Un décret est une décision émanant d’une autorité, notamment une autorité souveraine. Cette décision est surtout l’œuvre du pouvoir exécutif.
Le mot décret trouve ses racines dans le latin : «Decretum» qui signifie décision. C’est un acte souvent pris ou posé, sans aucune contrebalance et par un seul pouvoir.
En toute logique, un décret est un acte autocratique, au sens qu’un seul pouvoir, voire une seule personne peut décider de par lui-même, pour s’imposer et imposer sa loi à toute une société et, souvent, selon son bon plaisir.
Avec ce pouvoir, l’individu a la latitude de décider et de faire ce qu’il veut, ne serait-ce que pour le malheur des autres.
La Grèce antique nous en a déjà donné une leçon dans une histoire dite mythique, liée à Thèbes, l’une des anciennes cités grecques. Cette histoire met en scène deux principaux acteurs : Créon, devenu régent à la mort d’Œdipe, et Antigone, fille d’Œdipe voulant donner une sépulture à son frère Polynice, tué sur le champ de bataille, en même temps qu’Eteocle, un autre frère. Ils se battaient pour la succession de leur père et malheureusement ils sont tous deux morts.
L’on donna de sépulture à Eteocle, alors que Créon refusa qu’on fasse de même pour Polynice qu’il déclara ennemi de T’hèbes.
Face à Créon, Antigone s’opposa en invoquant des prescrits légaux, pour prouver le droit de son frère Polynice à une sépulture. Alors, Créon, pour l’empêcher, à tout prix, adopta un décret interdisant l’exercice de ce droit, un décret auquel Antigone n’obéit pas, une désobéissance qui l’exposa à la fureur du régent. Cela suscita tout un drame avec des suicides en cascades (Hémon, fiancé d’Antigone, Eurydice, la femme de Créon) …vint ensuite la colère populaire et Créon capitula.
Dans une République, il est anormal que l’on dirige par décret présidentiel, sinon que des décisions à caractère provisoire, de très courte portée au point qu’un tribunal peut, en toute circonstance, suspendre ou refuser l’application, une fois saisi.
La République, notamment en démocratie, étant surtout caractérisée par l’équilibre des pouvoirs, aucun pouvoir n’a le droit d’empiéter sur un autre.
Haïti est une République et encore plus une République démocratique, selon le vœu de la Constitution de 1987. Et, en tant que telle, elle a trois pouvoirs distincts : Pouvoir exécutif, Pouvoir législatif et Pouvoir Judiciaire. Cette Constitution définit amplement les attributions et les limites de chaque pouvoir.
Elle accorde au pouvoir législatif deux attributions principales à savoir : contrôler le pouvoir exécutif et faire des lois ou des règles de droit. Et, en ce qui concerne l’attribution législative, l’article 111 précise :
«Le pouvoir législatif fait des lois sur tous les objets d’intérêt public ».
Le pouvoir exécutif peut avoir des projets de loi. Et c’est ce même article 111 qui lui confère cette possibilité. Cependant, ces projets de loi ne deviennent lois que par le vote du Parlement.
Quant au Pouvoir judiciaire, placé sous le contrôle du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), il est chargé de l’application des lois.
Les décrets publiés par le président Moïse sont des actes qui dictent des règles de droits. Or, faire des règles de droit, n’est pas de l’attribution du pouvoir exécutif. C’est l’une des tâches principales et essentiels du pouvoir législatif.
L’article 111 et suivant de la Constitution fait du Parlement la seule instance ayant le pouvoir de faire des lois. Quant au président de la République, il a dix-sept (17) attributions spécifiques, définies par les articles 136, 137, 137-1, 138, 139, 139-1, 140, 141, 142, 142 alinéa 1,143, 144, 145, 146, 147, 151 et 154.
À lire et comprendre ces articles, il n’est mentionné nulle part que le président peut adopter et publier des décrets, sans oublier l’article 150 qui précise ses limites lorsqu’il dit :
«Le président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution».
Si, dans certaines Constitutions, il était prévu que l’exécutif pouvait adopter et publier des décrets lorsque les parlementaires partent en vacances comme cela a été le cas sous Duvalier, la Constitution de 1987 élimine totalement cette possibilité. Autrement dit, elle enlève définitivement cette prérogative au pouvoir exécutif. Ce qui revient à dire que tous ces décrets publiés par le pouvoir exécutif sous l’empire de la Constitution de 1987, tombent de par eux-mêmes.
Le CSPJ, s’il n’est pas complice dans cette dérive constitutionnelle, a le devoir de réagir. Car même par une simple circulaire adressée aux juges et tribunaux de la République de ne pas appliquer ces décrets parce que pris en dehors des prescrits constitutionnels, il peut la freiner.
L’on doit rappeler au président qu’il est en train d’outrepasser ses droits et pouvoirs, ce qui lui confère automatiquement les caractéristiques d’un tyran ou d’un dictateur. Et le CSPJ, en tant que pouvoir, en même temps Co-dépositaire de la souveraineté nationale, c’est le moment plus que jamais pour lui, de jouer pleinement son rôle et manifester sa puissance.
Enfin, la publication de ces décrets, n’est autre chose que la violation flagrante et répétée de la Constitution du 29 mars 1987. Et si ces pratiques et dérives continuent, l’on n’aura qu’à dire adieu à la Démocratie.
Me Inseul Salomon
Avocat, sociologue