbecue, sous le gouvernement de Jovenel Moïse, comme un fait d’armes digne de mention dans la lutte pour réduire la criminalité. Elle avait applaudi, lors de la présentation de son rapport au Conseil de Sécurité de l’ONU, en octobre 2020, cette lumineuse initiative qui se révèle aujourd’hui une menace très importante pour la capitale du pays, au point où l’ambassadeur Brian Nichols, en sortant de ses rencontres marathon avec des membres de notre élite politique, et après des discussions fructueuses avec le Haut État-Major de la PNH, a été convaincu de l’opportunité de déléguer prochainement, une «équipe technique» pour aider notre pauvre PNH à accomplir, avec un peu plus de succès, sa mission de protéger et de servir, à commencer par la protection de ses propres membres dont un autre, faisant partie de l’UDMO, a péri la semaine dernière encore, aux mains des bandits, à Martissant.

Pour augmenter un peu le coefficient de difficulté pour la réussite des projets du gouvernement du Premier Ministre Ariel Henry, M. Nichols ne demande rien d’autre que l’unanimité entre les différentes factions signataires de trois accords pour une sortie heureuse de nos multiples crises. Les signataires de l’Accord de Montana, de l’Accord du 11 septembre et de l’Accord du PEN devraient se mettre ensemble pour fusionner leurs propositions et parler d’une seule voix. Telle est la recommandation du duo américain à nos élites politiques. Il n’en fallait pas plus pour qu’un nouveau Comité pour la fusion de ces accords ne soit mis sur pied. Les rumeurs veulent que le Président du Sénat, signataire du Protocole d’Entente Nationale (PEN), en soit membre, tout comme Evans Paul, de Konfederasyon Inite Demokratik (KID) et Edmonde Supplice Beauzile de la Fusion des Sociaux-Démocrates, pour les autres Accords, afin d’œuvrer à cette quête d’une idéale fusion des trois Accords. Mais ce Comité, aussitôt formé, les roues de cette carrosse fragile commenceraient à partir, chacune de son côté. Mme Beauzile, en premier, dit ne pas faire partie de ce dit Comité de cinq membres. Les jours qui viennent nous diront plus sur les chances de ce Comité, d’atteindre son objectif si louable mais si peu pratique. L’unité absolue est extrêmement difficile à réaliser sur des sujets forts simples. Alors, sur des enjeux politiques clivants où chacun des partis poursuit son propre objectif, envers et contre tout, il y a lieu de se demander si cette condition n’est pas ajoutée à escient, dans le but non avoué d’aboutir à un échec assuré.

Pendant ce temps, le Premier Ministre Ariel Henry est le seul timonier aux commandes de la barque nationale. Il aura tout le loisir de gouverner à sa guise, pendant que d’aucuns tenteront de fusionner les 3 accords pour n’en faire qu’un. À ma connaissance, la différence la plus marquante entre les trois est que l’Accord de Montana prévoit un Premier Ministre sans aucune obédience à un Président Provisoire (Exécutif monocéphale), alors que le Protocole d’Entente Nationale (PEN) prévoit le choix d’un Président Provisoire Exécutif bicéphale), et le Sénateur Lambert, en tant que Président du tiers restant du Sénat, s’est fait plébisciter par ses collègues comme Président provisoire, arguant être un des derniers élus démocratiquement, susceptible de bénéficier d’une certaine aura de légitimité. Pour moi, tout le reste pourrait se retrouver dans un accord fusionné, sans trop de difficulté. Et ce serait là-dessus que nos politiciens joueraient à souque à la corde, pendant que le pays est livré aux bandits. Ce serait sur ces détails que négocieraient avec âpreté, nos élites, pendant que les réfugiés du Grand Sud sont encore laissés à eux-mêmes et à la merci de l’aide internationale, pendant que des enfants ne peuvent pas se rendre à leur école en ruines ou dont les professeurs ne sont pas payés, faute de fonds pour couvrir des chèques du gouvernement ou faute de liquidités dans les banques de leurs régions.

Dans l’intervalle, l’ex-Première Dame, Martine Moïse, était rentrée au pays pour venir répondre à l’invitation du juge instructeur du dossier de l’assassinat de son mari, feu le Président de facto, Jovenel Moïse. En juin dernier, elle avait boudé une invitation d’un autre juge, chargé d’instruire un autre meurtre crapuleux auquel feu son mari l’avait indexée, par inadvertance. Comme la roue tourne, des fois. Hier, elle traitait la justice de son pays avec un dédain souverain, choisissant de partir pour un voyage auquel elle n’avait aucune obligation de participer, sans même un mot d’excuse, au lieu de se courber et de contribuer à faire la lumière sur cette atrocité commise sur un de nos éminents concitoyens. Aujourd’hui, elle est demanderesse devant cette même institution qu’elle avait bafouée. Elle réclame justice pour son mari, aujourd’hui au nombre des victimes de cette insécurité à laquelle ils n’étaient pas sensibilisés au point de mobiliser les ressources de l’État pour garantir la sécurité de leurs compatriotes. Elle est rentrée au pays en avion privé, et, après s’être recueillie pieusement sur la tombe de son mari, elle s’est rendue aux Cayes et à Jérémie, en solidarité avec les sinistrés du tremblement de terre du 14 août dernier qui l’auraient bien accueillie, selon les rapports. Néanmoins, demain commencera la partie importante de son périple en Haïti. Jusqu’à maintenant, du moins, publiquement, elle s’était contentée de points de presse accommodants et de déclarations souvent légères, sans aller au fond des choses, elle qui pourtant est un témoin vivant de l’assassinat de son mari et qui a vécu en direct cette tragédie. À un moment donné, pour l’Histoire et pour la Vérité, il lui faudra partager avec le juge instructeur, Me Garry Orélien, les détails des derniers moments de la vie de Jovenel Moïse. Elle ne pourra plus se défiler en arrière de quelques fantaisies sur les bottes des assaillants. Il lui faudra peut-être nous dire, qui étaient là et pourquoi ils ont choisi d’éliminer Jovenel Moïse et personne d’autres autour de lui, sachant le risque encouru, en laissant des témoins qui pourront les incriminer devant une cour de justice et devant l’opinion publique. Demain sera alors son jour de vérité, si le juge d’instructeur est bien à la hauteur de la mission qui lui est confiée, s’il ne s’agira pas d’une autre scène pour amateur de complot-fiction. Un homme est mort, et toute victime mérite justice, toutes les victimes.

Maintenant que notre judicature se remet en marche, on a vu, en peu de temps, quelques mouvements avec la situation des prisonniers politiques et avec d’autres personnalités sanctionnées et pénalisées indûment par une justice inféodée au pouvoir politique. Pour un, le Juge Mécène Jean-Louis a retrouvé sa liberté de voyager comme bon lui semble. À quand le tour des prisonniers politiques connus et dont le jugement n’a jamais eu lieu? Je veux parler de l’ex-député Arnel Bélizaire et de ses compagnons d’infortune, d’Abelson Gros-Nègre et d’autres militants protestataires, jetés en prison, sans jamais comparaître devant leur juge pour une condamnation et une sentence. Ce sera probablement le prochain succès facile d’Ariel Henry, avant de s’attaquer aux pièces de résistance qui risquent d’être autrement plus difficiles à régler. La formation d’un prochain gouvernement de consensus, la formation d’un nouveau CEP de consensus et le renforcement de la sécurité publique ne seront pas des sinécures. Je vous fais grâce de l’amélioration de la situation générale au pays, réclamée par tout le monde, de l’élite industrielle et commerciale, aux simples citoyens, jusqu’à nos enfants qui ne peuvent plus se rendre à l’école, sans risquer leur vie et d’être kidnappés.

Les méandres de notre actualité restent très difficiles à suivre et je ne vois pas le jour où poindront les premiers signes d’une amélioration significative de la situation. La fusion des trois accords de sortie de crise sera un os que l’on grugera encore longtemps. Les moyens effectifs pour mater le grand banditisme ne semblent pas à la portée de nos forces internes. Au moins, cette fois, nos tuteurs semblent en convenir. Mais les conseils techniques, que l’on voudra bien nous fournir, ne seront probablement pas suffisants. Le gouvernement haïtien, à plusieurs reprises, a lancé des appels à l’aide qui n’ont pas été bien reçus par son destinataire. Le gouvernement de Biden vient de réitérer qu’il nous revient de prendre nos responsabilités. Reste à savoir si nous avons encore les moyens et la détermination pour résoudre le problème, en agissant avec toute la fermeté requise et avec toutes les ressources dont nous disposons encore, quitte à froisser quelques sensibilités en cours de route. De toute façon, on ne pourra jamais satisfaire tout le monde et son père. Il faudra bien un jour prendre les mesures qui s’imposent, sans trop de gants, pour que notre pays retrouve un peu de paix et un peu de progrès.

Pierre-Michel Augustin

le 5 octobre 2021

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