Loin de faire un étalage de la situation chaotique d’une nation en faillite sur le plan politique, économique et social, je préfère me pencher sur les innombrables privilèges d’un secteur de la vie nationale. Je ne veux pas parler de l’élite économique, traditionnellement identifiée comme les mulâtres bourgeois. Non, cette fois, parlons un peu des politiciens, des nouveaux riches. Contrairement aux bourgeois qui ont fait fortune à travers des générations, ces «Gran Nèg» et «Gran Fanm» s’enrichissent rapidement en quelques années. Parfois, quelques mois suffisent. Et leurs enrichissements illicites sont possibles grâce aux accès à la Primature, au Parlement et au Palais national qui leur assurent une certaine immunité. En fait, si l’un d’entre eux commettait un délit quelconque, il serait classé de bandit légal, un laissez-passer qui permet d’opérer en toute impunité en Haïti.
Privilèges ou sacrilèges
Pour mieux vous aider à comprendre à quel point l’élite de la politique haïtienne s’offre des cadeaux juteux, sans contrôle, je prends en exemple l’arrêté du 23 septembre 2015, de l’ancien Président M. Michel Joseph Martelly, qui traite des avantages accordés aux anciens dignitaires de l’État Haïtien. Le contenu est surtout centré sur les anciens présidents, ministres et secrétaires d’État. L’article 2 du document stipule : «Tout ancien chef d’État ou de gouvernement dispose:
- a) d’un secrétariat :
Ici, il faut bien noter qu’on ne parle pas d’un ou d’une secrétaire. Un secrétariat, c’est un bureau qui pourrait contenir plusieurs dizaines de secrétaires, assistants administratifs, etc. Pourquoi n’y a-t-il aucune restriction quant au nombre de personnel de ce bureau et au budget qui lui est alloué? Dans ce cas, il dépend de la bonne foi ou des caprices de l’ancien président de définir la taille de son secrétariat.
- b) d’un service de sécurité rapprochée
Certes, il est impératif de contribuer à la sécurité d’un ancien président. Une telle exigence date des années dans nos lois. Le problème se pose surtout quand à l’effectif de ce service de sécurité rapprochée. Faut-il un bataillon ou toute une armée pour protéger un ancien président? Que dit la loi quant aux déplacements d’un ancien président qui voyage à l’étranger, dans le cadre de sa carrière musicale? En absence de lois définissant une quelconque limite du nombre d’agents affectés à un ancien président, on ne peut que spéculer.
- c) de moyens de transport adéquats:
Par moyens adéquats, on peut assumer le transport terrestre, maritime, aérien. Est-ce que c’est le gouvernement en place qui définit ce qui est adéquat ou l’ancien président ? Selon son humeur, un ancien président pourrait exiger une Ferrari pour ses déplacements en ville, une flotte de BMW pour ces voyages en province, ou un yacht luxueux pour ses vacances d’été. Dans une pareille situation, l’État n’aurait qu’à se courber à ses demandes, selon cet article.
Et pour matérialiser les points précédents, l’article 3 renforce les obligations de l’État envers cet ancien président: «Les frais de fonctionnement du secrétariat et du service de sécurité rapprochée ainsi que les dépenses d’entretien des véhicules mis à la disposition de l’ancien chef d’État ou de gouvernement sont à la charge de l’État». Toutes les dépenses du secrétariat privé, de la sécurité rapprochée d’un ancien président qui voyage souvent, de la flotte de véhicules spécialisés proviennent des caisses de l’État. Et pire, aucun montant maximum n’est fixé. Pourquoi ne pas avoir un budget annuel pour ces services qui vont sur une période de 5 ans? Jugez-en vous-même!
Ministres et Secrétaires d’État
La générosité extraordinaire de M. Joseph Martelly aux frais du trésor public favorise aussi ses collaborateurs. L’article 4 contient des provisions pour les anciens ministres et secrétaires d’État, avec une indemnité de 2,5 millions et 2 millions de gourdes respectivement. À la date de la publication de cet arrêté, l’État haïtien aurait à décaisser 50 mille et 40 mille dollars américains à chacun de ces anciens ministres et secrétaires d’État. Pour avoir une idée plus claire, sous la présidence de M. Martelly, on a eu trois premiers ministres : M. Garry Conille, M. Laurent Lamothe et M. Evans Paul. Chaque gouvernement avait plus d’une vingtaine de ministres et plus d’une douzaine de secrétaires d’État.
Du pareil au même
Aujourd’hui, avec le Président Jovenel Moïse, rien n’a changé, à part la correction de l’arrêté présidentiel publié le 19 juillet 2017 dans le journal officiel Le Moniteur, no 113, pour couper les avantages à l’ancien Président, M. Jocelerme Privert, sous prétexte qu’il n’avait pas été élu au suffrage universel. Si l’intention est de permettre au trésor public de grossir un peu, on doit se demander pourquoi il n’a pas coupé les avantages aux anciens ministres et secrétaires d’État qui sont tous passés par nomination ou sélection? Dans le cas du Président Jovenel, on compte déjà 5 premiers ministres : Dr Guy Lafontant, M. Henri Céant, M. Fritz William Michel, M. Jean Michel Lapin et M. Jouthe Joseph, plus d’une cinquantaine de ministres, sans oublier les douzaines de secrétaires d’État. Tous peuvent réclamer: leurs compensations monétaires, sécurité rapprochée pendant 2 ans pour les anciens premiers ministres et trois mois pour les Secrétaire d’État et leur droit à une exonération de taxes à chacun d’eux pour importer un véhicule. Je vous invite à faire les calculs correspondants.
Les miettes au peuple
L’expression populaire «ti rès la pou pèp la» me semble bien tristement cynique et erronée. En effet, le pays s’est transformé en une vieille carcasse qui garantit la bonne vie des politiciens vautours. Ces «Gran nèg» et «Gran Fanm», ces «machann peyi», ces apatrides, font la vente aux enchères avec les maigres ressources du pays. Ils s’accrochent fidèlement à certains bourgeois pseudos-haïtiens, complotent avec nos ennemis voisins dominicains et se soumettent aux directives du syndicat des ambassadeurs étrangers en Haïti, dit CORE GROUP. Ils n’agissent que pour garantir la continuité de leurs avantages politiques et économiques, au détriment des intérêts de la nation. En conséquence, le peuple haïtien, abandonné par ses propres dirigeants, plongé dans une misère nauséabonde, est livré aux bandits, aux kidnappeurs, aux assassins et aux anarchistes de toutes sortes. Alors, je vous pose cette question : qui protégera le trésor public de ces vautours charognards?
Rodelyn Almazor
Journal Haïti Progrès