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Pays « lòk », une nouvelle version

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En février dernier, les organisations de l’opposition plus ou moins coalisée, étaient parvenues à bloquer le pays pendant près de dix jours.  Des rues avaient été barricadées de toute sorte de façons, au moyen de grosses pierres, des tas d’immondices jetées sur la chaussée, des camions stationnés en travers de la voie publique et également avec des tas de pneus enflammés.  Seuls les taxis-moto parvenaient plus ou moins à slalomer à travers ces différents goulots d’étranglement du trafic.   Et encore, c’était à leurs risques et périls car nul n’était vraiment à l’abri d’un « biskuit leta » provenant de nulle part.  Il fallait bien s’arrêter pour parlementer ou ralentir pour contourner ces entraves à la fluidité de la circulation.   Dans tous les cas, se déplacer était rendu un exercice difficile, voire même périlleux parfois.  Le gouvernement avait alors dénoncé l’opposition dite radicale dont les manœuvres étaient en train d’asphyxier l’économie du pays.  Il n’avait pas tout à fait tort car cela va de soi que ce stratagème avait un impact certain sur l’économie du pays.  Les transporteurs aériens avaient annulé certaines liaisons avec l’étranger.  Des touristes, pour la plupart des membres de la diaspora, avaient annulé leur séjour au pays et de nombreux hôteliers nous serinaient alors leur triste ballade des mauvais jours.

De guerre lasse, le combat de l’opposition s’essouffla.  La population ne pouvait plus tenir la rue indéfiniment.  La vie, avec son train-train quotidien, a certaines exigences auxquelles on ne peut qu’obéir, pour continuer à subsister.  Le gouvernement le savait aussi et il a misé sur l’usure et la fatigue de l’opposition, mal préparée pour ce marathon.  Depuis lors, le vent a un peu tourné.  Du côté de l’opposition, on se trouve des poux sur la tête de l’un et de l’autre.  On discute avec emphase sur la place de telle virgule et de l’autre point-virgule qui auraient dû être permutés.  On fait tout et si bien, que la population, désabusée, peu à peu se désintéresse de ces chicanes de clochers et des envolées ampoulées et stériles qui ne s’adressent pas, en fin de compte, à leurs préoccupations lancinantes.  Les gens ont faim.  Ils ont soif.  Ils n’ont pas d’argent.  Ils n’ont pas d’emploi, et ceux qui en ont un, ne sont pas payés depuis plusieurs mois.  Cela, c’est le cœur du problème et il n’est pas à la veille d’être résolu.

À force de recourir à des expédients, à force de pelleter en avant des problèmes structurels auxquels on va devoir s’atteler de toute façon, on a fini par se trouver le dos au mur, acculé à devoir faire des choix difficiles et pénibles.  Nous n’avons pas le droit à l’erreur.  Le gouvernement, devrais-je dire, n’a plus de marge de manœuvre.  Devant cette perspective, je pense que le Président doit avoir le vertige car il ne bouge plus, de peur de tomber dans le précipice du chaos.  Il attend, espérant que le mal va partir, tout seul, sans qu’il lui faille agir, d’une façon ou d’une autre.  Quelques indices d’alarmes sont bien visibles, pourtant.  La rentrée des classes, c’est pour lundi prochain, le 9 septembre.  Des subventions pour les livres et les fournitures scolaires sont prévues et même annoncées.  Le ministre Agénor Cadet affirme que les première et deuxième tranches de paiement sont en train de se faire.  C’était à la mi-août.  Mais tout le monde sait bien que cela prend plus de temps pour produire les bouquins et les fournitures requises.  C’est clair que la livraison de ce stock de produits scolaires ne sera pas au rendez-vous pour la rentrée officielle de lundi prochain.  Pire encore, la semaine dernière, des directeurs de maisons d’imprimerie affirmaient n’avoir reçu aucun versement et donc ne se préparaient pas à produire ces articles scolaires.  Alors, qui dit la vérité?  Je laisse au lecteur le soin de se faire une idée.  Il y a donc un verrou à ce niveau qui bloque les perspectives de rentrée scolaire harmonieuse.  Et je ne parle pas de ces parents aux abois financièrement, qui n’ont pas pu payer les arriérés de frais de scolarité et dont les bulletins scolaires de leurs enfants attendent encore à la direction de ces établissements.

Le pays est bloqué aussi aujourd’hui avec la résurgence du banditisme à grande échelle, sur presque tout le territoire, mais tout particulièrement dans la zone métropolitaine.  La Saline, le Bicentenaire, Martissant sont devenus des zones de non-droit où sévissent des gangsters.  Des camions de marchandises sont détournés en plein jour.  Même des camions citernes de gazoline, paraît-il, sont la proie des bandits.  Des gens sont rançonnés en public.  D’autres sont abattus sans état d’âme.  La dégradation de cette situation est un fait connu par les autorités qui n’agissent pourtant pas pour le contrer efficacement.  C’est comme pour bien des choses: l’État attend.  Il semble être désemparé.  Il ne sait pas par quel bout prendre le problème et le résoudre.  Pourtant, il faudra bien agir à un moment donné pour prendre le contrôle de la situation, sinon, la vie civile, la vie économique s’étioleront hors de réparation éventuelle.

La semaine dernière, on discutait déjà de la rareté du pétrole, partout au pays.  Un rationnement implicite est appliqué par des stations d’essence, afin de tenter d’accommoder le plus de clients possible.  De longues files de véhicules attendent aux abords des stations d’essence et la tension entre les acheteurs potentiels est très élevée.  Le moindre empiétement pourrait entraîner une bagarre.  Et avec le nombre d’armes à feu en circulation incontrôlée, il ne faudrait pas se surprendre que quelqu’un tente de régler le problème à coup de pistolet.  D’ailleurs, un incident de ce genre a dégénéré en mort d’homme dans un restaurant à Pétion-Ville, à cause d’un échange d’incivilités.  Et comme les deux protagonistes étaient détenteurs d’armes, ils s’en sont servis.  La pénurie de pétrole, par la faute de l’administration actuelle, incapable de payer les factures des compagnies distributrices, est un moyen encore plus sûr de bloquer le pays.  Aux Gonaïves, aux Cayes, à Port-au-Prince, des manifestations spontanées contre la rareté du pétrole ont fait recette, alors que des organisations politiques éparpillées, peinaient à mobiliser récemment la population contre les manquements du gouvernement.

Le pays est bloqué aussi au Parlement, tant à la Chambre Basse qu’au Grand Corps.  La semaine dernière, c’était au tour du sénateur Onondieu Louis de défrayer la chronique dans une sordide affaire de détournement de fonds.  Le Questeur du Sénat en mènerait très large, paraît-il, avec l’argent des contribuables, selon un rapport de la Fondasyon Je Klere.  Le sénateur s’en défend bien et offre même de se mettre à la disposition de la justice pour laver son honneur.  Son collègue de l’Ouest, le sénateur Patrice Dumont exige qu’il soit retiré de l’administration du Parlement, jusqu’au dernier mot de la justice.  Quelques semaines auparavant, c’était le sénateur de l’Artibonite, Gracia Delva, qui faisait les manchettes pour ses accointances avec un bandit activement recherché par la Police.  Et maintenant le bras de fer se poursuit à la Chambre des Députés, après la victoire de la majorité présidentielle sur l’opposition minoritaire dans la tentative de cette dernière de mettre en accusation le Président de la République pour crime de haute trahison.  La semaine en cours va être rude au Parlement avec la convocation du nouveau Premier Ministre pour la présentation de son Énoncé de politique générale.  Il semblerait que ce ne sera pas une simple formalité, même si le gouvernement détient encore une majorité à cette Chambre.  En dernière heure, il semblerait que le Premier Ministre ait passé l’étape de la Chambre des députés.  Il lui resterait celle du Sénat qui risque d’être un peu plus éprouvant.

La sarabande ne s’arrête pas là.  Même le Président de la République est accusé de stratagèmes assimilables au blanchiment d’argent dans un rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA).  Mais le Président aussi a revêtu son costume de « Teflon ».  Rien ne lui colle dessus, tout glisse sur lui, comme l’eau de pluie sur les plumes du canard.   Mais jusqu’à quand cela peut-il encore durer ?  Car rien n’est éternel et le pouvoir est généralement de nature provisoire.  Le grand problème est qu’on ne sait jamais à l’avance quand est-ce qu’il va nous filer entre les mains, alors qu’on pensait le tenir fermement.

La bonne nouvelle de la semaine, c’est qu’on l’a échappé belle avec l’ouragan Dorian qui a préféré obliquer un peu plus à l’Est, suffisamment pour éviter notre terre déjà assez martyrisée.  Cela aurait été une catastrophe de trop dont Dame Nature nous a épargnés.  À regarder les dommages causés aux Bahamas, si cela était arrivé en Haïti, nous aurions compté beaucoup de morts et combien d’affliction.  Nous avons déjà notre lot bien garni, juste avec nos turpitudes.

Mais le pays ne pourra pas rester bloqué ainsi, indéfiniment.  Invariablement, les peuples acculés à la misère infrahumaine, trouvent des moyens pour s’en sortir.  On les connaît déjà car personne ne réinvente la roue.  Ils votent avec leurs pieds et amènent leur misère ailleurs, dans l’espoir d’un mieux-être.  Ils ont d’ailleurs déjà commencé à le faire et le mouvement va en s’amplifiant.  Depuis le début de l’année, les garde-côtes des pays voisins nous ramènent régulièrement des cargaisons pleines de nos compatriotes interceptés en haute mer ou échoués sur une des plages de Turk and Caicos ou de Bahamas.  La République Dominicaine, s’il faut en croire le GARR, a intercepté et refoulé vers Haïti des milliers de nos compatriotes.  Juste pour cette année, toujours selon le GARR, la CESFRONT aurait reconduit à nos postes frontaliers plus de 52 510 migrants haïtiens en situation irrégulière parmi lesquels 109 mineurs non accompagnés de leurs parents ou d’une personne responsable ( source : Le Nouvelliste, GARR, bilan semestriel, juillet 2019).

Lorsque les bandits légaux et consorts auront asséché la manne touristique, en raison de leurs exactions et de leur menace constante à la sécurité publique, lorsque les petits commerçants auront cessé d’alimenter nos marchés publics, à cause des périls qu’ils encourent pour le faire et des rançons qu’ils doivent leur payer régulièrement pour avoir un brin de quiétude, alors le blocage du pays sera généralisé.  Alors, il faudra craindre la venue du chaos absolu, du règne brutal de la loi du plus fort, indiscriminément.  La déferlante finira un jour par ne plus être contenue par la peur.  Les quelques malfrats surarmés ne pourront pas toujours tenir en respect la foule qui n’a plus rien à perdre.  On a déjà vu ce film mais on oublie vite, bien trop vite pour ce que cela coûte, finalement, en vies gâchées, en misère et autres abominations.

Le pays est bloqué à la tête et dans son âme.  Bon nombre d’entre nous n’aspirent plus qu’à le quitter, au plus vite.  Nos jeunes, la sève vivifiante de ce corps étatique, s’échappe de tous ses pores, pour fuir cette déchéance qui annonce une violence imminente.  Le verrou qui cadenasse l’avenir du pays ne pourra céder que de deux façons :  ou bien on y introduit la clé pour l’ouvrir avec civilité et dans la discussion constructive, ou bien l’on prend les grands moyens pour casser le cadenas, avec les dégâts que cela entraînera, à coup sûr.  Du train que cela va, j’appréhende le pire des scénarios, j’appréhende le fracas, car celui qui en détient la clé, pour le moment, fait la sourde oreille et refuse de se rendre à l’évidence, qu’il fait partie du problème et non de sa résolution.

Pierre-Michel Augustin

le 3 septembre 2019

 

 

 

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