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Les défis à relever par le nouveau Premier Ministre désigné, Jean-Henry Céant

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Le suspense est terminé.  Un nouveau sauveur est désigné.  Il se nomme Jean-Henry Céant. Il est notaire de profession et est bien établi et connu au pays.  Il a fréquenté toutes les strates politiques et sociales du pays. Il peut parler à tout le monde y compris aux émissaires de la communauté internationale.  Il n’a jamais été un fonctionnaire ni un grand commis de l’État, donc, il n’aura pas de problème de décharge à obtenir. Il est parfait, un peu trop même. Il correspond presqu’exactement au profil du Premier Ministre recherché, sauf qu’il n’a jamais expérimenté les commandes de l’État.  C’est un important handicap en la circonstance, étant donné l’état de dégradation de la situation générale du pays. Le Messie attendu devrait aussi bien connaître la bête et pas seulement de l’extérieur ou par personnes interposée. Il lui faudrait une connaissance… disons, intime. C’est le mot.  Ce n’est vraiment pas le temps pour l’approximation, pour un essai-erreur. Au premier dérapage, il n’y aura pas de zone de repli. C’est le plongeon tout droit dans l’inconnu, le chaos.

Monsieur Jean-Henry Céant, pour avoir été du Groupe des Huit, dit G-8, lors de l’intermède électoral en 2015-2016, a frayé un peu avec les ténors de l’opposition.  Donc les Maryse Narcisse, Moïse Jean-Charles, Éric Jean-Baptiste, Jude Célestin e latrye, il les connaît bien, pour les avoir fréquentés de près, même quand il n’était pas toujours sur la même longueur d’onde avec tout ce beau monde.  Il professait alors une saine mais modérée aversion pour ce gouvernement PHTK, prêt à réaliser une élection : « yon grenn soulye, yon sèl kout kle, » en faveur du locataire actuel du Palais national, et cela était jugé par lui, une base suffisante pour une alliance conjoncturelle, même si cela a toujours été un peu …depaman.  On le disait proche d’Aristide, à un certain moment de la durée, même qu’il aurait été un prétendant déçu à l’investiture « lavalassienne » – parmi tant d’autres postulants (es) -, donc ce secteur ne lui serait pas étranger.  Les membres de l’archipel PHTK ne lui sont pas inconnus non plus. Les Martelly, les Mayard-Paul, les Lamothe, enfin, ce secteur du gratin politique, il s’y est frotté également. Bref, il peut donc dialoguer avec tout ce petit monde.  Notre faune politique, après tout, c’est un aquarium qui pourrait tenir dans un bocal. Tout le monde se connaît ou connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un d’autre. Et la boucle est bouclée bien vite.

Sa fortune personnelle est un gage certain de réussite dans sa vie professionnelle.  Lui, au moins, il a été à l’école assez longtemps pour obtenir pas seulement un « plome » comme le raillait l’autre, mais des diplômes d’études supérieures, d’une part et d’autre part, il a pratiqué son métier assez longtemps et avec assez d’adresse pour amasser son pécule et bâtir un patrimoine important.   Il ne s’est pas contenté de fréquenter quelques institutions de haut savoir et de s’en évader, vite fait, avant d’avoir terminé un cursus quelconque, pour se dépêcher d’aller rouler sa bosse dans maintes aventures. Diplômé en droit de l’Université d’État d’Haïti, il est aussi diplômé d’études supérieures de l’Université de Pontifia à Madrid, en Espagne.   Il a également été professeur de droit à l’Université Quisqueya et professeur à l’École nationale d’administration financière (ENAF). Bref, du point de vue de sa formation académique et professionnelle, Me Céant n’est pas un de ces quidams, incapables de comprendre des concepts essentiels à la gestion d’un pays comme Haïti et qui prolifèrent de nos jours dans les cénacles élevés du pays.  En flânant à Bourdon, au Bois-Verna, à Lalue, à Pétion-Ville et même au centre-ville de Port-au-Prince, on serait surpris de voir l’étendue de ses propriétés personnelles ou de propriétés confiées à sa gérance par de braves gens qui s’en remettent à sa bonne gestion et à ses connaissances.  Il pourrait donc, vraisemblablement, livrer la marchandise à laquelle il s’est engagé. Ce ne serait pas un autre simple pelleteur de nuages, un revendeur de poudre de perlimpinpin comme autant qui nous vendent encore et encore leurs breloques à la noix comme des gris-gris supposément destinés à nous guider sur les chemins du paradis.  Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle, notre digne Président a choisi de s’en remettre à lui, hier encore son rival, pour le sortir de ce mauvais pas. Un bon point pour lui cette fois. Contre mauvaise fortune, il a fait bon cœur. Mais je me souviens aussi de cette phrase célèbre de Montaigne : « Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme. »  Nous en avons fait amèrement l’expérience, au point de verser dans l’autre aberration, le mépris de l’intellectuel tous azimuts.

Mais est-ce que ce S.O.S lancé à la dernière minute pourra permettre de corriger la dérive qui nous a amenés aussi près de la cataracte qui gronde?  Regardons, d’en haut, la scène du pays. Tout est à faire, en urgence qui pis est. Après les cinq ans de Martelly, nous avons accumulé encore plus de retard, encore plus de bourdes.  Nous avons même ajouté à la charge, comme si nous pouvions nous en permettre le luxe. Nous avons dilapidé un fonds important de près de quatre milliards de dollars U.S. en prébendes, en dépenses inutiles ou frivoles, tout pour se permettre des commissions, tout pour repayer à prix forts, les faveurs électorales consenties par de vrais prêteurs sur gages de tout acabit et de tous pays.  Nous avons récidivé en repêchant, de la Cour des Miracles, un autre inconnu qui nous a raconté ses boniments. Et nous y avons cru, du moins, c’est ce qu’on nous a dit. Cependant, le résultat est là pour en attester : on nous a bernés et nous sommes dans la mélasse jusqu’au cou. Personne ne peut plus contredire les faits. Ce n’est pas une autre malédiction du ciel, lorsqu’une pluie de dix minutes à peine, transforme notre Hôpital général et une bonne partie de la capitale en un lac d’eau sale.  C’est tout simplement le résultat d’une somme d’incuries carabinées. Et corriger tout cela va prendre du temps, beaucoup de temps. L’environnement physique du pays est fragilisé par des décennies de mauvaise gestion et aucun Messie ne pourra convertir nos mornes chauves en forets verdoyantes, en deux temps et trois mouvements. Ce n’est tout simplement pas possible, l’espace d’un cillement. Cela prend du temps et de la patience. Et je ne suis pas sûr qu’on accordera tout ce temps à Jean-Henry Céant, ni à quiconque d’autre, tant qu’il n’aura pas établi sa crédibilité dans la durée, en consacrant une rupture totale avec notre pratique administrative et politique au cours des cinquante dernières années.

La rupture totale : cela veut dire arrêter de nous conter des mensonges et dire les choses telles qu’elles sont.  Par exemple, les subventions de tous genres accordés par l’ONA, eh bien, cela s’appelle du détournement de fonds, tout simplement, car on aura utilisé des fonds de retraites de petits travailleurs pour acheter du temps et la paix sociale, à bon marché, au lieu de les investir contre rendement dans des secteurs porteurs, pour le développement du pays.  La rupture totale : cela veut dire arrêter d’envoyer un groupe de satrapes de plus en plus nombreux dans nos Parlements qui confondent délibérément leurs rôles et attributions avec ceux et celles d’autres secteurs du pouvoir, afin de s’accaparer de la plus large portion possible du trésor public. La rupture totale : c’est tourner définitivement le dos à ces pratiques d’exclusion que nous professons aveuglément et comme des forcenés, depuis 1804, depuis l’indépendance.  Enfin, la rupture totale : c’est être déterminé à appliquer la loi du pays rigoureusement et à sanctionner tous corrupteurs et tous corrompus, d’où qu’ils ou qu’elles viennent.

À cet égard, je considère avec intérêt la proposition de la ci-devant opposition, telle que présentée par Mme Marjorie Michel.  Elle a le mérite d’être succincte dans sa formulation. Elle vise un objectif : le départ ou la démission du Président car l’échec du gouvernement du Premier Ministre Jack Guy Lafontant doit être imputable au Président lui-même, étant donné la façon personnelle et directe avec laquelle il y était associé.  Toute action de ce gouvernement ne dépendait que de lui, jusqu’à l’achat du gravier pour construire un kilomètre de route. Aussi, le blâme de la catastrophe des 6, 7 et 8 juillet 2018, devrait lui être infligé également, en toute justice. Pire encore, après avoir entendu le cri de rage du peuple qui l’aurait mis au pouvoir, s’il avait seulement écouté et, fort de cette leçon, en toute humilité, s’il avait modifié sa stratégie pour en adopter une meilleure, j’aurais opté pour qu’on termine son mandat dans les échéances constitutionnelles et pour qu’on prenne patience avec lui, dans son processus itératif d’apprentissage de la présidence d’un pays.  Au lieu de cela, le voici revenu de plus belle au temps de la pluie des promesses et de la distribution de machineries, comme s’il n’était question que de cela, au lieu de prendre les mesures d’austérité qui s’imposent au pays et de se les appliquer pour commencer. À quoi servent des millions de gourdes de per diem pour les déplacements du Président de la République sur le territoire du pays ? À quoi servent quatre (4) porte-parole de la Présidence quand un seul suffirait amplement à la tâche, car après tout, la Présidence n’a qu’une fonction de coordination de l’Exécutif, pas de mise en œuvre d’un quelconque programme ? À quoi sert cette floppée d’experts en tous genres qui entourent le Président quand celui-ci peut décider d’agir à sa tête, malgré leurs avis, et se prend lui-même pour un expert en tout ?

Généralement, on dit qu’il faut donner la chance au coureur, lui accorder le crédit de bonne volonté et de seulement s’assurer de sa compétence avant de lui confier le gouvernail de la barque du pays.  Toutefois, celle-ci prend l’eau depuis déjà quelque temps et tangue dangereusement. Pire encore, un vent mauvais s’annonce à l’horizon. À tout prendre, si j’étais à la place du Premier Ministre désigné, j’opterais pour la mise en œuvre du programme proposé par l’opposition, avec comme seule modification, le maintien en poste du Président, pour le moment.  En d’autres termes, dans ma déclaration de programme de gouvernement, j’opterais pour une réduction du nombre de ministères et de secrétaireries d’État. Le pays compte dix-huit (18) ministères, seize (16) secrétaireries d’État, sept (7) organismes déconcentrés, cinq (5) agences et commissions diverses, un Sénat nominalement de 30 membres et une Chambre des députés de 119 membres.  Cela fait beaucoup de monde à la messe en même temps et accroché à la mamelle du Trésor public. J’imagine que l’on pourrait facilement réduire le nombre du personnel affecté à l’Exécutif, sans trop perdre à l’efficacité du système. Même qu’il en ressortirait peut-être un peu plus efficace, moins lourdaud. Par exemple, on n’a que faire d’un ministère de la Défense nationale qui n’apporte rien au pays et qui n’a aucune armée à diriger.  C’est tout simplement de l’argent qu’on n’a pas et qu’on balance allègrement par la fenêtre. L’opposition semble opter également pour couper 30 % du budget de l’Exécutif et qu’elle redistribuerait sur une bonification des conditions salariales du personnel de la fonction publique en général. Cela aussi devrait être facilement adopté par le Premier Ministre. En tout cas, il aurait avantage à le faire car cela lui faciliterait le travail considérablement.  Idem, pour le reste du programme de l’opposition, notamment en appuyant tout processus visant à faire la lumière sur la dilapidation des Fonds PétroCaribe au lieu de le bloquer de toutes les manières possibles et imaginables.

Il reste quand même au Premier Ministre désigné à franchir l’étape de sa ratification au Parlement et ce n’est pas toujours de tout repos.  On a déjà vu des candidatures remarquables échouer lamentablement devant un Parlement pourtant acquis, en principe, à la cause de l’Exécutif.  Qui ne se souvient de l’économiste Pierre Éric Pierre, de Me Bernard Gousse, de l’économiste Fritz Jean, pour ne citer que ceux-là.  Ils en avaient tous l’étoffe, semble-t-il, en plus de l’appui du gouvernement.  Pourtant, ils n’ont pas pu passer cette étape avec succès. Bien d’autres ont également vu leurs rêves d’accéder à ce poste prestigieux se briser devant un Parlement normalement acquis au pouvoir mais soudainement en rébellion pour toutes sortes de raisons, et pas toujours les bonnes.

Savoir reconnaître ses limites, c’est un signe d’intelligence.  Et s’en remettre à mieux doté que soi pour effectuer un boulot, c’est le début de la sagesse.  Peut-être est-il encore temps pour sauver ce qui peut l’être encore, tant pour le pays que pour le reste du mandat présidentiel de Jovenel Moïse ?  Je souhaite bonne chance à Me Jean-Henry Céant et surtout bonne chance à Haïti, car les temps difficiles sont loin d’être derrière nous.

Pierre-Michel Augustin

le 7 août 2018        

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