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À qui incombe la responsabilité de la tragédie de ces derniers jours?

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   La poussière commence à retomber des évènements de la fin de semaine dernière.  On appréhendait le passage de Béryl avec ses grands vents et ses trombes d’eau. Mais cet ouragan en formation s’est estompé et a cédé le pas à un autre péril, celui-là créé de toute pièce par nos propres inconséquences.  Les dégâts causés sont toutefois du même ordre et peut-être tout aussi élevés.

Cela faisait déjà plus de deux mois, que le gouvernement activement préparait la population à une augmentation des prix du carburant.  Cela remonte au début de l’année, depuis la signature du Staff Monitored Program que le gouvernement se préparait à cette mesure, donc à ses conséquences et devait avoir mis au point un plan de mitigation.  Le Président, le Premier Ministre et le flamboyant nouveau ministre de la Communication, M. Guyler Cius Delva, se relayaient, ces derniers mois, sur toutes les tribunes disponibles pour distiller leur argumentaire.  Les augmentations n’en étaient plus une mais devenaient une simple application d’une loi qui remonterait à 1995 donc pas du ressort de ce gouvernement. Parfois, ces augmentations devenaient une simple abolition d’une subvention indue qui ne profiterait qu’aux plus riches d’entre nous, les mieux nantis de notre société, ceux et celles qui peuvent se permettre de posséder une voiture, une génératrice, au détriment de ceux et celles d’entre nous qui ont le plus besoin d’une aide de l’État.  Mieux encore, une bonne partie de cette subvention scandaleuse profiterait à nos voisins Dominicains qui ne manqueraient pas leur tour pour venir s’approvisionner goulument et profiter de la manne qui passe. Voilà pourquoi le gouvernement ne pouvait pas accomplir toutes ses promesses jusqu’à présent. Il lui manque ces fonds, justement pour boucler son budget et faire atterrir ses nombreuses promesses. Rien que pour cet exercice, ce serait déjà environ 13 milliards de gourdes perdues, en raison de cette « subvention ».  C’est donc clair et net : il faut l’abolir. Telle est la conclusion irrévocable à laquelle, le gouvernement, dans sa sagesse, est parvenu.

Cela fait au moins deux mois aussi que la plupart des observateurs et des analystes de la situation socio-économique du pays recommande au gouvernement de faire bien attention à la décision qu’il s’apprête à prendre car le moment ne semble pas être indiqué pour ce genre d’exercice, ce remède de cheval proposé par nos bailleurs de fonds internationaux.  Les économistes du pays, pour la plupart, recommandaient de surseoir à ces mesures drastiques ou à défaut d’y aller progressivement. Mais rien n’y fit. Les organisations politiques de l’opposition, pour la plupart, ont tenté de dissuader le gouvernement de prendre ce chemin car la voie royale vers le paradis de la rectitude administrative et financière est généralement bordée de belles roses, certes, mais dont les tiges sont hérissées de ronces acérées.  Là aussi, rien n’y fit. Le gouvernement avait semble-t-il donné l’assurance au FMI et aux bailleurs de fonds qu’il se faisait fort de redresser la barque financière du pays, d’un seul coup, sans traîner. En retour. Cela lui vaudrait une manne de 120 millions de dollars dont une partie aurait été versée en juin dernier, lors du passage de Sir Mark Lowcock, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), et Coordonnateur des secours d’urgence.

Tout récemment encore, les autorités de l’Église catholique, généralement assez accommodantes envers ce régime, ont jugé bon de sonner l’alarme.  Monseigneur Saturné qui a eu la tâche ingrate de faire cette mise en garde, en tant que Président de la Conférence épiscopale, en a eu pour son grade, directement de la bouche même du Président.  Même ses alliés au Parlement, à tout le moins certains d’entre eux, s’inquiétaient un peu de cette initiative un peu zélote du gouvernement et commençaient à se demander ouvertement si cela était vraiment une si bonne idée que cela.  Après tout, si les électeurs les prenaient en grippe, ils seraient les premiers à en faire les frais, car leur échéance électorale arrivera dans à peu près quinze mois. Quinze mois, c’est vite passé, et les gens pourraient ne pas avoir encore oublié en un si court laps de temps, le tort causé par leur vote et leur appui aveugle à un gouvernement qui les aura saignés jusqu’au dernier centime.

Toujours est-il que ne voulant faire qu’à sa tête, le gouvernement publia son arrêté le vendredi 6 juillet, alors que se déroulait le match de football tant attendu entre le Brésil et la Belgique.  À la mi-temps, tous les espoirs étaient encore permis, d’un côté comme de l’autre. Mais on tablait surtout sur une victoire tardive du Brésil et sur l’euphorie collective qui en résulterait, pour atténuer l’impact de la mesure augmentant, de façon cinglante, les prix du carburant :

  • Gazoline : 309 gourdes le gallon contre 224 avant, soit une augmentation de 85 gdes (38%);
  • diesel 264 gourdes par gallon contre 179, soit une augmentation 85 gourdes (47%);
  • kérozène 262 gourdes contre 173, soit une augmentation de 89 gourdes (51%).

Par pure malchance ou par grossière incompétence, le savant calcul des experts en communication du gouvernement n’avait pas pris en compte la possibilité que le Brésil soit éliminé par la Belgique, perdant ainsi la distraction sociale qui l

ui permettrait de moduler un peu l’impact de cette mesure et de déférer dans le temps, en la diluant un peu, la morsure ressentie par la population.  C’était très astucieux effectivement. C’était bien compté mais mal calculé, car c’est la Belgique qui est sortie vainqueur de la partie. En plus de la déception de la défaite de leur club favori, la population se rend vite compte du petit jeu grotesque du gouvernement à ses dépens. Décidément, on se paie sa tête et on lui coupe les poches en plus. C’est ajouter l’insulte à l’injure. Et alors elle voit tout rouge, rouge de colère, rouge de frustration.  Alors, la digue saute et tous les ressentiments ravalés avec peine au cours des derniers mois remontent d’un seul coup à la surface. Plus rien ne retient la furie populaire. Les rares imprudents qui ont osé menacer cette population de leurs armes l’auront payé chèrement, certains malheureusement de leur vie. Tous les symboles de l’arrogance de ce régime ou perçus comme tel, subissent le courroux de la foule en rage. Pendant près de deux jours, Haïti est bloquée.  Port-au-Prince est paralysée, stupéfaite devant tant de colère, tant de rage libérée d’un seul coup. Des magasins sont pillés ou incendiés. Des hôtels vandalisés et bombardés de pierres et de toutes sortes de projectiles-maison. C’est le chaos. Les membres du gouvernement se terrent quelque part. Des familles opulentes prennent l’hélicoptère du haut de leur building et se font évacuer vers la République Dominicaine. De ce nombre figure la famille de l’ex-président Martelly.  Pye kout pran devan, ce dernier était fort opportunément déjà rendu aux États-Unis, paraît-il.

Cela a pris de longues heures avant qu’un premier brave de ce gouvernement ose prendre la parole pour demander au peuple de reprendre ses esprits.  Le Premier ministre lance un appel au calme. Le Président s’adresse à la nation et rappelle la mesure. Pour une fois, il a non seulement entendu les cris de son peuple, mais il les a écoutés.  Il faut croire que son peuple a su prendre les moyens nécessaires pour se faire écouter cette fois-ci de son premier mandataire. Les présidents du Sénat et de la Chambre des députés aussi appellent leurs concitoyens à la sérénité.  Mais le mal est fait. L’impression de la toute-puissance de ce gouvernement semble s’affadir. Brusquement, tout devient possible. Le Premier ministre n’est plus un intouchable et son poste ne tient plus qu’à un fil. Les Chambres de commerce, même les membres du PHTK qui ont eu la chiasse de leur vie au cours de cette furie, se demandent aujourd’hui à quoi il peut bien servir, ce Premier Ministre de pacotille.  Comment peut-il avoir entrepris une telle initiative, sans s’assurer préalablement de la mise en place d’un plan de contingence nationale contre les dérapages possibles ? D’aucuns rapportent qu’il n’était pas au courant de la publication de cette mesure et que certains de ses ministres qui l’ont publiée ne l’en auraient pas informé au préalable. Allons donc ! C’est un comble. Et si tel était le cas, cela prouverait encore davantage l’inanité du personnage, si on peut se permettre de le contourner sans conséquence sur un dossier aussi important.  Auquel cas, à quoi sert-il de maintenir ce personnage s’il est parfaitement inutile quand cela importe le plus ? Un fusible qui n’est raccroché à aucun circuit ne peut pas sauter en cas de surcharge et est donc parfaitement superflu.

Pendant tout le temps que se déchaînait la population sur tout ce qui se trouvait sur son passage, la police s’était montrée plutôt discrète.  Bien sûr, elle a protégé quelques institutions stratégiques, comme le Palais national, la Primature, des banques, le Parlement, des ambassades.  Mais pas plus. On se demandait, si elle avait été prise de court et comment cela était possible. Les rumeurs veulent que la Direction générale de la PNH, une fois encore, n’avait pas été informée au préalable de la décision du gouvernement, de sorte que le plan de contingence, élaboré de longue date, n’avait pas pu être mise à exécution.  Ceci est nettement une conséquence des mesures prises récemment par le gouvernement pour saper l’autorité du directeur général de la PNH, M. Michel-Ange Gédéon. En effet, c’est aujourd’hui un secret de polichinelle que le Directeur Général de la Police n’est pas dans les bonnes grâces de ce gouvernement et que, plus souvent qu’autrement on le court-circuite ouvertement.  Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les autorités de ce gouvernement le font. Souvenons-nous de l’expédition à Grand-Ravine qui s’est soldée par plusieurs morts, y compris dans les rangs de la Police. Souvenons-nous de la folle équipée à Thiotte d’un détachement policier qui a dû prendre la fuite devant une population déterminée à ne plus se laisser dépouiller de ses terres, et qui avait abandonné sur les lieux, armes et véhicules.  Comment alors un directeur général de la Police peut-il répondre de ses actes et assumer une responsabilité dans les manquements de l’institution sous ses ordres, quand on fait tout pour le ligoter dans ses actions ou qu’on le garde dans l’ignorance de certaines initiatives de l’État qui nécessiteraient à tout le moins son accompagnement au niveau sécuritaire ?

La question lancinante revient comme un boomerang, comme un mal de dent.  À qui doit-on imputer la responsabilité de cette tragédie nationale ? Car c’en est une de taille.  Les hôtels et les commerces vandalisés et pillés, les véhicules incendiés, la paralysie totale de la capitale, la suspension de tous les vols vers Port-au-Prince pendant 48 heures, des ambassades fermées et leur personnel dans une situation d’insécurité totale, tout cela a un coût.  Les vacanciers et les habitués des bals champêtres en provenance de la diaspora vont peut-être y penser plus d’une fois avant de rééditer leur pèlerinage annuel vers la nostalgie des lieux de leur enfance adulée. Qui va les assumer, ces coûts que l’on n’a pas encore pu chiffrer? Certainement pas les compagnies d’assurance dont les polices spécifient clairement l’exclusion des émeutes et des actes de guerre civile de toute couverture.  Le Président, dans son adresse à la nation, exprime sa sympathie avec les victimes de tout genre et déclare que l’État assumera ses responsabilités envers elles. Cela voudrait-il dire que celles-ci auront droit à un dédommagement quelconque de l’État et si oui, à quel pourcentage de leurs pertes et comment celles-ci vont-elles être évaluées? Va-t-on encore mettre les fonds de l’ONA à contribution ?

Dans tout pays normal, le Premier ministre et président du Conseil supérieur de la Police Nationale (CSPN) serait en première ligne, imputable de cette situation.  Le ministre de la Sécurité publique qui est le responsable de ce portefeuille, serait le second dans la mire. Le directeur général de la Police également ne pourrait pas échapper à ce couperet.  On est imputable ou on ne l’est pas. C’est comme la grossesse, on ne peut l’être à demi. Dans le cas du DG de la PNH, il y a une circonstance atténuante qui plaide en sa faveur : il semblerait qu’on l’ait volontairement gardé dans l’ignorance de la mise en œuvre de la décision, ce qui explique qu’il ne disposerait que de 40% de ses effectifs et de leurs moyens logistiques d’intervention, au moment des incidents.  Si tel est le cas, la responsabilité du manque de préparation de la police incombe davantage à ceux qui ne l’auraient pas averti au préalable.

 

Dans tout pays normal, le Premier Ministre responsable de ce gâchis ne pourrait pas survivre une journée de plus à cette fonction.  Il a donné la preuve ultime qu’il n’a pas l’étoffe pour cette charge. Lors de l’émeute de la faim, sous le gouvernement Préval/Alexis, Jacques Édouard Alexis a été promptement emporté par la tourmente.  Dans le cas qui nous concerne, étant donné l’omniprésence et l’incontournabilité du chef suprême de la nation, son implication dans la micro-gestion de tous les dossiers, même des plus menus, il faudrait se demander si lui aussi ne devrait pas assumer sa responsabilité directe dans cette tragédie nationale et en payer personnellement et administrativement les conséquences adéquates.  Après tout, ce n’est pas toujours aux subalternes de payer tous les pots cassés, surtout lorsque la décision vient d’en haut lieu.

Pierre-Michel Augustin

le 10 juillet 2018

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