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«De l’indigénisme de Carl Brouard»

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On aurait beau jaser, pris bien sûr dans le sens générique du terme, à savoir discourir, au point même d’en faire une passionnante aventure autour de l’authentique nature du mouvement de l’Indigénisme à l’orée du 20e siècle littéraire ayitien, mais on risquerait de ne pas trop savoir de quoi on parle, vu l’ampleur, la complexité et la diversité du sujet. Cependant, si par un heureux hasard, il advenait que nous voulions réellement rendre un hommage mérité à ce moment incontournable de la littérature nationale, non sans éclat à l’échelle antillaise et caribéenne, si bien ancré dans le terroir ayitien, sans mentionner la poétique de cet écrivain atypique que fut Carl Brouard, il vaudrait mieux de ne pas avoir la velléité de s’adonner à une œuvre si vaine. Car, cette notion, dans sa complicité avec celle du noirisme, perdrait toute son évidence et sa cohérence, et serait même vide de sens, si elle ne gravite autour du poteau-mitan, cette figure emblématique et inéluctable que constitue ce poète de la bohème, des cabarets, ce diable des poètes qu’il fut et demeure à jamais, comme c’est si divinement décrit, avec tant d’élégance, dans « Pages retrouvées ».

En effet, ce concept ne peut se circonscrire dans la fiction de la poétique de l’époque, en dehors du génie de cet avant-gardiste du mouvement indigéniste. Personne n’en a incarné mieux l’esprit et la matérialité comme Carl Brouard, non seulement à travers sa poésie, mais aussi dans son choix de vie. Aucun des fondateurs de la Revue indigène, la Trouée et les Griots, en a eu autant de foi comme lui. D’ailleurs, l’un des grands malheurs que ce mouvement littéraire a infligé au pays, c’est bien sûr l’avènement au pouvoir du Dr François Duvalier, l’un des dictateurs les plus féroces que nous ayons connu, de toute notre histoire de peuple.

Le seul et vrai indigéniste, quant à la cohérence de son écrit, sa poétique et sa vie, reste et demeure Carl Brouard. Il est le poète de l’humilité et de la dignité dans sa vie, mais d’une poétique des mieux cousues. Voici donc, pour ceux-là qui en ont le sens de la logique littéraire et d’ile logique, en vécu et en folie, la description la plus exhaustive, tellement elle est imprégnée de l’essence illogique de la personne, de cet instant de « crise d’identité » de la littérature ayitienne que le poète a, volontiers, incarné. Renonçant à ses origines aristocratiques, bourgeoises, mulâtres et pétion-villoise, il a délibérément choisi sa demeure éternelle parmi les siens, avec qui pourtant les origines ethniques et sociales ne devraient guère, ne serait-ce sa véritable nature, en rapprocher le destin. Et nous avons un sujet très riche pour l’écriture d’un roman qui, à sûr coup, ferait succès. En effet, le poète a renoncé à son trône aristocratique pour se mêler à la vie des exclus, des marginalisés, des humiliés, des déshumanisés, en un mot : du gros peuple, au point de gésir éternellement parmi eux, là où, depuis sa mort, une place en son honneur a été érigée.

C’est donc, en l’occurrence, et sans concurrence que je veux, en cet instant de communion poétique, rendre un hommage digne de cette figure unique de la littérature ayitienne et, particulièrement, du mouvement de l’indigénisme en Ayiti, en la personne de Carl Brouard. Et cela ne peut se faire qu’au travers de lui-même, par le biais de l’un de ses plus retentissant poèmes, tiré du « Écrit sur du ruban rose » intitulé : « Vous ! »

Vous,

Les gueux,

Les immondes,

Les puants,

Paysannes qui descendez de nos mornes

Avec un gosse dans le ventre,

Paysans calleux aux pieds sillonnés de vermines,

Putains,

Infirmes qui traînez vos puanteurs lourdes de mouches.

Vous, tous de la plèbe, debout !

Pour le grand coup de balai.

Vous êtes les piliers de l’édifice :

Ôtez-vous,

Et tout s’écroule, châteaux de cartes.

Alors, alors,

Vous comprendrez que vous êtes une grande vague

Qui s’ignore.

Oh ! vague,

Assemblez-vous

Bouillonnez, mugissez,

Et que sous votre linceul d’écumes,

Il ne subsiste plus rien, rien,

Rien que du bien propre,

Du bien lavé,

Du bien blanchi jusqu’aux os.

Quelle sublime plume que celle de l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand des indigénistes ayitiens ! Et il n’a point d’autres noms que Carl Brouard. Que sa plume magique nous serve de refuge et de catalyseur pour le réveil de la conscience nationale, surtout en cette heure si lugubre de notre histoire !

Pourquoi ne pas, en passant, rendre sa petite part d’hommage à Aimé Césaire, titan de l’Indigénisme et de la Négritude, à l’échelle qui en ferait, non pas seulement l’affaire des Ayitiens, des Antillais ou des Africains, mais de tous les Noirs du monde, en guise de conclusion par le biais de l’une de ses plus authentiques et retentissants appels autour de cet autel de la conscience nègre, comme jamais avant assumée, si ce n’est qu’avec l’émergence d’Ayiti, dans le concert des nations, dans le contexte post-colonialiste, post-esclavagiste et pro-raciste. Oui, cette phrase magique et restauratrice qu’il nous arrive le plus souvent d’oublier : «Haïti, ce pays où la négritude, pour la première fois, se mit debout pour dire qu’elle croit en son humanité».

26/02/2021

Jean Camille Étienne, (Kmi-Lingue)

Arch. Msc en Politique et Gestion de l’Environnement

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