J’ai noté avec gratitude, avec soulagement, l’annonce du sauvetage de 24 personnes, encore en vie dans les décombres, plus d’une semaine après le séisme. Cela s’est passé, d’après les nouvelles, au Pic Macaya. Je ne connais pas cet endroit très reculé, presqu’inaccessible et à haute altitude. Je ne savais pas qu’il y avait des résidents à demeure dans cette zone. Mais que 24 personnes, dont 4 enfants, aient pu être secourues dans ces conditions, cela mérite d’être salué. Cela n’a été possible qu’en raison de la détermination des gens sur place, à tenter de sauver, contre tout rationnel, avec les moyens du bord, les espoirs fragiles de vies mises en péril par le séisme. Cela me dit aussi, que dans nos villes encore plus accessibles, d’autres vies pourraient peut-être attendre une main secourable, une chaîne de solidarité agissante, pour les extirper des décombres qui les ensevelissent tout vivant.
J’imagine le sentiment d’impuissance qui doit les envahir, quand leur attente d’un secours providentiel se prolonge dans le temps, quand les secondes deviennent des minutes, puis des heures et puis des jours qui n’en finissent pas. Et la terre qui continue de tressaillir, cherchant son nouvel équilibre, pour se reposer encore un temps, jusqu’au prochain tressaut. Je m’imagine tout cela, je le joue dans ma tête, un peu comme un cinéma triste, lugubre, un film d’horreur, dans lequel, des lieux qui nous semblaient tellement hospitaliers, enchanteurs même, deviennent, tout d’un coup, des sépulcres de béton et de gravats qui nous emprisonnent tout vivant.
Mais cela se passait au Pic Macaya, à plus de 2 000 mètres d’altitude, plus près du ciel, en zone d’écotourisme, très peu fréquentée et encore moins habitée. Là-bas, dans la plaine, dans la plate ville des Cayes, tout juste au-dessus du niveau de la mer, l’espace grouille de monde: 574 personnes au kilomètre carré, selon le dernier recensement qui remonte à 1995. On se dit que le miracle de Pic Macaya peut encore se reproduire là-bas. Et les secouristes creusent avec un sursaut d’énergie, dans l’espoir tenace de sauver une autre vie qui s’accrocherait encore à notre monde, contre toute espérance, en toute déraison.
C’est que nous ne sommes pas prêts pour de telles catastrophes. On n’y est jamais pleinement préparé, il est vrai, mais certaines sociétés se donnent quand même quelques moyens pour y faire face, une fois la première stupeur estompée. Toute société organisée devrait au moins y consacrer un tant soit peu de préparatif, au cas où surviendrait un coup dur du destin, de la nature. Des vidéos nous montrent des gens, à mains nues, extirpant des blocs de béton enchevêtrés, quand quelques pics seraient encore d’un plus grand secours. Des pics, des pioches, des pelles et des masses seraient d’une aide si précieuse pour abréger le temps d’emprisonnement et pourraient faire une différence entre un nouveau rescapé et un autre cadavre, entre un autre miracle et la perte d’une autre vie. Quant aux marteaux piqueurs et aux crics hydrauliques pour casser ou soulever de gros blocs, n’en parlons même pas. On n’y a pas pensé. L’État n’y a pas pensé. Une autre fois, nous voici pris de court, démunis devant une autre furie de la nature.
Je ne me suis jamais demandé, avant, quelle rubrique financière était dédiée à l’aide d’urgence, en cas de catastrophe naturelle, dans nos budgets d’État. J’ai beau cherché dans une de nos Lois de Finance, publiée dans Le Moniteur, mais je ne trouve rien en ce sens. On y parle régulièrement de dépenses d’infrastructures qui pourtant nous manquent cruellement, de routes de pénétration qui ne sont pourtant pas faites, de ponts pour enjamber nos rivières, pour faciliter et surtout pour sécuriser nos déplacements mais qui ne sont pourtant pas au rendez-vous. Et ceux qu’on était parvenu à construire, comme le pont Estimé jeté sur la Grand’Anse, deviennent, au fil du temps, des périls en suspens, de nouvelles catastrophes en attente de survenir, pour avoir excédé, depuis longtemps, leur durée prévue de vie utile, et ce, en plus du manque criant d’entretien réglementaire.
Du train que vont les secours qui pourtant affluent au pays, on pourrait compter encore plus de morts, en raison de notre incapacité à secourir les rescapés que nous aurons libérés des décombres. Car, pour soigner tous ces blessés, tous ces traumatisés, il nous faut des médicaments, des hôpitaux, des médecins, des infirmières, des analgésiques, des antibiotiques, des bandages, des pansements, certes, mais encore faut-il les acheminer sur les lieux de la catastrophe, là où geignent les fracturés, où gisent les blessés graves qu’on n’ose même pas déplacer, de peur de les perdre à jamais ou de les hypothéquer encore davantage. Il fallait y penser à l’avance, mettre cette réserve sur laquelle on aurait pu compter aujourd’hui, en attendant que le monde vole une autre fois à notre secours. Et je ne parle même pas des détournements et des pillages effectués sur ces convois, en cours de routes par des bandits de grands chemins et des gangs qui infestent nos villes, aujourd’hui. Il a fallu négocier une trêve, paraît-il, avec ceux de Martissant, pour laisser passer quelques convois. Mais c’était sans compter sur les mauvaises graines qui sévissent à Duchiti, à Camp-Perrin, à Rivière Glace et qui se seraient emparés de la précieuse cargaison transportée par le convoi de Food for de Poor pour les infortunés du Grand Sud, du moins, en partie. Et dire que nous avons une «armée» qui aurait pu au moins assurer la sécurité de ce convoi! Et dire que nous sommes supposés d’être «protégés et servis» par une PNH forte de 15 000 membres, nominalement!
J’ai vu les images d’une entrevue que le nouveau Premier Ministre a. i. de facto, le Dr Ariel Henry, avait donnée hier, le lundi 23 août, à une journaliste de Radio Canada. Du grand n’importe quoi ! Non, je ne lui impute nullement notre total manque de préparation. Le pauvre, à peine en poste, il en avait déjà plein les bras avec l’assassinat de l’ex-Président de facto, Jovenel Moïse, qui l’avait choisi pour diriger un nouveau gouvernement. Mais voilà que ce dernier est passé de vie à trépas, sans crier gare. Toutefois, quand on accepte de plein gré, quand on revendique même le droit d’enfourcher cette monture et de prendre les rênes de l’État, c’est qu’on est prêt pour la grande chevauchée, n’est-ce pas? Alors, au diable les jérémiades, les aveux d’impuissance et les sempiternels vœux pieux. Du cran, de la décision et des gestes concrets de prise en charge, que diantre! Voilà ce qu’on attend de vous, Monsieur le Premier Ministre de facto. Par exemple, il faudrait peut-être quelque 2 000 personnes en armes, pour maîtriser Bolosse, le Bicentenaire et Martissant. Alors, demandez donc publiquement au D. G. a. i. de la PNH, le commissaire Léon Charles, d’assumer ses responsabilités en ce sens ou virez-moi ce canard boiteux, pour être remplacé par quelqu’un d’autre, plus en mesure d’effectuer le travail et d’assumer le leadership nécessaire pour ce poste stratégique. Les chirurgiens sont formés généralement pour prendre des décisions rapides et pour avoir de la méthode et du jugement, me dit-on. Alors, montrez-nous ce dont vous êtes capable et faites étalage de ces atouts de votre formation. Agissez, que diantre! Vous dites à plusieurs reprises que ce CEP est un problème, un handicap pour la suite des choses. Il me semble qu’il y a un large consensus sur ce point. Alors, débarrassez-nous, au plus vite, de cette épine au pied. Ce sera un problème de moins à résoudre, de la longue liste qui s’accumule sur votre bureau. Mais, pardon, je m’emballe dans cette digression… Sans doute, l’émotion…
En attendant, je me résigne à fonder mes espoirs sur la charité individuelle des gens de bonne volonté qui agissent en leur âme et conscience, avec leurs maigres moyens personnels, pour aider leurs compatriotes, en toute proximité. Je fonde aussi mes espoirs sur quelques institutions locales qui se sont développées chez nous, au cours des ans, dont certains ont pu faire des maillages institutionnels et organisationnels avec d’autres institutions internationales qui les ont supportées et non cannibalisées. Comme une bouteille à la mer, je leur confie mon don en argent, en espérant pour le mieux, tout en redoutant le pire, la nature humaine étant ce qu’elle est, et la tentation, nourrie par la privation, étant aussi ce qu’elle est. Malgré leurs faiblesses, malgré leurs lacunes, je dois compter sur leur bon cœur, sur leur désir de bien agir, pour compenser et faire la différence.
C’est un acte de foi, je le sais, comme ce le fut pour ces sauveteurs qui ont finalement rescapé ces 24 personnes qui, sans cela, aujourd’hui, allongeraient la liste des décès. Je fais le distinguo entre la foi et la crédulité. L’écart est mince et ténu, mais il existe. Mais la récompense est tellement grande, lorsque l’on se rend compte qu’on a eu raison de croire encore en cette humanité. Un taux de déperdition, un certain pourcentage de notre geste de solidarité avec ceux qui souffrent, ira invariablement vers certains profiteurs de la misère des autres. C’est vieux comme le monde. Inéluctablement, certains viendront corrompre ce geste de partage. Mais il me suffira qu’ils n’en prélèvent pas la part du lion pour ne laisser que des miettes à celles et à ceux qui sont dans le besoin.
De même, je ne vous dirai pas à qui je confie mon don, cette fois-ci, pour venir en aide aux personnes sinistrées, à l’occasion de cette nouvelle catastrophe. Je vous incite seulement à écouter votre cœur et à suivre votre élan de générosité. Ne le mesurez pas à la quantité versée mais à l’aune de ce que vous pouvez. Par-dessus tout, ne pensons pas à l’État, ne pensons pas aux structures qui devraient veiller au bien-être de nos compatriotes. Ils sont défaillants, ils existent à peine. En revanche, la misère et le désarroi de nos compatriotes sinistrés n’en sont que plus criants. Dites-vous seulement que vous aurez contribué à les soulager, en espérant que, cette fois, votre geste de solidarité atteindra son objectif. Que voulez-vous, c’est cela, la foi: un acte pour tenter d’aider un autre humain dans le besoin, sans une garantie de vraiment l’atteindre ni d’obtenir quoi que ce soit en retour.
Pierre-Michel Augustin
le 24 août 2021